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pour faire le phosphore) sans se fendre & sans se rompre. C’est sans doute le défaut de pareilles cornues qui fait que les Allemands, qui vantent d’ailleurs tant leur terre de Hesse, n’employent que les cornues de verre dans presque toutes leurs opérations. M. Margraff s’est servi de cornues de verre pour la distillation du phosphore ; Hoffman, pour la distillation de l’acide nitreux, fumant, &c. Nous faisons ces opérations bien plus commodément dans nos bonnes cornues de terre. Voyez Cornues de verre, dans la suite de cet article.

M. Rouelle a fait faire en Normandie des cornues qui étoient de la même espece de grais que les petits pots à beurre de Bretagne, que tout le monde connoît. Ce grais est très-bien cuit, & les cornues qui ont été faites de la même terre, & cuites au même feu, sont excellentes : mais comme elles sont sujettes à se fendre lorsqu’on commence à les échauffer, & à se casser dans le cours des distillations, pour peu que le feu se rallentisse & que l’air froid les frappe, on ne doit pas hésiter à leur préférer celles qui nous viennent de Picardie, qui n’ont pas à beaucoup près les mêmes inconvéniens que celles de Normandie. Nous aurons occasion de parler de ce grais de Normandie au mot creuset. Voyez Creuset.

Les cornues de Picardie sont non-seulement excellentes pour faire toutes les distillations dont nous avons parlé, mais comme elles peuvent souffrir le plus grand degré de feu, elles seront encore fort propres à toutes les expériences que l’on pourroit tenter sur certaines substances métalliques que l’on voudroit traiter à un grand feu, & sans le contact de l’air ; ainsi on s’en servira très-bien pour la réduction des différentes chaux de zinc, & pour faire l’essai de la calamine, suivant le procédé qu’en a donné M. Margraff, dans un mémoire imprimé parmi ceux de l’acad. de Berlin, ann. 1746. Voyez Zinc.

Il y a une sorte de vaisseau de terre appellé cuine, qui ne differe de la cornue que parce qu’il a une base applatie, & le cou beaucoup plus court. Les distillateurs d’eau-forte s’en servent pour retirer l’acide du nitre & du sel marin. La cuine a été autrefois mise en usage par les Chimistes : mais comme c’est le propre des arts pratiques de rectifier & de retrancher tout ce que l’expérience nous apprend, ou ne rien valoir, ou du moins être peu commode, les Chimistes modernes l’ont absolument rejettée ; & cela avec raison, ce vaisseau ayant de si grands défauts qu’il ne peut être employé dans aucune distillation qui demande de l’exactitude.

Pour ce qui est de la maniere d’employer la cornue de grais, de la luter, de l’appareiller, de l’échauffer, &c. & des précautions qu’il faut prendre pour la conserver & l’empêcher de se casser, lorsque l’opération étant finie on laisse tomber le feu ; tout cela, dis-je, est détaillé exactement à l’article distillation (voyez Distillation), & au mot lut. Voyez Lut.

Les cornues de verre sont d’un usage tout aussi étendu que celles de grais ou de terre ; elles nous fournissent un moyen commode de distiller un nombre infini de matieres, qui étant ou fort volatiles, ou du moins d’une médiocre fixité, n’ont pas besoin d’un très-grand degré de feu. Ce n’est pas qu’on ne puisse leur en faire soûtenir un plus grand, puisqu’on peut très-bien les faire rougir (on sait que le verre rougit longtems avant que de fondre), & par conséquent s’en servir pour la distillation de toute substance animale & végétale, ces deux regnes s’analysant à ce degré de feu. Voyez Végétaux & Animaux. Nous avons observé ci-dessus que les Allemands n’en employoient presque pas d’autres, même dans la plûpart des opérations qui demandent un feu très-long-tems continué à un degré beaucoup

supérieur à l’eau bouillante, puisque M. Margraff s’en est servi pour la distillation du phosphore. Nous examinerons au mot Phosphore, s’il a eu raison, & s’il n’en auroit pas tiré davantage en se servant d’une cornue de terre. Voyez Phosphore.

Les cornues de verre ont, outre la fragilité ordinaire à tous vaisseaux faits de cette matiere, le défaut de se fêler fort aisément, soit lorsqu’on commence à les échauffer, soit lorsqu’étant trop chaudes l’air froid vient à les frapper ; inconvéniens auxquels on ne remédie qu’en prenant de grandes précautions, dont les principales sont 1°. d’avoir des cornues fort minces, & d’un verre bien égal, c’est-à-dire qui ne soit pas plus épais dans un endroit que dans un autre ; 2°. de luter celles qu’on doit placer dans le fourneau de reverbere ; 3°. de les chauffer peu-à-peu & également ; 4°. de faire ensorte que la partie qui n’est point enfermée dans le fourneau, ou qui n’est point recouverte de sable, soit à l’abri du contact de l’air ; 5°. d’administrer à celles qui sont au bain de sable le feu avec prudence, l’art ne nous fournissant point d’autre moyen de diminuer la chaleur de ce bain une fois trop échauffé, qu’en faisant prendre l’air à la cornue ; ce qui l’expose à se casser. Voyez Bain de sable & Distillation.

La plûpart des chimistes préferent dans bien des cas la cornue de verre à l’alembic de même matiere, & certainement avec raison ; car outre que la cornue soûtient mieux le feu que l’alembic, elle a encore un avantage considérable, qui est de fournir un appareil qui a le moins de jointures qu’il est possible. Voyez tout ce qu’il y a à observer sur le manuel de la distillation, au mot Distillation.

Nous nous servons à Paris de deux sortes de cornues de verre, les unes connues sous le nom de verre de Lorraine, & les autres sous le nom de verre blanc.

Les cornues de Lorraine sont presque rondes, & d’un verre brun, qui quoiqu’assez mauvais, ne laisse pas que de supporter le feu nud lorsque la cornue a été bien lutée ; aussi nous en servons-nous avec succès pour la concentration de l’acide vitriolique, qui exige un degré de feu assez fort. Voyez Acide vitriolique au mot Vitriol. Elles sont excellentes pour la rectification des autres acides & des huiles fœtides, pour faire le beurre d’antimoine, celui d’arsenic, la liqueur fumante de Libavius : ce sont ces cornues que nous employons pour unir l’acide vitriolique au mercure, dans la préparation du turbith minéral ; enfin ces cornues sont fort propres à la distillation d’une petite quantité de matieres résineuses, &c. en vûe d’analyse. On pourroit très bien s’en servir pour la distillation des acides minéraux à la façon de Glauber ; mais il y auroit à craindre que la chaleur qui s’excite lorsqu’on vient à verser l’acide vitriolique sur le nitre ou le sel marin, ne les fît casser : on fera donc mieux d’avoir recours à la cornue de grais.

L’autre espece de cornue dont nous nous servons communément à Paris, & que nous avons dit être connue sous le nom de verre blanc, est d’une figure presque ovale, d’un verre fort mince, très blanc, & ordinairement assez bien soufflé ; nous n’employons ces sortes de cornues qu’au bain de sable, par le moyen duquel on peut leur donner un feu très-supérieur à l’eau bouillante. Nous nous en servons pour distiller tout liquide très-volatil & précieux, comme l’éther, & pour rectifier l’huile animale de Dipellius, les huiles essentielles, & celle de succin, la premiere seule & sans intermede, les autres par le moyen de l’eau ; voyez Huile animale, Huile essentielle, & Succin. Lorsque l’ovale de ces cornues est un peu allongé, nous appellons ces vaisseaux cornues à l’Angloise. L’élevation que cette forme leur donne, les rend très-propres à