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des. Ce raisonnement, qui n’est que trop commun chez la plûpart de ces prétendus grands génies, nous fait sentir la différence de ceux qui se rendent raison de ce qu’ils entreprennent, à ceux qui dans leurs travaux se croyent au contraire guidés par un génie fécond & hardi ; car pour un ou deux génies extraordinaires qu’un siecle voit à peine naître, qui par leurs dispositions naturelles se forment un goût reglé sans les secours de la théorie & des préceptes, on en voit mille qui par leur présomption hazardant dans leurs distributions des formes vicieuses, autorisent les moins habiles encore à les imiter. Tout esprit raisonnable doit sentir cependant que ces génies rares & singuliers, si peu communs, ne réussissent que parce qu’ils affectent, sans trop y prendre garde, une disposition & un rapport harmonique entre les parties & le tout, qui a seul droit d’être appellé beauté, & sans lequel ils n’auroient pas réussi ; & que si ces mêmes génies eussent été aidés par la doctrine & les préceptes de leur art, ils auroient encore surpassé leurs productions.

Pour parvenir donc à distribuer avec convenance, il est des lois générales dont on ne peut s’écarter, & qui seules peuvent conduire à la théorie de la distribution des bâtimens à l’usage de la demeure des maîtres. A l’égard de ceux destinés pour les domestiques, tels que sont les cuisines, offices, remises, &c. nous en parlerons en son lieu. Ces lois générales concernent l’arrangement, la forme & l’usage des pieces de nécessité, de commodité & de bienséance.

Celles de nécessité semblent avoir un fondement certain & réel dans la nature, parce qu’il est essentiel qu’un édifice élevé pour la conservation des hommes, soit pourvû des pieces nécessaires non seulement à l’état du maître qui le fait ériger, mais aussi avec le nombre de ses domestiques & celui des étrangers qui composent sa société ou sa famille. De ce principe naît la diversité des bâtimens, quoiqu’élevés pour la même fin, & les différens étages que l’on pratique les uns sur les autres, quand la convenance de l’état ou des intérêts de famille oblige à bâtir dans un lieu serré, soit par rapport à son commerce, soit à la faveur de la proximité de la demeure des grands avec lesquels on est en relation. C’est dans cette occasion où le savoir de l’architecte a toûjours de nouveaux motifs de se manifester, en cherchant à donner de l’harmonie à ces choses de nécessité, & en rapport direct avec celles qui sont du ressort de la construction & de la décoration, ces trois parties devant toûjours marcher ensemble.

Ce qui regarde la commodité est aussi important, ayant pour objet l’exposition générale du bâtiment, sa situation & sa disposition, & sur-tout ses dégagemens ; de maniere que les pieces de société, de parade, celles qui sont destinées au repos, à l’étude, soient suffisamment dégagées, ensorte que les domestiques puissent faire leur service sans troubler leurs maîtres. C’est par cet arrangement que l’on trouve les commodités de la vie, qui naturellement nous porte à chérir ce qui nous est propre, & éviter tout ce qui peut nous nuire.

A l’égard de l’objet de bienséance, il paroît plus difficile à réduire en principes, y ayant plus de difficulté à s’appercevoir si ce qui nous plaît dans cette partie du bâtiment, procede de quelque chose de réel qui tire son origine de la nature plûtôt que de la prévention ou de l’habitude ; pour s’en éclaircir il faudroit approfondir si les productions des arts peuvent faire naître en nous des principes qui par la suite nous paroissent relatifs à la nature, ou bien si toutes les choses qui nous plaisent dans les ouvrages faits par l’art, ne partent que de la fécondité de notre imagination, ou par un usage reçu depuis longtems parmi nous ; car nous regardons souvent en

France comme principes de bienséance dans la distribution, ce que d’autres peuples envisagent sous d’autres formes, eu égard aux différens usages que la différence du climat fait varier, & auxquels on est obligé de se soûmettre pour se conformer aux différentes mœurs & usages. Sans contredit c’est cet objet de bienséance qui fait toute la difficulté & tout le mérite de l’Architecture ; c’est lui qui assujettit non-seulement la convenance de la décoration intérieure des pieces, mais qui soûmet cette même décoration à celle qui est extérieure : c’est elle encore qui exige de la symmétrie dans les écoinçons, dans la situation des cheminées, dans la proportion des pieces, tant par rapport à leur hauteur qu’à leurs diametres, à celles des croisées ; le tout relatif à la construction : considérations qui doivent être toutes réunies ensemble, & qui à beaucoup près ne sont pas si importantes dans ce qui regarde les pieces de nécessité & de commodité.

Après ces lois générales, pour parvenir à connoître celles qui concernent chaque piece en particulier, voyez la définition, l’usage & la propriété de chaque piece qui compose les plans exprimés dans les Planches. (P)

Distribution des eaux, (Hydraul.) La distribution des eaux se fait différemment dans une ville & dans un jardin.

Dans une ville les tuyaux de plomb résistent plus que tous les autres au fardeau des voitures qui passent dans les rues.

La dépense considérable des machines des bâtimens où sont les châteaux d’eau, des conduites dans les rues, & les entretiens continuels des fontaines, ont obligé de vendre l’eau à Paris sur le pié de 200 liv. par ligne circulaire. Cette somme multipliée par 144 lignes, contenu du pouce, le fait valoir 28800 liv. On distribue l’eau au particulier qui l’achete, appellé concessionnaire, au pié de la fontaine, à condition de faire la dépense de la conduire chez soi, & de faire rétablir le pavé.

A Londres on oblige chaque maison d’acheter de l’eau ; elle passe dans de gros tuyaux de bois des deux côtés des rues & le long des maisons, on n’a qu’à tirer une branche de plomb d’un diametre proportionné à l’eau qui doit être fournie, & la recevoir dans son reservoir : il est vrai que c’est de l’eau salée de la Tamise, & qu’on ne la donne que deux fois la semaine.

Voici la maniere de partager à six particuliers une fontaine ou une source fournissant deux pouces d’eau.

L’eau courante tombant dans une premiere cuvette dont une cloison arrête le flot, coule par deux ouvertures d’un pouce chacune dans la cuvette de distribution, où il y a pareillement une cloison de calme : on y pratique en-dedans, le long du bord extérieur, six bassinets, pour distribuer à chaque particulier la quantité d’eau qu’il doit avoir : par exemple, un pouce au premier, un demi-pouce au second, un quart au troisieme, vingt-cinq lignes au quatrieme, neuf lignes au cinquieme, & deux lignes au dernier. L’eau tombera de la cuvette dans les bassinets, par des jauges percées en rond tout-autour avec une ligne horisontale pour en regler le niveau. La jauge d’un pouce aura douze lignes de diametre ; celle d’un demi-pouce, huit lignes & demie ; du quart de pouce, six lignes : la quatrieme jauge qui donne vingt-cinq lignes d’eau, aura cinq lignes de diametre ; celle de neuf lignes aura trois lignes ; & la derniere, qui ne doit fournir que deux lignes, aura une ligne & demie : ce qui compose en tout la dépense des deux pouces qu’apporte la source. L’eau descendra des bassinets par six conduites ou tuyaux séparés, pour se rendre à sa destination.