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c’est ce qui est cause que l’on n’y mange pas de la viande de ces animaux. Les personnes qui ont des rapports aigres, ont moins d’appétit ; les acides ne contribuent que rarement à le rétablir. On n’a jamais trouvé d’acides dans le sang ; d’ailleurs, en supposant même que le prétendu acide puisse exciter quelque fermentation dans les premieres voies, l’humeur toûjours renouvellée qui se mêleroit avec les matieres fermentantes, en arrêteroit bientôt le mouvement intestin, & sur-tout la bile qui est la plus contraire à toute sorte de fermentation. Ces faits sont plus que suffisans pour en détruire toute idée, tant pour les premieres que pour les secondes voies. Voyez Digestion, Chylification, Sanguification.

Il a fallu rendre à la chaleur naturelle la part qu’on lui avoit presque ôtée, pour la préparation du chyle & des autres humeurs ; mais non pas en entier. La machine de Papin démontre l’efficacité de la chaleur dans un vase fermé, pour dissoudre les corps les plus durs, qui puissent servir à la nourriture : un œuf se résout en une espece de substance muqueuse sans consistance, in putrilaginem, par une chaleur de 92 ou 93 degrés du thermometre de Farenheit ; la chaleur de notre estomac est à-peu-près au même degré. Mais la chaleur naturelle ne peut pas seule suffire à l’ouvrage de la chylification & de l’élaboration des humeurs, comme le pensoient les anciens, puisqu’il ne s’opere pas de la même maniere dans tous les animaux, qui ont cependant à-peu-près la même chaleur. Les excrémens d’un chien, d’un chat, qui se nourrissent des mêmes alimens que l’homme, sont bien différens de ceux qui résultent de la nourriture de celui-ci. Il en est de même du sang & des autres humeurs, qui ont aussi des qualités particulieres dans chaque espece d’animal, qui n’a cependant rien de particulier par rapport à la chaleur naturelle : elle doit donc être reconnue en général, comme une des puissances auxiliaires, qui sert à la digestion & à l’élaboration des humeurs communes à la plûpart des animaux ; mais elle ne joüe le rôle principal, encore moins unique, dans aucun.

Le défaut dominant dans tous les systèmes sur ce sujet, depuis les premiers Medecins jusqu’à ceux de ce siecle, est que l’on a toûjours cherché dans les fluides les agens principaux différemment combinés, pour convertir les alimens en chyle, celui-ci en sang ; pour rendre le sang travaillé au point de fournir toutes les autres humeurs, & pour séparer de tous les bons sucs les parties excrémenteuses qui s’y trouvent mêlées.

On a enfin de nos jours ôté aux fluides le pouvoir exclusif, qui leur avoit été attribué pendant environ deux mille ans, de tout opérer dans l’œconomie animale ; après l’avoir cédé pour peu de tems à des puissances étrangeres, à des légions de vers, on est enfin parvenu à faire joüer un rôle aux solides ; & comme il est rare qu’on ne soit pas extrème en faveur des nouveautés, on a d’abord voulu venger les parties organisées de ce qu’elles avoient été si long-tems laissées dans l’inaction, à l’égard des changemens qui se font dans les différens sucs alibiles & autres. On a été porté à croire qu’elles seules par leur action méchanique, y produisoient toutes les altérations nécessaires : on a tout attribué à la trituration ; mais on a ensuite bientôt senti, qu’il y avoit eu jusque-là de l’excès à faire dépendre toute l’œconomie animale des facultés d’une seule espece de parties : on a attribué à chacune le droit que la nature lui donne, & que les connoissances physiques & anatomiques lui ont justement adjugé. La doctrine du célebre Boerhaave sur les effets de l’action des vaisseaux & sur-tout des arteres (dit M. Quesnay dans son nouveau traité des fievres continues), nous a enfin assùré

que cette action, comme quelques Medecins l’avoient déjà auguré, est la véritable cause de notre chaleur naturelle. Cette importante découverte, en nous élevant au-dessus des anciens, nous a rapprochés de leur doctrine ; elle a répandu un plus grand jour sur le méchanisme du corps humain & des maladies, que n’avoit fait la découverte de la circulation du sang. Nous savons en effet que c’est de cette action que dépendent le cours des humeurs & tous les différens degrés de l’élaboration dont elles sont susceptibles : mais on ne peut disconvenir qu’elle ne soit insuffisante pour produire les changemens qui arrivent à leurs parties intégrantes ; l’action de la chaleur peut seule pénétrer jusqu’à elles, & y causer une sorte de mouvement intestin, qui les développe & les met en disposition d’être aussi exposées à l’action des solides, qui en fait ensuite des combinaisons, d’où résulte la perfection & l’imperfection de toutes les humeurs du corps animal.

Cependant cette coopération de la chaleur naturelle dans la digestion des alimens & l’élaboration des humeurs, ne constitue pas une vraie coction, & ce nom convient encore moins au résultat de plusieurs especes d’actions différentes de la coction, qui conjointement avec elle, operent toutes les altérations nécessaires à l’œconomie animale. Néanmoins comme il est employé en Medecine sans être restraint à son véritable sens, & qu’on lui en donne un plus étendu qui renferme l’action des vaisseaux & de la chaleur naturelle qui en dépend, il est bon de retenir ce nom, ne fût-ce que pour éviter de se livrer à une inconstance ridicule, en changeant le langage consacré de tout tems à désigner des connoissances anciennes, que nous devons exprimer d’une maniere à faire comprendre que nous parlons des mêmes choses que les anciens, & que nous en avons au fond presque la même idée. Car quoique leur doctrine sur les coctions (dit le célebre auteur du nouveau traité des fievres continues, déjà cité) soit établie sur une physique obscure, la vérité y domine cependant assez pour se concilier convenablement avec l’observation, & pour qu’on puisse en tirer des regles & des préceptes bien fondés, accessibles aux sens, telles que sont les qualités sensibles & générales qui agissent sur les corps : ainsi elle sera toûjours la vraie science, qui renferme presque toutes les connoissances pratiques que l’on a pû acquérir dans l’exercice de la Medecine, & qui mérite seule d’être étudiée, approfondie, & perfectionnée.

Il paroît convenable de ne pas finir cet article, sans placer ici les réflexions suivantes sur le même sujet ; elles doivent être d’autant mieux accueillies, qu’elles sont extraites des commentaires sur les institutions & les aphorismes du célebre Boerhaave.

Hippocrate a considéré, & nous n’en faisons pas plus que lui, que l’on ne peut rien savoir de ce qui se passe dans le corps d’un homme vivant, soit qu’il soit en santé, soit qu’il soit malade, & que l’on ne peut connoître que les changemens qui paroissent dans les maladies, différens des phénomenes qui accompagnent la santé : ces changemens sont les effets de l’action de la vie qui subsiste encore ; & la cause occasionnelle de ces effets qui caractérisent la maladie, est un principe caché dans le corps, que nous appellons la matiere de la maladie ; tant que cette matiere retient le volume, la figure, la cohésion, la mobilité, l’inertie, qui la rendent susceptible de produire la maladie & de l’augmenter, elle est dite crue ; & tant que les changemens produits par la cause de la maladie subsistent, cet état est appellé celui de la crudité.

Ainsi il suit de là, que la crudité est d’autant plus considérable dans la maladie, que les qualités de la maladie sont plus différentes de celles de la santé.