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assez tortillés, ce qu’on connoît par leur raccourcissement, le maître ordonne qu’on cesse de tourner les manivelles ; & cette opération est finie, les torons ayant acquis l’élasticité nécessaire pour être commis.

Il paroîtroit plus convenable de tortiller les torons dans le même sens que les fils l’ont été, surtout après ce que l’on a dit du bitord & du merlin, qu’on tord & qu’on doit tordre avant de les commettre, dans le même sens que les fils ont été filés ; pourquoi donc les Cordiers tortillent-ils leurs torons dans un sens opposé au tortillement des fils ? Cette question mérite d’être éclaircie avec soin & avec exactitude.

Avant que de commettre le bitord, qui est composé de deux fils, & le merlin qui l’est de trois, on tortille les fils plus qu’ils ne l’étoient au sortir des mains des fileurs, afin d’augmenter leur élasticité, qui est absolument nécessaire pour commettre les cordages. Si dans ce cas on tordoit les fils dans un sens opposé à celui qu’ils ont au sortir des mains des fileurs, au lieu d’augmenter leur élasticité on détruiroit celle qu’ils ont acquise ; il convient donc de tordre ces fils dans le sens qu’ils l’ont déjà été par les fileurs. Mais, dira-t-on, cette raison ne doit-elle pas engager à tordre les torons qu’on destine à faire de gros cordages, dans le même sens que les fils l’ont été, de droite à gauche si les fils l’ont été dans ce sens ? Pour mieux concevoir ce qui se passe dans cette occasion, faites tordre deux torons, l’un dans le sens des fils, & l’autre dans un sens opposé, vous ne vous écarterez pas en cela de la pratique des Cordiers ; car quelquefois ils tordent effectivement les torons dans le sens des fils, pour faire certains cordages qu’on nomme de main torse, ou en garochoir. Quand on fait tordre un toron dans le sens des fils, on apperçoit que les fils se roulent les uns sur les autres, comme le font les fibrilles du chanvre quand on en fait du fil, mais outre cela les fils se tortillent un peu plus qu’ils ne l’étoient : examinez ce qui doit résulter de ce tortillement particulier des fils & de leur tortillement général les uns sur les autres. Les fils, en se roulant les uns sur les autres, acquierent un certain degré de tension qui bande leurs fibres à ressort, lesquelles par leur réaction tendent à se redresser & à reprendre leur premier état : ainsi la direction de leur mouvement quand elles se redresseront, sera contraire à la direction du mouvement qui les aura tortillées. On peut imaginer au centre de chaque toron un fil qui ne feroit que se tordre, si on tournoit les manivelles du chantier dans le même sens que les fils sont tortillés ; & l’on voit que tous les autres fils qui recouvrent celui qui est dans l’axe, l’enveloppent en décrivant autour de lui des hélices, qui sont d’autant plus courtes que les fils sont plus éloignés de ce premier fil qui est au centre. Suivant cette méchanique, les fils tendroient par leur force élastique à se redresser par un mouvement circulaire dont le centre est dans l’axe des torons : or c’est-là le mouvement qui est absolument nécessaire pour commettre les torons & en faire une corde. Si l’on examine à présent ce que peut produire le tortillement particulier de chaque fil sur lui-même, on sera obligé de convenir que plus les fils sont tortillés, plus ils acquierent de force élastique, & plus ils tendent à se détordre : mais quelle est la direction de cette réaction ? C’est par une ligne circulaire dont le centre du mouvement est dans l’axe de chaque fil, & non pas dans l’axe des torons ; chaque fil tendra donc à tourner sur lui-même, ce qui produira un mouvement dont l’effet est presque inutile pour le commettage de la corde, quoiqu’il fatigue beaucoup chaque fil en particulier. Ces fils sont à cet égard comme autant de ressorts qui travaillent chacun en particulier, mais qui ne concourent point à produire de concert l’effet desiré. Il faut néanmoins

remarquer que le tortillement que chaque fil acquiert dans le cas dont il s’agît, les roidit : or un toron composé de fils roides doit avoir plûtôt acquis la force élastique qui lui est nécessaire pour être commis, qu’un fil qui est mou, parce que les fils roides tendront avec plus de force à détordre les torons, que ne le feront dés fils mous. D’où il suit que si l’on tord les torons dans le sens des fils, on pourra se dispenser de les tordre autant que si on les tordoit dans un sens opposé à celui des fils ; ce qui pourroit faire croire qu’on gagneroit en force par la diminution du tortillement des torons, ce qu’on perdroit par le surcroît de tortillement qu’on donneroit aux fils. Pour que cette conséquence fût juste, il faudroit que toute l’élasticité que les fils acquierent chacun en particulier, fût entierement employée à procurer aux torons l’élasticité qui leur est nécessaire pour se commettre : or cela n’est pas.

Voyons maintenant ce qui arrive lorsqu’on tortille les torons dans un sens opposé au tortillement des fils. A mesure qu’on tortille les torons, les fils se détordent ; néanmoins les torons acquierent peu-à-peu l’élasticité nécessaire pour les commettre : il faut nécessairement tordre plus les torons, quand on le fait en sens contraire des fils ; que quand on les tord dans le même sens ; mais dans ce dernier cas la diminution du tortillement des torons ne compense point le tortillement particulier des fils, qui prennent des coques & qui deviennent dures & incapables de se préter sans dommage aux contours qu’on leur fait prendre ; au lieu que quand on tord les torons dans un sens opposé au tortillement des fils, les fils qui perdent une partie de leur tortillement, deviennent souples & plus capables de prendre toutes les formes nécessaires.

Les cordages qu’on nomme de main torse, & à Rochefort des garochoirs, ne different donc des aussieres ordinaires qu’en ce que les derniers ont leurs torons tortillés dans un sens opposé au tortillement des fils, & que les mains torses au contraire ont leurs torons tortillés dans le même sens que les fils, ensorte qu’on profite d’une partie de l’élasticité des fils pour commettre la corde ; c’est pour cela que les torons n’ont pas besoin d’être tant tortillés pour acquérir l’élasticité qui leur est nécessaire pour être réduits en corde : aussi se raccourcissent-ils beaucoup moins, & par conséquent la corde reste plus longue, c’est un avantage pour l’économie des matieres. Il reste à savoir s’il est aussi favorable pour la force des cordes, pour cela il faut avoir recours à l’expérience ; mais auparavant il faut remarquer que quand on tord les torons dans le sens des fils, si on ne charge prodigieusement le quarré, tous les fils prennent d’intervalle en intervalle des coques ou des commencemens de coques ; & pour peu qu’on continue à donner du tortillement aux torons, on apperçoit visiblement que cela dérange la direction du chanvre dans les fils, & produit des inégalités de tension pour chaque fil : d’ailleurs, puisque dans les mains torses le fil se tord plus qu’il ne l’étoit, & que dans les aussieres le fil se détord un peu, on doit regarder les mains torses comme étant faites avec du fil extrèmement tortillé, & les aussieres avec du fil beaucoup plus mou. Or il a été dit, en parlant des fileurs, que ce dernier cas est le plus avantageux, & l’expérience l’a confirmé.

Suite de la main-d’œuvre. On a vû à l’occasion du bitord & du merlin, qu’il falloit que les fils qui composent ces menus cordages fussent d’égale grosseur, & dans un égal degré de tension & de tortillement : il en est de même des torons ; & les Cordiers prennent des précautions pour qu’ils soient également gros & également tendus : il faut de plus qu’ils ne soient pas plus tortillés les uns que les autres ; c’est pourquoi les maîtres Cordiers recommandent aux