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dées par des laïcs à titre d’inféodation, c’est-à-dire qui sont tenues en fief, soit de l’Eglise, soit du Roi, ou de quelque seigneur particulier. On les appelle aussi dixmes laïques ou dixmes militaires, parce qu’elles ont été données originairement à des officiers militaires, en récompense des services qu’ils avoient rendus à l’Eglise.

Les auteurs s’accordent assez sur un point, qui est que les dixmes inféodées étoient dans l’origine des dixmes ecclésiastiques qui ont été données à des laïcs : mais les sentimens sont fort partagés sur le tems où ces dixmes ont ainsi changé de nature.

Quelques-uns croyent que l’origine des dixmes inféodées vient de ce que les Romains levoient la dixme sur les biens par eux conquis, par forme de tribut ; que nos rois ayant conquis la France sur les Romains, se mirent en possession du tribut de la dixme qu’ils y trouverent établi ; qu’ensuite Charles Martel en inféoda une partie aux seigneurs qui l’avoient assisté aux guerres qu’il avoit eu contre les Infideles, qui faisoient des incursions sur la Chrétienté ; que le surplus des dixmes fut depuis affecté par nos rois aux ecclésiastiques pour leur entretien. Voyez Chenu, cent. 2. quest. 6. Carond. en ses pand. liv. I. ch. xiij. Mathœus, sur la quest. 4. de Guy-Pape.

D’autres, & c’est l’opinion la plus commune, rapportent l’origine des dixmes inféodées à Charles Martel, lequel vers l’an 730 inféoda une partie des dixmes aux seigneurs & officiers qui l’avoient secondé dans les guerres contre les Sarrasins. L’on a même à cette occasion débité beaucoup de fables, entr’autres une prétendue révélation de S. Eucher au sujet de Charles Martel, que ce prince étoit damné pour avoir pris les dixmes, & que l’on n’avoit trouvé qu’un serpent dans son tombeau.

Quelques-uns prétendent que ce fut seulement sous Philippe I. lors de l’entreprise du premier voyage d’outremer, que les dixmes furent données à des laïcs. Telle est l’opinion de Pasquier, en ses recherches de la Fr. liv. III. ch. xxxv.

Si l’on ne peut assûrer que les dixmes inféodées qui subsistent en France tirent leur origine des Romains, il est du moins certain qu’il y avoit dès-lors des dixmes temporelles, puisque S. Jérôme qui vivoit en 420, dit que de son tems les laïcs possédoient les dixmes, comme on voit par le canon quoniam xvj. quæst. 1.

Fulbert évêque de Chartres, qui vivoit en 987, dans son ép. 34. qu’il écrit au clergé de Chartres, marque qu’il blâme & déclare excommunié Liscard archidiacre de Paris, parce qu’il donnoit les dixmes à des laïcs ; decimas & obligationes altarium seculari militiæ tradiderat.

Le même, en son ép. 58. qu’il écrit à l’évêque de Paris, remarque que l’évêque son prédécesseur en l’évêché de Paris, dit que par une témérité sacrilége il avoit donné en fief les dixmes aux laïcs ; altaria laicis in beneficium dederat.

Mais quoique les laïcs possédassent dès-lors des dixmes, on ne les qualifioit point encore de dixmes inféodées. Pasquier dans ses recherches, assûre que ce terme inféodées fut inconnu sous la seconde race de nos rois, & que cent ans après l’avenement de Hugues Capet on ne savoit encore ce que c’étoit.

On prétend qu’elles ne commencerent à être ainsi appellées que depuis le concile de Latran en 1179, qui confirma les laïcs dans la possession de ces dixmes.

M. Louet, lett. D. n. 60. dit qu’avant le pape Innocent III. ce qui est en 1200, on ne se servoit point du terme de dixme inféodée ; & même jusqu’à la philippine de l’an 1203, que le pape ayant accordé à Philippe le Bel que le concile de Latran n’auroit point lieu en France, en ce qu’il ordonnoit que les laïcs ne joüiroient des dixmes que pendant leur vie,

& qu’ensuite elles retourneroient à l’Eglise, cela donna lieu aux seigneurs qui possédoient ces dixmes de les appeller inféodées, afin de les faire considérer comme des fiefs, & que dès-lors on commença à les donner par dénombrement.

On peut concilier les différentes opinions au sujet de l’origine des dixmes inféodées, en disant, comme en effet cela paroît présentement reconnu, que ces dixmes n’ont pas eu toutes la même origine.

Il se peut bien faire qu’anciennement, & dans des tems difficiles, nos rois & ceux qui commandoient leurs armées ayent fait contribuer les ecclésiastiques à la défense du royaume, en prenant une partie des dixmes pour récompenser les officiers qui avoient servi l’état ; il se peut même faire qu’une partie des dixmes inféodées vienne de l’usurpation des seigneurs qui étoient alors très-puissans, & abusoient souvent de leur pouvoir pour s’emparer du bien des églises : mais il faut aussi convenir qu’une grande partie des dixmes inféodées a été concédée volontairement à ce titre par les ecclésiastiques à différens seigneurs, pour les engager à prendre leur défense contre d’autres seigneurs qui les opprimoient. Quelques églises en donnerent aussi à vie à certaines personnes pour de moindres services ; & il est arrivé que les héritiers ont retenu ces dixmes. Il y eut aussi des prélats qui en donnerent à perpétuité à leurs officiers & domestiques, & à leurs parens : c’est ainsi que les dixmes ecclésiastiques ont été démembrées par différentes voies.

Les laïcs ont encore pû avant le concile de Latran acquérir des dixmes ecclésiastiques par d’autres moyens légitimes, comme par échange avec d’autres biens & droits qu’ils ont cédés à l’Eglise.

Enfin il y a beaucoup d’apparence que l’on a compris sous le titre de dixmes inféodées ; des droits qui appartenoient naturellement & légitimement à des seigneurs laïcs, tels que des champarts, cens, & autres droits seigneuriaux qui se percevoient en nature de fruits, auxquels on a appliqué le nom de dixmes inféodées ; de même qu’à la dixme ou décime saladine qui fut levée sous Philippe Auguste, ou bien à cause du rapport que cette redevance avoit avec la dixme ecclésiastique, soit pour la forme ou pour la qualité & la quotité, ou enfin pour donner plus de faveur à ce droit, & engager les redevables à le payer plus exactement.

Dans la suite on a confondu les dixmes inféodées proprement dites, avec les champarts & autres droits, qui étoient aussi qualifiés de dixmes.

Comme on ne pouvoit à cause de l’éloignement des tems distinguer les unes d’avec les autres, ni obliger les seigneurs laïcs de rapporter les titres primitifs de ces dixmes ; le concile de Latran tenu en 1179 confirma les laïcs dans la possession des dixmes qu’ils avoient acquises précédemment. Mais on n’oblige pas aujourd’hui ceux qui ont des dixmes inféodées de justifier d’un titre ou possession antérieurs à ce concile : ceux qui ont acquis depuis des dixmes ecclésiastiques à titre onéreux, & avec les formalités prescrites pour l’aliénation des biens d’Eglise, doivent y être maintenus ; il suffit même, suivant l’édit du mois de Juillet 1708, de justifier d’une possession de cent années.

Un seigneur laïc peut tenir à titre d’inféodation les menues dixmes de même que les grosses, pourvû à l’égard des menues dixmes que sa possession soit conforme à d’anciens aveux. Il en est de même par rapport aux novales, supposé que ce soit des dixmes perçûes comme telles avant le concile de Latran.

Les domaines annexés aux cures depuis le concile de Latran sont sujets à la dixme inféodée, à moins qu’ils n’en ayent été exemptés nommément.