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qu’on en pût douter. En effet, il n’y eut peut-être jamais d’empressement pareil à celui qu’on témoigna pour la voir ou pour la faire, tant on avoit de peine à croire le merveilleux qu’on en racontoit. Nos physiciens étoient accablés de gens, qui demandoient à s’assurer par eux-mêmes de ce qui en étoit ; elle faisoit le sujet de la conversation ordinaire à la ville & à la cour. Enfin les choses allerent au point que l’électricité, qui jusques-là avoit été renfermée dans les cabinets des physiciens, se donna en spectacle pour de l’argent ; des gens avec des machines à électricité s’étant établis dans les foires, & ayant couru les villes & les provinces pour satisfaire à l’envie que l’on témoignoit, comme nous l’avons dit, de toutes parts de faire cette célebre expérience.

C’est ainsi que la Physique venge, si cela se peut dire, de tems en tems les Physiciens du peu de cas que le peuple (& il y en a de plus d’une espece) fait de leurs occupations : elle leur offre des faits si singuliers & si extraordinaires, que les moins curieux ne peuvent s’empêcher de sortir de leur indifférence, pour venir les admirer.

Quelque singulier & extraordinaire que l’empressement dont nous venons de parler puisse paroître, on voit cependant qu’il a une espece de fondement dans la nature de la chose elle-même. En effet, tous les différens phénomenes que nous offre la Physique ne piquent pas également la curiosité ; il y en a beaucoup où il n’y a point à admirer pour qui ne sait pas penser ; mais dans celui-ci le merveilleux s’y voit, s’y ressent pour ainsi dire. Quoi de plus surprenant, en effet, qu’une bouteille qui ne produit aucune sensation, qui paroît n’avoir apporté aucun changement à votre état, & dont l’effet est tel cependant, que lorsque vous l’empoignez, l’étincelle que vous tiriez auparavant du conducteur sans aucune conséquence en n’éprouvant qu’une légere douleur, vous fait ressentir alors une violente commotion dans les bras & dans la poitrine si brusquement & avec tant de rapidité, qu’il est impossible de l’exprimer.

C’est à Leyde que cette fameuse expérience se fit pour la premiere fois, au commencement de Janvier de l’année 1746. Comme l’on fut quelque tems avant de savoir précisément qui en étoit l’auteur, M. l’abbé Nolet lui donna le nom d’expérience de Leyde’ & le merveilleux de ses effets paroissant venir uniquement de la bouteille dont on se sert pour la faire, on l’appella aussi en conséquence la bouteille de Leyde.

Depuis on a appris que nous devions cette découverte à M. Cuneus, d’une des premieres familles de cette ville, qui aime & cultive la Physique. Il la fit par hasard un jour qu’il s’occupoit à repéter quelques expériences d’électricité. [Ceci est tiré d’une note qui se trouve à la page 3 du mémoire de M. l’abbé Nolet sur l’expérience de Leyde, inseré dans les mémoires de l’académie des Sciences de l’année 1746.]

Je me suis un peu étendu sur l’historique de cette expérience, sur l’éclat & la réputation qu’elle a donné à l’électricité ; mais j’ai cru que dans un ouvrage consacré à transmettre à la postérité les découvertes des différens siecles, & les circonstances qui les ont accompagnées, on ne seroit pas fâché de trouver une histoire abregée de celle-ci.

On conçoit que cette nouvelle expérience, ou plutôt ce nouveau phénomene de l’électricité, reveilla l’ardeur des Physiciens, & qu’ils s’empresserent à l’envi de reconnoître toutes les différentes circonstances qui l’accompagnent, afin d’en découvrir les causes ; c’est aussi ce qui arriva. De-là il est facile d’imaginer qu’il a dû résulter un nombre infini d’expériences qu’il seroit inutile & même impossible de rassembler ici.

Afin de satisfaire cependant à ce que le lecteur a droit d’attendre de nous à ce sujet, nous exposerons

ce qui regarde ce phénomene d’une maniere assez étendue, pour qu’il lui soit facile ensuite de se former une idée de la plûpart des expériences qui n’en sont que des suites.

Pour exécuter ceci d’une maniere plus abrégée, nous commencerons par donner le plus succintement que nous pourrons, une idée de plusieurs propriétés des corps électrisables par communication, & de ceux qui ne le sont pas, dont il sera traité plus amplement à l’article Electricité, auxquels il nous paroît que l’on doit attribuer ce qui arrive dans l’expérience du coup foudroyant ; ensuite nous montrerons par l’analyse des faits qu’elle nous présente, qu’ainsi que nous venons de l’avancer, elle n’est qu’une suite de ces propriétés. Au reste, si nous avons suivi cette voie, c’est que nous avons cru pouvoir par son moyen donner un ordre plus systématique à cet article, & exposer plus méthodiquement ce qui en dépend ; car nous ne prétendons nullement donner comme une véritable explication des causes de cette expérience ce que nous disons à ce sujet (quoiqu’en le faisant nous ayons tâché de ne suivre d’autre guide que l’analogie des faits), mais plutôt comme une hypothese, des conjectures, ou tout ce que l’on voudra sur ces causes. Pour faire voir que nous regardons cette explication exactement sur ce pié, nous ajoûterons celles qu’ont donné de la même expérience les plus habiles Physiciens, afin que le lecteur puisse choisir, & ne se déclarer que pour celle qui lui paroîtra le mieux quadrer avec les faits.

Au reste, nous n’oublierons rien dans cet article pour rendre justice à tous les Physiciens qui ont travaillé sur cette matiere ; & si par hasard nous y manquions, nous les prions de croire que c’est faute d’avoir été bien instruits, & non pour leur ôter rien d’une gloire aussi légitime que celle qui leur revient de leurs travaux.

Une des plus grandes différences qu’il y ait entre les corps électrisables par communication, & ceux qui ne le sont pas, & dont il soit plus important d’être instruit, c’est que les premiers, comme les métaux, les corps animés, l’eau, &c. paroissent être les véritables reservoirs de la matiere électrique, comme M. Watson l’a avancé le premier, & comme nous l’avons prouvé dans un mémoire lû à l’académie des Sciences l’année derniere ; & que les seconds, comme le verre, la porcelaine, la cire d’Espagne, &c. paroissent au contraire n’en point contenir du tout, ou du moins être de telle nature que par les moyens connus jusqu’ici nous ne pouvons pas l’en tirer. Ainsi, par exemple, avec quelque force que vous frottiez le verre, vous ne l’électriserez jamais sensiblement, si le corps qui le frotte ne contient de la matiere électrique ; car s’il n’en contient pas, s’il en est dépouillé, quelqu’effort que vous fassiez, & quelque tems que vous employiez à le frotter, il ne deviendra jamais électrique.

Il est à propos d’observer à ce sujet, que les métaux, les corps animés, &c. paroissent ne pouvoir contenir qu’une certaine quantité de feu ou fluide électrique dans leurs pores, & qu’aussi-tôt qu’on leur en ajoûte au-delà, le surplus tend à s’échapper de toute part. Il suit de ces propriétés un phénomene assez singulier, que je crois avoir observé le premier ; c’est que toutes les fois qu’une personne, ou un corps quelconque électrisable par communication, tire une étincelle d’un corps électrique, le premier, à moins qu’il ne soit isolé, se décharge du feu électrique qu’il a reçû, ou insensiblement (ce qui arrive lorsque le corps est dans un contact immédiat avec quelque grande masse de corps électrisables par communication, comme le plancher) ; ou d’une maniere sensible & avec une étincelle plus ou moins forte, lorsque ce corps étant