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quarré n’avoit pas une certaine pesanteur, il est clair qu’il ne satisferoit pas à ce qu’on en attend ; les torons ne seroient pas tendus, & le cordier ne pourroit pas juger si sa corde a été bien ourdie. Pour peu qu’un des torons fût plus tendu que les autres, la direction du quarré seroit changée, il se mettroit de côté. Comme le traîneau éprouve nécessairement plus de frottement dans des tems que dans d’autres, quand, après que le quarré auroit éprouvé quelque résistance, il se trouveroit sur un plan bien uni, les torons élastiques le tireroient par une secousse à laquelle il obéiroit à cause de sa légereté, & bientôt sa marche seroit dérangée. Enfin, pour que le toupin courre bien, ce qui est toûjours avantageux, il faut que le quarré fasse quelque résistance ; car qui est-ce qui fait marcher le toupin ? c’est la pression des torons, c’est l’effort qu’ils font pour se commettre, ou par leur élasticité, ou par l’effet de la manivelle du quarré, qui fait qu’ils s’enveloppent les uns dans les autres. Si le quarré ne résistoit pas à un certain point, s’il obéissoit trop aisément à la tension des torons, il se rapprocheroit trop vîte du chantier, pendant que le toupin iroit lentement, à cause qu’il seroit moins pressé par les torons : il est donc évident qu’il faut que le quarré fasse une certaine résistance.

Mais si au contraire le quarré étoit extrèmement chargé, il en résulteroit d’autres inconvéniens : car comme c’est le raccourcissement des torons causé par le tortillement, qui oblige le quarré de se rapprocher du chantier ; comme il faut, par exemple, plus de force pour tirer six quintaux sur un plan que pour en tirer trois, il faudra que la tension des torons soit double pour faire avancer le quarré qui pesera six quintaux, de ce qu’elle seroit pour le faire avancer d’une pareille quantité s’il ne pesoit que trois quintaux. Les torons sont donc tendus proportionnellement à la charge du quarré, parce que la tension des torons vient du tortillement qu’on leur donne : donc le tortillement augmente proportionnellement à la tension, & la tension proportionnellement à la résistance du quarré ou à son poids, de sorte que le poids du quarré pourroit être tel que sa résistance seroit supérieure à la force des torons, alors ils romproient plûtôt que de le faire avancer. C’est ce qui est arrivé plusieurs fois dans les corderies, sans que pour cela les Cordiers qui voyoient rompre un toron sur leur chantier, pensassent à chercher la cause de cet accident : ils envisagent seulement que plus un cordage est serré, plus il paroît uni, mieux arrondi, & qu’on apperçoit moins ses défauts ; mais ils ne font pas attention que ce cordage est tellement affoibli par l’énorme tension que ses fils ont éprouvée, que quantité de ces fils sont rompus, & que les autres sont tout prêts à rompre par les efforts qu’ils auront à éprouver. Cependant on voit les tournevires, les rides de haubans, les haubans même, &c. se rompre ; on examine les cordages, on voit que la matiere en est bonne, que le fil est uni & serré, que la corde est bien ronde, & cela suffit pour disculper le cordier ; l’on ne veut pas voir que ce fil n’est uni que parce qu’il est très-tortillé, & que la corde n’est bien ronde que parce que les fibres du chanvre qui la composent, sont dans une tension si prodigieuse qu’ils sont tout prêts à se rompre ; le maître cordier lui-même qui a vû les fils & même les torons rompre sur son chantier, ne fait pas des réflexions si naturelles, & continue obstinément à suivre sa mauvaise pratique.

Nous ne prétendons pas que pour faire de bonnes cordes il suffise de diminuer la charge du quarré ; car il paroît évident qu’en mettant une grande charge sur le quarré, & raccourcissant peu les torons, on pourroit avoir une corde de même force que si l’on

chargeoit peu le quarré, & qu’on raccourcît les torons d’une plus grande quantité. Par exemple, si pour avoir deux aussieres de 120 brasses on en ourdit une à 180, & qu’on charge le quarré seulement de 320 livres ; qu’on ourdisse l’autre seulement à 160 brasses, mais qu’on charge le quarré de 360 livres, peut-être ces deux cordes étant réduites à 120 brasses seront-elles d’égale force. Nous disons peut-être, parce que nous ne sommes pas sûrs que dans cet exemple la charge du quarré soit assez différente pour compenser la différence que nous avons supposée dans le raccourcissement des torons ; nous voulons seulement donner à entendre par cet exemple l’effet qui peut résulter de la différente charge qu’on met sur le quarré : mais pour être encore plus certain de l’effet que la charge du quarré peut faire sur la force des cordes, il faut consulter l’expérience.

On a fait faire avec de pareil fil deux aussieres tout-à-fait semblables, qui toutes deux étoient commises au tiers, mais la charge du quarré étoit différente pour l’une & pour l’autre ; si l’on avoit suivi l’usage du cordier, on auroit mis, y compris le poids du quarré, 550 livres. Pour une de nos aussieres nous avions augmenté ce poids de 200 livres, ce qui faisoit 750 livres, & pour l’autre nous l’avions diminué de 200 livres ; ainsi le poids du quarré n’étoit que de 350 livres, & la différence de la charge du quarré pour ces deux cordages étoit de 400 livres : c’étoit la seule, car chaque bout de ces cordages pesoit, poids moyen, 7 livres 11 onces 4 gros. Voyons quelle a été leur force. Chaque bout du cordage dont le quarré n’avoit été chargé que de 350 livres, a porté 5425 livres. Et chaque bout du cordage dont le quarré avoit été chargé de 750 livres, n’a pû porter force moyenne, plus de 4150 livres. D’où l’on voit combien il est dangereux de trop charger le quarré. Mais il convient de rapporter ici quel est l’usage de la plûpart des maîtres Cordiers. Il y en a qui mettent sur le quarré le double du poids du cordage ; par exemple, s’ils veulent commettre un cable de douze pouces de circonférence, sachant qu’un cordage de cette grosseur & de 120 brasses de longueur pese à-peu-près 3400 à 3500 livres, ils mettront sur le quarré 6800 livres. D’autres diminuent un douzieme, & ils mettront sur le quarré 6235 livres. A Rochefort, on met sur le quarré le poids de la piece, plus la moitié de ce poids ; ainsi supposant toûjours que le cable de 12 pouces pese 3400 livres, ils chargent le quarré de 5100 livres. Assûrément cette méthode ne fatigue pas tant les fils que la précédente. Cependant on a trouvé que quand les cordes étoient moins longues, elles se commettoient très-bien en n’ajoûtant que le tiers ou le quart au poids de la corde ; ainsi dans le cas dont il s’agit, si la corde n’avoit que 60 brasses de long, on pourroit ne mettre sur le quarré que 4533 livres ; ou même si elle étoit encore plus courte, 3825 livres suffiroient : en un mot, pourvû que l’on ne tombe pas dans l’excès de charger le quarré de presque le double du poids de la piece, il n’y a pas grand inconvénient à suivre la méthode de Rochefort, surtout pour les cordages qu’on ne commet pas bien serré ; car ayant fait commettre un cordage au quart avec le quarré plus chargé qu’à l’ordinaire, & un pareil cordage au tiers, le quarré étant moins chargé qu’à l’ordinaire, le cordage commis au quart s’est trouvé le plus fort : ce qui prouve qu’il y a plus d’avantage pour la force des cordes, de diminuer de leur raccourcissement, que de diminuer de la charge du quarré.

Nous croyons qu’on est maintenant assez instruit de la Corderie pour comprendre les considérations suivantes, que l’on peut regarder comme les vrais principes de l’art.

De la force des cordes, comparée à la somme des for-