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firme cette vérité, en disant : lorsqu’on fut à l’abordage, que les vaisseaux furent accrochés les uns aux autres par les corbeaux, les Romains entrerent au-travers de cette machine dans les vaisseaux ennemis, & ils se battirent sur leurs ponts. Ce qui démontre clairement que ce corbeau ne consistoit que dans un pont.

La description que fait M. de Folard de ce corbeau, dans son commentaire sur Polybe, est fort différente : il le représente en forme de grue (machine qui n’étoit pas inconnue à Polybe) posée sur un mât élevé sur le château de proue ; ce qui ne convient pas avec la poutre de Polybe. Sur ce mât M. de Folard établit le rancher d’une grue, au bout duquel étoit un cone de fer, piece de fonte, dit-il, des plus pesantes, laquelle tombant de son propre poids, perçoit le pont de proue ; voilà ce que M. de Folard appelle corbeau. Il est difficile de concilier cette machine avec celle que décrit Polybe.

M. de Folard parle, dans son savant commentaire, de plusieurs especes de corbeaux : il y en avoit, dit-il, tant de diverses sortes, & ils étoient si différens entr’eux, qu’il ne sait comment les anciens n’ont pas inventé différens noms pour empêcher qu’on ne les confondît les uns avec les autres. M. de Folard donne la description de ces différens corbeaux, savoir du dauphin, du corbeau démolisseur, du loup, & du corbeau à griffes.

Le premier n’étoit, selon cet auteur, qu’une masse de fer fondu suspendu au bout des antennes des vaisseaux : on le suspendoit à un des bouts des vergues pour le laisser tomber sur les vaisseaux ennemis, qu’il perçoit depuis le pont jusqu’au fond-de-cale.

A l’égard du corbeau démolisseur, Vitruve en fait mention ; mais on ne peut guere comprendre ce que c’est que cette machine. « Ne seroit-ce point, dit M. de Folard, celle dont parle Vegece, qu’il appelle tortue, au-dedans de laquelle il y avoit une ou deux pieces de bois arrondies & fort longues, pour pouvoir atteindre de loin, & au bout desquels il y avoit des crocs de fer ? elles étoient suspendues en équilibre comme les béliers, & on les poussoit contre les créneaux pour les accrocher & les tirer à bas, ou les pierres ébranlées par les béliers ». Voyez Belier.

Cependant Végece en parlant de ce croc suspendu & branlant, ne se sert pas du terme de corbeau, mais de celui de faux. Voici le passage de cet auteur.

« On construit la tortue avec des membrures & des madriers, & on la garantit du feu en la revêtissant de cuirs cruds, de couvertures de poil, ou de pieces de laine. Elle couvre une poutre armée à l’un de ses bouts d’un fer crochu pour arracher les pierres de la muraille : alors on donne le nom de faulx à cette poutre, à cause de la figure de son fer ». Nouv. traduct. de Végece.

Pour le loup, M. de Folard prétend que la machine à laquelle Végece donne ce nom, n’étoit qu’un corbeau à tenailles ou à griffes, qui consistoit dans une espece de ciseaux dentelés & recourbés en maniere de tenailles, ou de deux faucilles opposées l’une à l’autre.

Outre les différens corbeaux dont on vient de parler, le savant commentateur de Polybe traite encore du corbeau à lacs-courans & à pinces, de celui à cage, appellé aussi le tollenon ou tellenon, & du polisparte ou corbeau d’Archimede.

Le corbeau à lacs-courans n’étoit autre chose qu’une espece de levier placé sur les murailles des villes, de maniere qu’une partie sailloit en-dehors, & que l’autre plus grande étoit sur le terre-plein : à la partie extérieure étoit attachée une chaîne ou une corde qui avoit un lac avec lequel on essayoit de

saisir la tête du bélier, pour le tirer en-haut & empêcher son effet.

Le corbeau à pinces étoit à-peu-près la même chose, à l’exception qu’au lieu de lacs il y avoit des pinces pour saisir le bélier. Cette machine ne differe guere de celle que M. de Folard appelle corbeau à tenaille, & à laquelle Vegece donne le nom de loup. « Plusieurs, dit cet auteur, attachent à des cordes un fer dentelé fait en maniere de pince, qu’on appelle loup, avec lequel ils accrochent le bélier, le renversent, ou le suspendent de façon qu’il ne peut plus agir ».

Le corbeau à cage ou tollenon est ainsi décrit par Végece. « Le tollenon est une bascule faite avec deux grandes pieces de bois, l’une plantée bien avant en terre ; & l’autre qui est plus longue, attachée en-travers au sommet de la premiere, & dans un tel point d’équilibre, qu’en abaissant une de ses extrémités l’autre s’éleve. On attache donc à l’un des bouts de cette poutre une espece de caisse d’osier ou de bois, où l’on met une poignée de soldats, & en abaissant l’autre bout on les éleve & on les porte sur les murailles ». Nouvelle traduct. de Végece.

Reste à parler du polysparte ou corbeau d’Archimede. « C’étoit sans doute, dit M. de Folard, une poutre ou un mât prodigieusement long & de plusieurs pieces, c’est-à-dire fait de plusieurs mâts joints ensemble, pour le rendre plus fort & moins flexible, renforcé encore au milieu par de fortes semelles, le tout rassuré avec des cercles de fer & d’une lieure de cordes de distance en distance, comme le mât d’un vaisseau composé de plusieurs autres mâts. Cette furieuse poutre devoit être encore allongée d’une autre à-peu-près d’égale force. Ce levier énorme & de la premiere espece, devoit être suspendu à un grand arbre assemblé sur sa sole, avec sa fourchette, son échelier, ses moises, enfin à-peu-près semblable à un gruau. Il devoit être appliqué & collé contre l’intérieur de la muraille de la ville, arrêté & assûré par de forts liens ou des anneaux de fer où l’on passoit des cordages qui embrassoient l’arbre au bout duquel le corbeau étoit suspendu. Ce levier énorme ainsi suspendu à un gros cable ou à une chaîne, & accolé contre son arbre, pouvoit produire des effets d’autant plus grands, que la puissance ou la ligne de direction se trouvoit plus éloignée de son point fixe, ou du centre du mouvement, en ajoûtant encore d’autres puissances qui tirent de haut en bas par des lignes de direction. Il y avoit à l’extrémité plusieurs grapins ou pattes d’ancres suspendues à des chaînes qu’on jettoit sur les vaisseaux lorsqu’ils approchoient à portée. Plusieurs hommes abaissoient cette bascule par le moyen de deux cordes en trelingage ; & dès qu’on s’appercevoit que les griffes de fer s’étoient cramponées, on faisoit un signal, & tout aussi-tôt on baissoit une des extrémités de la bascule, pendant que l’autre se relevoit & enlevoit le vaisseau à une certaine hauteur, qu’on laissoit ensuite tomber dans la mer en coupant le gros cable qui tenoit le vaisseau suspendu ». Comm. sur Polybe.

Quelques critiques se sont exercés sur cette description du corbeau d’Archimede, & sur la figure qu’en donne M. de Folard, p. 86, du prem. vol. de son commen. sur Polybe, édit. de Paris Voyez une lettre insérée sur ce sujet dans le cinq. vol. de la bibliot, raisonn. Mais malgré les difficultés dont peuvent être susceptibles quelques unes des descriptions des machines de guerre des anciens par M. le chevalier Folard, il faut convenir qu’il falloit la sagacité & la science de cet habile officier pour éclaircir ce que les auteurs de l’antiquité nous ont laissé sur cette matiere. Le commentaire sur Polybe tiendra toûjours un rang di-