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ment, c’est-à-dire que si les fils ont été tords de droite à gauche, la partie du premier fil comprise entre le toupin & l’émerillon qui sera en liberté, tendra à tourner de gauche à droite ; & effectivement elle tournera en ce sens par sa seule élasticité, en faisant tourner avec elle le crochet mobile de l’émerillon. De même, le second fil ayant été tors de droite à gauche, la partie de ce fil comprise entre le toupin & l’émerillon tendra aussi à se détortiller & à tourner de gauche à droite, & effectivement elle tournera dans ce sens par sa seule élasticité, en faisant tourner le crochet mobile de l’émerillon. Les deux fils tourneront donc dans le même sens, & s’ils étoient libres ils ne feroient que se détordre ; mais comme ils sont attachés au même crochet, ils ne peuvent tourner autour d’un même axe sans se rouler l’un sur l’autre ; c’est en effet ce qu’ils exécutent ; ils se tordent de nouveau ensemble, mais dans un sens opposé à celui dans lequel ils avoient été tortillés séparément. Le chanvre mou doit être un peu plus tortillé que le dur : il est avantageux de commettre le fil en bitord si-tôt qu’il est filé, & il est important que les fils soient égaux.

Du merlin. Quand le cordier veut faire du merlin, qui est composé de trois fils, après avoir tendu un fil depuis le crochet du roüet jusqu’au crochet de l’émerillon, il lui reste à étendre de même les deux autres fils ; pour aller plus vite, il prend ordinairement un fil sur le touret e, fig. 4. Pl. I. il le passe sur un petit touret de poulie, monté d’un crochet qui lui sert de chape, comme on voit en f ; il l’attache au crochet de la molette. Cela fait, il va en tenant le croc à poulie (c’est le nom de l’outil f) passer la portion du fil qui étoit sur le touret e, dans le crochet de l’émerillon, & revient au touret ; il coupe son fil de longueur ; il l’attache au troisieme crochet, & sa corde est ourdie. Alors il prend le toupin à trois rainures ; il le place entre les fils prés de l’émerillon ; on tourne la roüe du rouet, & sa corde à trois fils se commet comme le bitord. Nous observerons seulement qu’il y a de l’avantage à employer trois fils fins préférablement à deux fils gros pour une corde de même quantité de chanvre. C’est le résultat de l’expérience & du raisonnement.

Le bitord sert à fourrer les cordages, c’est-à-dire à les couvrir entierement ; on empêche aussi que le frottement ne les endommage, & que l’eau ne les pénetre ; il se fait de second brin. On le godronne presque tout, & on le plie en paquet de vingt-cinq brasses. Il y en a de fin & de gros ; le gros pour les gros cordages, le fin pour les cordages menus. On le commet tout en blanc. On le trempe tout fait dans la cuve pour le godronner.

Du lusin. Le lusin est un vrai fil retors ; il se fait de deux fils de premier brin, simplement tortillés l’un avec l’autre & non commis ; c’est le goudron qui l’empêche de se détordre. On s’en sert pour arrêter les bouts des manœuvres coupées quand elles ne sont pas grosses ; quand elles sont grosses on y employe le merlin. On ne conserve que peu de merlin en blanc.

Du fil de voile. Ce n’est qu’un bon fil retors. Pour le faire, on prend du chanvre le mieux peigné & le plus fin : on en étend deux longueurs de vingt brasses chacune ; on les attache à une molette du roüet, mais disposée de maniere que la corde la fait tourner en un sens opposé à celui qu’ont les molettes, quand l’ouvrier file à l’ordinaire. Ces deux fils sont peu commis, puisqu’ils ne se raccourcissent que de quatre brasses. Quand ce fil est fait, on le lisse, afin qu’il passe mieux quand on s’en servira à assembler des lés de toile à voile.

Des aussieres. On appelle de ce nom tout cordage commis après qu’on a donné aux fils un degré con-

venable d’élasticité par le tortillement ; ainsi le bitord

& le merlin sont à proprement parler des aussieres. Mais pour faire des cordages plus gros que ceux dont il a été question jusqu’ici, on réunit ensemble plusieurs fils qui forment des faisceaux : on tord à part chacun de ces faisceaux, comme nous avons dit qu’on tordoit les deux fils du bitord & les trois fils du merlin ; & ces faisceaux ainsi tortillés s’appellent torons : ainsi il y a des aussieres à deux, à trois, à quatre torons, &c. Nous donnerons d’abord la maniere de fabriquer celle à trois torons ; nous parlerons ensuite des autres.

Des quaranteniers. Les cordages en aussieres sont d’un grand usage dans la Marine ; il y en a de plusieurs grosseurs, depuis un pouce de circonférence, jusqu’à douze & par-delà. Les plus petits s’appellent quaranteniers ; & il y a des quaranteniers à six fils, à neuf, à douze, & à dix-huit. Les aussieres plus grosses se distinguent par leurs usages ; on les appelle garands de caliornes, garands de palans, rides, francs funins, itagues, haut-bans, &c. Quand ils n’ont point de destination déterminée, ils retiennent le nom générique d’aussieres. Ils se fabriquent tous de la même maniere. Dans les corderies du Roi, où l’on a de grands roüets, on commet ordinairement les quaranteniers à six & à neuf fils, de la même maniere que le merlin, à cela près seulement qu’en ourdissant les quaranteniers à six fils, on accroche deux fils à chacun des trois crochets du roüet, & que pour les quaranteniers à neuf on en attache trois à chaque crochet. Ils se travaillent de même que les merlins ; avec cette différence que quand les fils sont ourdis, on les tord pour les commettre dans un sens opposé à celui du tortillement. Entrons maintenant dans l’attelier des commetteurs des aussieres à plusieurs torons ; car il a ses dispositions & ses outils particuliers, & commençons par exposer sa disposition générale.

Cet attelier est, comme celui des fileurs, une galerie longue de deux cents brasses, ou de mille piés, large de six à sept brasses, ou de trente à trente-cinq piés. Aux deux bouts de cette galerie sont posés les supports des tourets, qui sont disposés de différente façon.

Des supports des tourets. On sait que le fil de carret est conservé dans les magasins sur des tourets ; on en tire la quantité dont on juge avoir besoin, & on les dispose sur des supports, de façon qu’ils puissent tourner tout à la fois sans se nuire les uns aux autres, afin que quand on veut ourdir une grosse corde, au lieu de faire autant de fois la longueur de la corderie qu’on veut réunir de fils ensemble, six fois, par exemple, si l’on a intention de faire un quarantenier à six fils, on puisse, en prenant six bouts de fils sur six tourets différens, ourdir sa corde tout d’une fois. C’est dans cette intention qu’on dispose au bout de la corderie les tourets sur des supports, qui sont quelquefois posés verticalement & d’autres fois horisontalement ; pour cela on pose à bas sur le plancher & par le travers de la corderie, une grosse piece de bois quarrée, dans laquelle on assemble un nombre de piés droits, (Planc. III. divis. prem.) plus ou moins, selon la largeur de la corderie ; le bout d’en-haut de ces piés droits est assemblé dans une autre piece de bois quarrée qui tient aux solives de la corderie ; les piés droits sont entaillés dans leur épaisseur, comme on le voit en B, & c’est dans ces entailles qu’on pose les essieux des roüets. Moyennant cette disposition, l’on peut réunir ensemble les bouts de plusieurs fils, & les étendre ainsi de toute la longueur de la corderie.

Dans beaucoup de corderies on les établit d’une autre façon plus solide & plus commode ; il faut imaginer deux assemblages de charpente CC, qui sont posés l’un sur l’autre, de telle sorte que l’un re-