Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quand l’affranchi s’étoit obligé par serment de faire autant de corvées que le patron voudroit, cela devoit s’exécuter modérément, sinon on les régloit arbitrio boni viri.

Les corvées officieuses ne passoient point aux héritiers du patron, mais seulement celles qu’on appelloit fabriles ; & à l’égard de celles-ci, lorsqu’il en étoit dû plusieurs, & que l’affranchi laissoit plusieurs héritiers, l’obligation se divisoit entr’eux.

Telles sont les principales regles que l’on observoit chez les Romains pour les corvées dûes par les affranchis à leurs patrons, ou entre d’autres particuliers.

A l’égard des charges publiques appellées tantôt munus publicum, tantôt onus & aussi obsequia, c’est-à-dire devoirs, par où l’on désignoit tous les travaux publics ; c’étoient aussi des especes de corvées, & qui étoient dûes par tous les sujets. On les distinguoit en charges personnelles, patrimoniales, & mixtes. On appelloit corvées ou charges personnelles, celles qui ne consistoient qu’en travail de corps ; patrimoniales ou réelles, celles où le possesseur d’un fonds étoit taxé à fournir tant de chariots, ou autres choses, suivant la valeur de son héritage. Le droit de gîte, par exemple, étoit une corvée réelle ; les pauvres qui ne possédoient point de fonds n’étoient pas sujets à ces corvées réelles. On ne connoissoit alors d’autres corvées réelles, que celles qui étoient établies par une taxe publique ; il n’y en avoit point encore d’établies par le titre de concession de l’héritage : enfin les mixtes étoient des travaux de corps auxquels chacun étoit taxé à proportion de ses fonds.

Personne n’étoit exempt des corvées ou charges publiques patrimoniales, c’est-à-dire réelles, ni les forains, ni les vétérans, ni les ecclésiastiques, même les évêques ; aucune dignité ni autre qualité n’en exemptoit les philosophes, les femmes, les mineurs : tous étoient sujets aux corvées réelles, c’est-à-dire dûes à cause des fonds. On ne pouvoit s’en exempter que quand c’étoient des ouvrages du corps, que l’âge ou l’infirmité ne permettoient pas de faire.

L’origine des corvées en France vient des lois Romaines, que les Francs trouverent établies dans les Gaules, lorsqu’ils en firent la conquête. Les rois de la premiere & de la seconde race puiserent la plûpart de leurs ordonnances dans ces lois ; & elles continuerent d’être le droit principal de plusieurs provinces, qu’on appella de-là pays de droit écrit. Il y eut même plusieurs dispositions adoptées dans nos coûtumes, qui avoient aussi été empruntées du droit Romain.

Il ne faut donc pas s’étonner si les corvées usitées en France, même dans le pays coûtumier, sont une imitation du droit Romain. Les seigneurs qui, dans les commencemens de la monarchie, ne tenoient leurs seigneuries qu’à titre d’offices & de bénéfices à vie ou à tems, vers la fin de la seconde race & au commencement de la troisieme, se rendirent propriétaires de leurs seigneuries ; ils usurperent la puissance publique & tous les droits qui en dépendoient. Ils traiterent leurs sujets comme des esclaves ; ou s’ils les affranchirent, ce ne fut qu’à des conditions onéreuses, & sous la reserve de certaines corvées. Ils s’attribuerent ainsi les devoirs dont les affranchis étoient tenus envers leurs patrons ; ils appliquerent de même à leur profit particulier les charges dont leurs sujets étoient tenus envers l"état, & par ce moyen s’attribuerent toutes les corvées publiques & particulieres : aussi trouve-t-on dans le droit Romain toutes les mêmes corvées qui sont présentement en usage parmi nous, soit en pays de droit écrit, soit en pays coûtumier.

On distingue parmi nous, comme chez les Ro-

mains, deux sortes de corvées ; savoir publiques, &

particulieres.

Les corvées publiques sont celles qui sont dûes pour le service de l’état, ou pour l’intérêt commun d’une province, d’une ville ou d’une communauté d’habitans ; le Prince est le seul qui puisse les ordonner quand il le juge à propos.

Les corvées particulieres sont celles qui sont dûes à quelques seigneurs, en vertu de la loi du pays ou de quelque titre particulier, ou d’une possession qui tient lieu de titre.

La plûpart des corvées particulieres ont été acquises, comme on l’a dit, par usurpation ; mais depuis que les coûtumes ont été rédigées par écrit, on a eu l’attention de n’admettre aucune de ces servitudes, si elles ne paroissent fondées sur une cause & un titre légitime.

Les capitulaires de nos rois, & les ordonnances d’Orléans & de Blois, défendent de les exiger, si elles ne sont fondées en titre.

Tous les auteurs, tant des pays de droit écrit que des pays coûtumiers, conviennent unanimement que la possession sans titre ne suffit pas pour les établir.

En pays de droit écrit, les corvées peuvent être stipulées par le bail à fief, & sont réputées un droit seigneurial ; elles sont reportées dans les terriers, comme étant des droits de la seigneurie, & néanmoins elles n’y entrent pas dans l’estimation des rentes seigneuriales. On peut les acquérir du jour de la contradiction, lorsque les sujets les ont servis depuis pendant trente ou quarante ans sans réclamer.

En Auvergne les corvées de justice qui sont à merci & à volonté, sont seigneuriales, mais non celles qui sont de convention.

En pays coûtumier on ne les considere point comme un droit ordinaire des seigneuries & justices, mais comme un droit exorbitant & peu favorable, qui ne reçoit point d’extension, & doit être renfermé dans ses justes bornes.

Le droit commun veut qu’on ne puisse les exiger sans titre : il y a néanmoins quelques coûtumes qui semblent se contenter de la possession ; telles que Bassigny, art. 40. qui admet titre ou haute possession ; de même Nivernois, ch. viij. art. 4 & 5. On tient aussi en Artois que vingt ans de possession suffisent.

La coûtume de Paris, art. 71. requiert titre valable, aveu & dénombrement ancien.

Le titre, pour être valable, doit être consenti par tous ceux contre lesquels on prétend s’en servir.

Il faut aussi que cet acte ait une cause légitime, & qui ait tourné au profit des corvéables, tel qu’un affranchissement ou une concession de communes, bois, pâtures.

Un aveu seul, quelqu’ancien qu’il fût, ne formeroit pas seul un titre, étant à l’égard des corvéables res inter alios acta ; il faut qu’il y en ait au moins deux conformes, passés en différens tems, & qu’ils ayent été suivis d’une possession publique & non interrompue, & qu’il y ait preuve par écrit que les corvées ont été servies à titre de corvées, & non autrement.

Toutes ces preuves ne seroient même admissibles que pour des corvées établies avant la réformation de la coûtume ; car l’art. 186 portant que nulle servitude sans titre, cela doit présentement s’appliquer aux corvées qui sont de véritables servitudes.

On ne connoît plus parmi nous ces corvées appellées fabriles chez les Romains. On pouvoit stipuler que l’affranchi qui avoit quelque talent particulier, comme de peindre, ou d’exercer la Médecine ou autre Art libéral, seroit tenu d’en travailler pour son patron ; mais en France, où les corvées