Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/1028

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quent une preuve de la fausseté d’une charte, ou d’un diplome, comme l’ont prétendu quelques modernes : sur-tout dès que les autres conditions se trouvent observées. Cette négligence du copiste ne porte aucun préjudice à la vérité des titres, qui sont vrais pour le fond, quoique mal disposés pour la forme extérieure. On les entendoit alors, & l’on ne croyoit pas que dans la suite ils pussent être exposés à aucune difficulté.

III. La troisieme regle, mais essentielle, est d’examiner la date ou la chronologie des actes ou des lettres : c’est à quoi souvent, & presque toûjours, manque un faussaire, qui est ordinairement plus habile dans les coups de main que dans l’histoire des princes : il se sert presque toûjours des dates reçues de son tems pour marquer des siecles antérieurs au sien, & s’imagine que ces sortes de dates ont toûjours été en usage. Alors il faut faire usage de l’histoire & de la chronologie qu’elle nous présente. C’est un acte public qui doit servir à corriger ou à vérifier la certitude des actes particuliers, tels que sont les chartes & les diplomes.

Il faut néanmoins faire attention que comme plusieurs rois avant que d’être possesseurs du throne, y ont quelquefois été associés ; on a commencé souvent à compter leurs années de la premiere association au throne ; mais cependant on a daté plus communément du jour qu’ils ont commencé à en être seuls possesseurs. On en a l’exemple dans Robert, fils de Hugues Capet, qui fut associé au throne le premier Janvier 988, cependant il n’en fut unique possesseur que le 24 Octobre 996. L’homme attentif ne doit pas manquer à cette remarque. L’indiction est une autre observation chronologique que le censeur des chartes ne doit pas négliger ; s’il s’agit de celles des empereurs, elles commencent le 24 Septembre ; en Occident & en Orient, le premier jour du même mois ; au lieu que celles des papes se datent du 25 Décembre, premier jour de l’année ecclésiastique de Rome. Quant aux années de J. C. elles n’ont été en usage pour les chartes & les diplomes que dans l’onzieme siecle, comme nous l’avons déjà marqué.

IV. Une quatrieme regle qui suit la chronologie est celle des signatures des personnes ; savoir si elles n’étoient pas mortes au tems de la date marquée dans le diplome. L’histoire alors rend témoignage ou pour ou contre le diplome : nous avons déjà fait quelques remarques à ce sujet, qu’il est inutile de repéter ici.

Mais qu’on ne croye pas que les rois des deux premieres races signassent leur nom dans les chartes. C’étoit un monogramme, c’est-à-dire plusieurs lettres figurées & entrelassées qui faisoient ou tout, ou partie de leurs noms. Mais le chancelier ou reférendaire avoit soin de marquer ces mots pour désigner cette signature : signum Caroli, ou Ludovici regis, suivant le prince dont le monogramme se trouvoit sur la charte.

V. La cinquieme regle consiste à examiner l’histoire certaine de la nation & de ses rois, aussi-bien que les mœurs du tems, les coûtumes, les usages du peuple, au siecle où l’on prétend que la charte a été donnée. Cette regle demande une grande connoissance de l’histoire, & même de l’histoire particuliere, autant que de la générale, parce que les mœurs n’ont pas toûjours été les mêmes dans le corps entier de la nation ; les parties, ou les provinces d’un empire ou d’un royaume étoient souvent plus différentes en ce point qu’elles ne l’étoient dans le langage. On voit par-là combien il est difficile de suivre exactement cette regle, qu’il ne faut pas trop presser, pour ne point accuser de fausseté une charte dressée en un pays ou en une province, quand on ne

connoît pas exactement les mœurs, us, & coûtumes du tems.

VI. Une sixieme regle est d’examiner les monogrammes & les signatures des rois, aussi-bien que de leurs chanceliers ou reférendaires ; il faut confronter celles des actes douteux avec les actes véritables qu’on en peut avoir. Il est certain qu’on en a de vrais, sur-tout dès que l’intérêt n’y est pas mêlé : on sait que c’est la pierre de touche des actions humaines : c’est-là ce qui a porté tant de faussaires à sacrifier leur honneur & leur conscience pour se conserver à eux ou à leur communauté un bien & des droits qu’ils appréhendoient qu’on ne leur disputât dans la suite.

VII. La septieme regle regarde les sceaux : il faut examiner s’ils sont sains & entiers, sans aucune fracture, sans altération, & sans défauts. S’ils n’ont point été transportés d’un acte véritable pour l’appliquer à un acte faux & supposé. Cette derniere remarque mérite d’autant plus d’attention, que j’ai connu un homme qui cependant sans aucune littérature, m’avoit assûré qu’il avoit le moyen de détacher le sceau d’une piece authentique pour le porter sur une autre : moyen dangereux & fatal, mais heureusement celui qui s’en vantoit n’avoit pas l’occasion de s’en servir ; & je ne crois pas qu’il ait communiqué à quelqu’autre le moyen dont il se disoit possesseur.

Nos premiers rois n’avoient pas d’autre sceau que celui qui étoit à leur anneau. Nous en avons un exemple au cabinet du Roi, où l’on voit l’anneau du roi Childeric, pere de Clovis, sur lequel sont gravés le portrait & le nom de ce roi. Ces anneaux sont fort anciens dans l’histoire. Celui de Childeric fut trouvé en 1653 dans la ville de Tournai, près l’église de S. Brice, ou étoit autrefois un grand chemin ; & l’on n’ignore pas que la plûpart des princes étoient inhumés près les grands chemins. On trouve même encore aujourd’hui en France beaucoup de tombeaux dans des campagnes.

Après les anneaux vinrent les grands sceaux qui furent appliqués sur des cires jaunes, blanches, vertes, ou rouges, & même sur le plomb, l’or & l’argent. Le plomb est resté en usage à Rome. Nous avons la célebre bulle d’or de l’empereur Charles IV. qui depuis plus de quatre cents ans fait loi dans l’empire. Mais communément on employe la cire, dont la couleur varie même en France selon la diversité des affaires sur lesquelles nos rois font expédier des lettres patentes, des déclarations, & des édits.

Les évêques, les abbés, les chapitres, & même les seigneurs avoient leurs sceaux particuliers, sur lesquels on les voit différemment représentés. Les histoires particulieres que l’on s’est attaché à publier depuis plus de cinquante ans, nous en ont donné quantité de modeles & de desseins ; & dès qu’un titre regardoit plusieurs personnes, chacun y appliquoit son sceau particulier, lequel souvent pendoit au diplome même avec un lacet de soie.

VIII. Enfin, il faut marquer pour huitieme regle la matiere sur laquelle s’écrivoient les chartes & les diplomes. Depuis un très-long tems on s’est servi de parchemin : c’est la matiere la plus commune, & qui subsiste encore aujourd’hui dans les actes émanés de l’autorité du roi, soit en grande, soit en petite chancellerie. Mais les premieres matieres étoient ordinairement du papier d’Egypte, qui subsistoit encore en France au onzieme siecle. Et comme ce papier étoit assez fragile, on employa en même tems le parchemin, qui a beaucoup plus de consistance & qui résiste mieux à l’injure des tems & des années. On se servoit même des peaux de poissons, & à ce qu’on dit, des intestins de dragons ; c’est pousser la chose bien loin. Quant au papier commun, il est moderne,