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d’environ un pié ; alors on pourra les mettre en pepiniere, où il faudra les conduire comme les plants de poirier. Après y avoir passé quatre années, ils auront communément quatre piés de haut, & il leur faudra bien encore autant de tems pour qu’ils soient en état d’être transplantés à demeurant. Ainsi en supposant même qu’on ait aidé ces plants par une culture bien suivie, on ne peut guere compter de les avoir un peu forts que dix ou douze ans après les avoir semés.

Mais comme le cormier reussit à la transplantation peut-être mieux qu’aucune autre espece d’arbre, le plus court moyen de s’en procurer quelques plants, sera d’en faire arracher dans les bois : par-là on s’épargnera bien du tems ; car ils souffriront la transplantation quoique fort gros. J’en ai vû réussir dans les plantations de M. de Buffon, en ses terres de Bourgogne, qui avoient plus d’un pié de tour, & au moins ving-cinq de hauteur Tout cet acquis de volume ne dispense pas d’attendre encore une dizaine d’années pour les voir donner du fruit. Mais quoique ces arbres reprennent très-aisément à la transplantation, que l’on ne s’imagine pas pour cela qu’il n’y ait qu’à en garnir des terreins incultes pour avoir tout à coup une forêt ; on y seroit fort trompé : la premiere année ils y feroient des merveilles, il est vrai ; mais les deux ou trois années suivantes leur accroissement diminueroit de plus en plus, jusqu’au point qu’enfin ils ne pousseroient qu’au pié, & qu’alors il faudroit les recéper. Il faut donc à ces arbres transplantes une demi culture, telle qu’ils peuvent la trouver dans les vignes, les enclos, les terres labourables, &c. Mais quand le cormier est venu de semence dans l’endroit même, il réussit presque par-tout sans aucune culture.

On peut greffer cet arbre sur le poirier & sur le pommier, ou il reprend bien rarement ; sur le coignassier, suivant le conseil d’Evelyn ; & particulierement sur l’aubepin, où il réussit très-bien, au rapport de Porta. Comme le cormier se trouve plus fréquemment en Italie que nulle autre part, on peut s’en rapporter à cet auteur qui étoit Napolitain. Cet arbre peut aussi servir de sujet pour la greffe du poirier, qui y réussit difficilement ; du coignassier & de l’aubepin, qui y prennent mieux, mais qui sont des objets indifférens.

Les cormes ne laissent pas d’avoir quelqu’utilité : on peut en manger dans le milieu de l’automne, aussitôt que la grande âpreté du suc de ce fruit a été altérée par la fermentation qui en occasionne la pourriture. Les pauvres gens de la campagne en font quelquefois de la boisson ; & même ils font moudre de ces fruits secs avec leur blé, lorsqu’il est chargé d’yvraie, pour en atténuer les mauvais effets. Voyez Corme.

Le bois du cormier est rougeâtre, compacte, pesant, & extrèmement dur ; d’une grande solidité, d’une forte résistance, & de la plus longue durée ; aussi est-il très-recherché pour quantité d’usages. Il est excellent pour la menuiserie, pour faire des poulies, des visses de pressoir, des poupées de tour, des jumelles de presse, & pour toutes les menues garnitures des moulins. Il est très-propre à recevoir la gravure en bois. Les Armuriers s’en servent pour la monture de quelques armes ; & les Menuisiers le préferent pour les manches & les garnitures d’affutage de leurs outils. Ce bois est rare, & fort cher ; quoiqu’on puisse employer la plus grande partie des branches du cormier, parce qu’il est sans aubier.

Voici les différentes especes ou variétés du cormier les plus connues jusqu’à présent.

Le cormier franc. C’est celui que l’on trouve le plus communément dans les enclos & dans les héritages.

Le cormier à fruit en forme de poire.

Le cormier à fruit en façon d’œuf. Les fruits de ces deux dernieres especes sont les plus âpres & les plus austeres de tous.

Le cormier à fruit rouge. Ce fruit est plus gros & d’un meilleur goût que ceux des especes précédentes.

Le cormier à fruit rougeâtre. Ce fruit est aussi gros que celui de l’arbre qui précede, mais inférieur pour le goût.

Le cormier à petit fruit rouge. Ce fruit est moins moelleux & plus tardif que ceux des autres especes ; aussi n’est-il pas trop bon à manger.

Le cormier à fruit très-petit. Quoique le fruit de cet arbre soit le plus petit de tous, il est assez agréable au goût.

Le cormier du Levant à feuille de frêne.

Le cormier du Levant à gros fruit jaunâtre. Ces deux dernieres especes sont si rares, qu’on ne les connoît encore que sur le récit de Tournefort, qui les a trouvées dans le voyage qu’il a fait au Levant.

Le cormier sauvage ou le cormier des oiseleurs. Cette espece est très-différente de celles qui précedent, sur-tout des sept premieres, qui ne sont que des variétés occasionnées par la différence des climats ou des terreins. Ce cormier ne fait pas un si grand arbre que tous les autres : il donne de bien meilleure heure au printems de plus grandes feuilles, & d’une verdure plus tendre & plus agréable. Ses fleurs disposées en ombelle, sont plus blanches, plus hatives, & plus belles ; elles ont même une odeur qui est supportable de loin. Il y a encore plus de différence dans le fruit de cet arbre ; ce sont des baies d’un rouge vif & jaunâtre, qui se font remarquer en automne : quoiqu’elles soient desagreables au goût, & nuisibles à l’estomac, elles sont si recherchées de quelques oiseaux qui en font leurs délices, que cet arbre les attire, & sert particulierement à les piper. Il croît plus promptement, se multiplie plus aisément, & donne bien plûtôt du fruit. Il résiste dans des climats froids, & jusque dans la Laponie. Il vient dans presque tous les terreins ; il se plaît également dans les fonds marécageux, & sur la crête des montagnes. On peut même tirer quelque parti de cet arbre pour l’agrément : il montre tout des premiers, & des le mois de Mars, une verdure complette, qui jointe à ses fleurs en grands ombelles qui paroissent à la fin d’Avril, & à la belle apparence de ses fruits en automne, doit lui mériter d’avoir place dans les plus jolis bosquets.

On peut le multiplier de graines qu’il faut semer au mois d’Octobre, & qui leveront au printems suivant ; ou bien par sa greffe, que j’ai vû réussir parfaitement sur l’aubepin, si ce n’est que par ce moyen l’arbre ne s’éleve guere qu’à douze ou quinze piés ; ce qui est fort au-dessous du volume qu’il peut acquérir lorsqu’il est venu de semence. M. Miller dit en avoir vû dans quelques contrées d’Angleterre qui avoient près de quarante piés de hauteur sur deux piés de diametre, mais que dans d’autres endroits cet arbre ne s’élevoit qu’à vingt piés. Sa tige est menue, fort droite, & d’une belle écorce unie où la couleur fauve domine. Son bois est fort estimé pour le charronnage & pour d’autres usages, parce qu’il est tout de cœur, & presqu’aussi dur que celui du cormier ordinaire.

La plûpart des auteurs françois qui ont traité de l’Agriculture, ont souvent donné au cormier le nom de sorbier, & ont employé ces deux noms indifféremment en traitant du cormier. Ne s’entendroit-on pas mieux par la suite si on ne donnoit le nom de cormier qu’aux neuf premieres especes que j’ai rapportées, & si on appliquoit particulierement le nom de sorbier à la derniere espece, qui se distingue des autres par des différences si sensibles ? (c)