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Arts ; on dit, en Musique, d’un chanteur qu’il a du creux, lorsque sa voix descend fort bas ; en Fonderie, de l’intérieur d’un moule ; en Architecture, de l’espace vuide d’une colonne, &c.

Creux, s. m. (Marine.) Les marins appellent le creux, la profondeur d’un vaisseau, & c’est la distance qu’il y a entre le dessus de la quille & le dessus du bau du premier pont, non compris le bouge de ce bau. Voyez Planche V. de Marine, fig. 1. où la ligne XX désigne le creux.

Le creux se fait ordinairement des neuf vingtiemes du bau, c’est-à-dire d’une dixieme partie moindre que sa moitié, & quelquefois d’une douzieme.

D’autres constructeurs font cette profondeur exactement égale à la moitié du bau ou de la largeur, & cela afin de rendre plus élevée au-dessus de la surface de l’eau la premiere batterie, & l’empêcher d’être noyée.

La hauteur du premier pont vers le milieu du navire se trouve fixée par le creux ; mais comme on donne ordinairement un peu de relevement au pont à l’avant & l’arriere, il en résulte que le creux est plus grand en ces endroits qu’au milieu ; & la différence du tirant d’eau augmente encore beaucoup le creux de l’arriere, & diminue celui de l’avant ; mais quand on parle du creux d’un vaisseau, c’est du creux du milieu ou vis-à-vis le maître gabary dont il s’agit. Car le creux de l’arriere est le creux du milieu, plus la tonture du pont, & encore la moitié de la différence du tirant d’eau ; le creux de l’avant est le même que celui de l’arriere, moins toute la différence du tirant d’eau. Ce qu’on vient de voir est tiré des savans traités de MM. Bouguer & Duhamel, sur la construction des vaisseaux, auxquels on peut avoir recours si l’on a besoin de quelques détails plus particuliers sur cet article. (Z)

Creux d’une voile, (Marine.) c’est l’enfoncement que le vent fait dans la voile lorsqu’il souffle & l’enfle. (Z)

CREZEAU, s. m. (Manuf. en laine.) espece de grosse serge à deux envers, & à poil des deux côtés ; il y en a de gros & de fins ; de blancs & de colorés.

CRI

CRI, CLAMEUR, (Synon. Gramm.) le dernier de ces mots ajoûte à l’autre une idée de ridicule par son objet ou par son excès. Le sage respecte le cri public, & méprise les clameurs des sots. (O)

Cri d’armes ou cri de guerre, (Hist. mod. & Art milit.) On appelloit ainsi certaines paroles en usage chez nos premiers François & chez les autres peuples de l’Europe pour animer les soldats au combat, ou pour se faire connoitre dans les batailles & dans les tournois.

On trouve dans l’antiquité des traces de cette coûtume, & sur-tout bien expressement dans l’Ecriture au livre des Juges, chap. vij. où Gédeon donna pour mot ou pour cri de guerre, aux soldats qu’il menoit contre les Madianites ces paroles, Domino & Gedeoni, au Seigneur & à Gédeon.

Parmi les modernes, le cri de guerre étoit une suite de la banniere, c’est-à-dire que nul n’étoit reconnu pour gentilhomme de nom, d’armes, & de cri, s’il n’avoit droit de lever banniere, l’un & l’autre servant à mener des troupes à la guerre & à les rallier. Dans les batailles, les bannerets faisoient le cri, desorte que dans une armée il y avoit autant de cris qu’il y avoit de bannieres ou enseignes. Mais outre ces cris particuliers, il y en avoit un général pour toute l’armée, & c’étoit celui du général ou du roi quand il s’y trouvoit en personne. Quelquefois il y avoit deux cris généraux dans une même armée, lorsqu’elle étoit composée de deux différentes nations. Ainsi dans la

bataille donnée entre Henri de Transtamare & Pierre le Cruel, en 1369, les Espagnols du parti de Henri crierent Castille au roi Henri, & les François auxiliaires, commandés par Bertrand du Guesclin, prirent pour cri, Notre-Dame, Guesclin. Le cri général se faisoit unanimement par tous les soldats en même tems à l’instant de la mêlée, tant pour implorer l’assistance du ciel, que pour s’animer au combat les uns les autres ; & les cris particuliers servoient aux soldats à s’entre-connoître, & aux chefs à démêler leurs soldats, à les tenir serrés autour de leur banniere, ou à les rallier en cas de besoin. Dans les tournois, c’étoient les hérauts d’armes qui faisoient le cri lorsque les chevaliers étoient prêts d’entrer en lice. Le cri de la famille appartenoit toûjours à l’aîné ; & les puînés ne prenoient le cri de leur maison, qu’en y ajoûtant le nom de leur seigneurie.

Mais le roi Charles VII. ayant établi des compagnies d’ordonnance vers l’an 1450, & dispensé les bannerets d’aller à la guerre accompagnés de leurs vassaux, l’usage du cri d’armes a été aboli ; il ne s’est conserve que dans les armoiries, auxquelles on joint souvent le cri de la maison. Le cri le plus ordinaire des princes, des chevaliers, & des bannerets, étoit leur nom ; quelques uns ont pris le nom des maisons dont ils étoient sortis ; d’autres celui de certaines villes, parce qu’ils en portoient la banniere ; ainsi le comte de Vendome crioit Chartres : des princes & seigneurs très-considérables ont crié leurs noms ou ceux de leurs villes principales avec une espece d’éloge, ainsi le comte de Hainaut avoit pour cri, Hainaut au noble comte ; & le duc de Brabant, Louvain au riche duc. La seconde maniere de cri, étoit celui d’invocation ; les seigneurs de Montmorenci crioient Dieu aide, & ensuite Dieu aide au premier chrétien ; parce qu’un seigneur de cette maison reçut, dit-on, le premier le bâteme après le roi Clovis. La maison de Bauffremont, en Lorraine & en Bourgogne, avoit pour cri ces mots, Bauffremont, au premier chrétien, probablement pour une pareille raison. Les dues de Normandie crioient, Diez aye, Dam Diez aye, c’est-à-dire, Dieu nous aide, le Seigneur Dieu nous aide ; car dans la seconde de ces formules, dam est pris pour dom, dominus, & non pour Notre Dame, ainsi que l’a pensé la Colombiere. Le duc de Bourbon crioit Notre-Dame, Bourbon ; & le duc d’Anjou, S. Maurice. La troisieme espece étoit un cri de résolution, comme celui que prirent les croisés pour la conquête de la Terre-sainte sous Godefroi de Bouillon, Diez le volt, c’est-à-dire Dieu le veut. La quatrieme sorte de cri est celui d’exhortation, tel que celui du seigneur de Montoison de la maison de Clermont en Dauphiné, à qui le roi Charles VIII. cria à la recousse Montoison, ou celui des seigneurs de Tournon, au plus druz, c’est-à-dire au plus épais & au plus fort de la mélée. La cinquieme espece est celui de défi, comme le cri des seigneurs de Chauvigni, chevaliers pleuvent, c’est-à-dire viennent en foule. La sixieme sorte de cri celui de terreur ou de courage, ainsi les seigneurs de Bar crioient au feu, au feu ; & ceux de Guise, place à la banniere. La septieme espece est des cris d’évenement, comme celui des seigneurs de Prie, cant l’oiseaux, parce qu’un seigneur de cette maison avoit chargé l’ennemi dans un bois où chantoient des oiseaux. La derniere espece étoit le cri de ralliement, comme celui de Mont-joye S. Denis, c’est-à-dire ralliez-vous sous la banniere de saint Denis. Ducange, Dissert. xj. sur l’hist. de S. Louis. Le P. Menestrier, origine des armoiries.

Tous ces différens cris de guerre étoient bons dans les batailles avant l’invention de la poudre à canon & l’introduction des armes à feu. Malgré le cliquetis des armes & le bruit des combattans, on pouvoit encore quelquefois entendre ces différens signaux.