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vers principes, par plusieurs auteurs ; mais particulierement par Borelli, Morland, Keill, Jurin, &c.

On peut déterminer la force du cœur par le mouvement avec lequel il se contracte, ou par le mouvement d’un poids qui étant opposé au sang tel qu’il existe hors du cœur, soit capable de le balancer & d’en arrêter le cours. Nous n’avons aucun moyen de pouvoir en venir à bout à priori, à cause que nous ne connoissons qu’imparfaitement la structure interne de cette partie, & la nature & la force de la cause d’où dépend la contraction ; de sorte que le seul moyen qui nous reste est de l’apprétier par les effets.

Toute l’action du cœur consiste dans la contraction de ses ventricules : à mesure que ceux-ci se contractent, ils pressent le sang, & lui communiquant une partie de leur mouvement, ils le poussent avec violence dans les passages qu’il trouve ouverts. Le sang ainsi poussé dans l’aorte & dans l’artere pulmonaire fait effort de toutes parts, partie contre les tuniques des arteres qui étoient devenues flasques dans la derniere diastole, & en partie contre le sang qui le précede, & dont le mouvement est trop lent. Par ce moyen les tuniques des arteres se tendent peu-à-peu, & le mouvement du sang dont nous venons de parler devient plus rapide.

Il est bon d’observer en passant, que plus les arteres sont flasques, moins elles font de résistance au sang qui veut les dilater ; & que plus elles sont tendues, plus aussi s’opposent-elles avec force à une plus grande dilatation ; de sorte que toute la force du sang au sortir du cœur est d’abord plûtôt employée à dilater les arteres, qu’à pousser le sang qui le précede ; au lieu que dans la suite il agit moins sur les arteres que sur le sang qui s’oppose à son cours.

Borelli, comme nous l’avons déjà observé, dans son Œconom. anim. suppose les obstacles qui s’opposent au mouvement du sang dans les arteres, équivalens à 180000 livres, & la force du cœur à 3000 ; ce qui n’est qu’un de la résistance qu’il rencontre. Si l’on déduit 45000 livres pour le secours fortuit qu’il reçoit de la tunique musculaire élastique des arteres, il reste pour le cœur une force de 3000 livres, avec laquelle il doit surmonter une résistance de 135000 livres ; c’est-à-dire écarter avec une livre de force un obstacle de quarante-cinq livres ; ce qu’il fait, à ce que suppose cet auteur, par la force de percussion.

S’il eût poussé son calcul jusqu’aux veines, qu’il prétend contenir quatre fois plus de sang que les arteres, & dans lesquelles cette force de percussion ne se fait point sentir du tout, ou du moins que très foiblement, il n’eût pas eu de peine à reconnoître l’insuffisance du système de percussion.

On accuse même son calcul de fausseté, & l’on prétend que la force qu’il attribue au cœur est infiniment trop grande.

Le docteur Jurin fait voir que si Borelli ne se fût point trompé dans son calcul, il eût trouvé la résistance que le cœur est obligé de surmonter beaucoup plus grande, même suivant ses principes, & qu’elle eût été de 1 076 000, au lieu de 135000 ; ce qui passe toute vraissemblance.

Le plus grand défaut de la solution consiste, suivant le docteur Jurin, en ce qu’il a apprétié la force motrice du cœur par un poids en repos ; en ce qu’il a supposé dans une de ses expériences que le poids que soûtient un muscle est entierement soûtenu par sa force de contraction ; que les muscles qui ont la même pesanteur sont également forts ; enfin que la force du cœur augmente à chaque systole, &c.

Le docteur Keill, dans ses essais sur l’Œcon. anim. a le premier abandonné le calcul de Borelli, auquel il en a substitué un autre infiniment plus petit. Voici

comment il estime la force du cœur. Supposant que l’on connoisse la vîtesse d’un fluide, & faisant abstraction de la résistance qu’il rencontre de la part d’un autre fluide, on détermine la force qui le met en mouvement comme il suit. Soit la ligne a la hauteur de laquelle doit tomber un corps pour avoir une vîtesse égale à celle du fluide, la force qui met ce fluide en mouvement sera égale au poids d’une colonne du même fluide, dont la base seroit égale à l’orifice, & la pesanteur à 2 a. Coroll. 2. prop. 36. lib. II. des principes de Newton.

Maintenant le sang qui sort du cœur trouve une résistance qui retarde son mouvement de la part de celui qui circule dans les veines & les arteres ; ce qui l’empêche de couler avec toute la vîtesse que le cœur lui imprime, une partie de cette force étant employée à surmonter la résistance de la masse du sang. Supposé donc que l’on connoisse de combien la vîtesse du sang est diminuée par cette résistance, ou quelle est la proportion entre la vîtesse du sang qui rencontre cette résistance, & celle du sang qui n’en trouve aucune ; il ne sera pas difficile, après avoir déterminé la premiere, de trouver la seconde, & par conséquent la force absolue du cœur. L’auteur s’est servi, pour la découvrir, de l’expérience suivante.

Après avoir découvert l’artere & la veine iliaque dans la cuisse d’un chien près du tronc, & y avoir fait les ligatures convenables, il coupa les vaisseaux, & reçut pendant dix secondes le sang qui en sortit. Il fit la même chose sur l’artere pendant le même espace de tems, & il pesa avec soin la quantité de sang qui sortit de ces deux différens vaisseaux : il réitéra la même expérience, & il trouva enfin que la quantité de sang qui étoit sortie de l’artere, étoit à celle qu’avoit donnée la veine dans le même espace de tems, à-peu-près comme 7 à 3.

La vîtesse du sang dans l’artere iliaque si près de l’aorte, doit être à-peu-près la même que dans l’aorte ; d’où il suit que la vîtesse avec laquelle il sort par l’artere iliaque après qu’on l’a coupée, est égale à celle qu’il auroit au sortir du cœur lorsqu’il ne trouve aucune résistance : ou ce qui revient au même, le sang sort par l’ouverture de l’artere iliaque avec toute la vîtesse qu’il a reçûe du cœur. Tout le sang qui passe dans l’artere iliaque y revient de nouveau par la veine iliaque, & par conséquent la quantité de sang qui passe dans toutes les deux dans le même tems doit être égale. Il s’ensuit donc que la quantité de sang qui sort par l’ouverture de la veine iliaque, est égale à celle qui a passé dans l’artere iliaque avant qu’on l’ait coupée, dans le même espace de tems. Puis donc que nous connoissons la quantité de sang qui passe dans l’artere iliaque lorsqu’elle est coupée, & avant qu’elle le soit, il s’ensuit que nous avons leur vîtesse : car la vîtesse d’un fluide qui coule dans le même tuyau dans un espace de tems égal, est directement comme sa quantité. Mais la vîtesse du sang, lorsque l’artere est coupée, est égale à celle qu’il reçoit du cœur ; & la vîtesse, lorsqu’elle n’est point coupée, est celle avec laquelle le sang coule dans l’aorte, dans laquelle il trouve de la résistance : d’où l’on voit que ces deux vîtesses sont l’une à l’autre comme 7 à 3.

Si l’on suppose maintenant que le cœur jette deux onces de sang à chaque systole, ce qui est assez vraissemblable, le sang doit parcourir dans l’aorte 156 piés en une minute ; de sorte que la vîtesse absolue avec laquelle il est poussé dans l’aorte est capable de lui faire courir 390 piés en une minute, ou six piés en une seconde, s’il ne trouvoit aucune résistance.

Recherchons maintenant de quelle hauteur doit tomber un corps pour acquérir la vîtesse que nous lui avons donnée ; car cette hauteur étant doublée,