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fils qui composent cet orbe, seront très-allongées, parce que le mouvement de ces fils sera très-peu différent de celui qu’éprouve le fil A. Les fils qui composent l’orbe C, sont plus éloignés du centre du mouvement, ils décriront une hélice plus courte qui enveloppera l’orbe B. Les révolutions de cet orbe C seront donc plus grandes que celles de l’orbe B ; donc les fils de cet orbe se raccourciront plus que ceux de l’orbe B : d’où l’on voit que les fils de l’orbe D se raccourciront encore plus que ceux des orbes qui seront plus près du centre A. Tous les fils qui composent un toron, sont donc dans des différens degrés de tension, lorsque le toron est tortillé ; ils résisteront donc inégalement aux poids qui les chargeroient : c’est un défaut qui devient d’autant plus grand, que les torons sont plus gros & plus tortillés. M. Duhamel a fait des tentatives très-délicates pour l’affoiblir, sinon pour l’anéantir ; mais il tient à des parties élémentaires de la corde, & à un si grand nombre de circonstances, qu’il lui a été impossible de réussir.

Du nombre de fils nécessaires pour une corde de grosseur donnée, & de la maniere de lui donner une longueur déterminée. Mais avant que de pousser plus loin la maniere de faire les cordes en aussiere à plusieurs torons, il est bon de savoir 1°. que les maîtres d’équipage fixent dans les ports la grosseur que doivent avoir les manœuvres relativement au rang & à la grandeur des vaisseaux ; & que si le maître cordier les faisoit plus grosses qu’on ne les lui a demandées, elles ne pourroient pas passer dans les poulies, ou elles y passeroient difficilement : plus menues, on pourroit craindre qu’elles ne fussent pas assez fortes. Un habile cordier doit donc en ourdissant ses cordages, savoir mettre à chaque toron un nombre de fils suffisant pour que quand la corde sera commise elle ait, à très-peu de chose près, la grosseur convenable. 2°. Qu’on demande aussi quelquefois une corde d’une longueur déterminée. Voici la pratique pour l’un & l’autre cas.

1°. De la grosseur & de la jauge. Les Cordiers ont une mesure pour prendre la grosseur des cordages, ils la nomment une jauge ; ce n’est autre chose qu’une laniere de parchemin divisée par pouces & par lignes, qu’on roule & qu’on renferme dans un petit morceau de bois qu’on appelle un barrilet, parce qu’il est tourné en-dessus comme un petit barril, & par dedans il est creusé comme un cylindre ; la bande de parchemin se roule & se renferme dans cet étui que l’on porte très-commodément dans la poche. On fait tenir par un ouvrier les trois torons réunis ensemble ; & quand tous les fils sont bien arrangés & bien serrés les uns contre les autres, on en mesure la grosseur, & on en conclut celle que la corde aura quand elle sera commise : assûrement lorsque les torons seront tortillés, les fils dont ils sont composés seront rapprochés les uns auprès des autres plus que ne le pouvoit faire celui qui les serroit entre ses mains ; ainsi occupant moins d’espace, le toron perdra de sa grosseur. Mais d’un autre côté les torons perdront de leur longueur à mesure qu’on les tortillera, & gagneront en grosseur une partie de ce qu’ils perdront en longueur. Ces deux causes qui doivent produire des effets contraires, se compensent à peu près l’une l’autre, ou du moins par l’usage on sait que ce qui manque à cette compensation, va à-peu-près à un douzieme de la grosseur des fils réunis & serrés dans la main. Ainsi quand un cordier veut faire une aussiere de 18 pouces, il donne à la grosseur de ces fils réunis 19 pouces 6 lignes, & par cette seule méchanique les Cordiers arrivent à peu de chose près à leur but ; si la corde étoit trop grosse pour l’empoigner & la mesurer tout-à-la-fois, le cordier donneroit à chaque toron un peu plus de

moitié de la circonférence de la corde qu’il voudroit commettre : ainsi pour avoir une aussiere de 18 pouces de circonférence, il donneroit à chaque toron un peu plus de 9 pouces de circonférence ; car la proportion des torons est à la grosseur de la corde, à très-peu près comme 57 à 100.

2°. De la longueur nécessaire des fils, pour ourdir une corde de longueur donnée. Nous avons dit en parlant du bitord & du merlin, que les fils se raccourcissoient quand on les tordoit pour leur faire acquérir le degré d’élasticité qui étoit nécessaire pour les commettre, & qu’ils perdoient encore de leur longueur quand on les commettoit en bitord ou en merlin ; ce raccourcissement des fils a lieu pour toutes les cordes, ce qui fait voir qu’il est nécessaire d’ourdir les fils à une plus grande longueur que la corde ne doit avoir. Mais qu’est-ce qui doit déterminer cette plus grande longueur qu’on doit donner aux fils ? c’est le degré de tortillement qu’on donne à la corde. Il est clair que les fils d’une corde plus tortillée doivent être ourdis à une plus grande longueur que ceux qui doivent faire une corde moins tortillée ; c’est pour cela qu’on mesure le degré de tortillement d’une corde, par le raccourcissement des fils qui la composent. Il y a des cordiers qui tordent au point de faire raccourcir leur fil de cinq douziemes ; si ceux-là veulent avoir une corde de sept brasses, ils ourdissent leur fil à douze brasses, & l’on dit que ces cordes sont commises à cinq douziemes. D’autres cordiers, & c’est le plus grand nombre, font raccourcir leur fil d’un tiers ; ceux-là ourdissent leur fil à douze brasses pour en avoir huit de cordage ; & on dit qu’ils commettent au tiers. Enfin si d’autres ne faisoient raccourcir leur fil que d’un quart, l’ayant ourdi à douze brasses, ils auroient neuf brasses de cordage ; & on diroit que ces cordages seroient commis au quart, parce qu’on compte toûjours le raccourcissement sur la longueur des fils ourdis, & non sur celle de la piece commise. C’est une grande question que de savoir à quel point il est plus avantageux de commettre les cordages, si c’est aux cinq douziemes, au tiers, au quart, au cinquieme, &c. L’usage le plus ordinaire, qu’on peut presque regarder comme général, est de commettre précisément au tiers. Cela posé, continuons la maniere de faire les cordes en aussieres à trois torons.

Suite de la main-d’œuvre des cordes en aussiere à trois torons. Nous pouvons maintenant supposer que les torons sont d’une grosseur & d’une longueur proportionnées à la grosseur & à la longueur des cordes qu’on veut faire ; qu’ils sont dans un degré de tension pareil ; qu’ils sont assujettis par une de leurs extrémités aux manivelles du chantier, & par l’autre aux manivelles du quarré ; qu’ils sont soûtenus dans leur longueur de distance en distance par des chevalets, & que le quarré est chargé d’un poids convenable. Tout étant ainsi disposé, la piece de cordage étant bien ourdie, il s’agit de faire acquérir aux torons le degré d’élasticité qui est nécessaire pour les commettre, & en faire une bonne corde. C’est dans cette vûe qu’on tortille les torons, ou, pour parier le langage des Cordiers, qu’on donne le tord aux torons.

Comme les torons se raccourcissent à mesure qu’on les tord, on défait l’amarre qui retenoit le quarré, afin de lui donner la liberté d’avancer à proportion que les torons se raccourcissent, & un nombre suffisant d’ouvriers se mettent aux manivelles, tant du chantier que du quarré. Ceux du chantier tournent les manivelles de gauche à droite, ceux du quarré de droite à gauche ; les torons se tortillent, ils se raccourcissent, le quarré avance vers le chantier proportionnellement à ce raccourcissement, & les ouvriers qui sont aux manivelles du quarré, suivent les mouvemens du quarré. Enfin quand les torons sont