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témérité des deux sexes ; témérité qui est fondée sur les passions du tempérament, sur l’oubli ou le mépris de soi-même.

Les crimes de la troisieme classe sont ceux qui choquent la tranquillité des citoyens : les peines en doivent être tirées de la nature de la chose, & se rapporter à cette tranquillité, comme la prison, l’exil, les corrections, & autres peines qui ramenent les esprits inquiets, & les font rentrer dans l’ordre établi.

Les crimes de la quatrieme classe sont ceux qui troublant la tranquillité, attaquent en même tems la sûreté des citoyens : tels sont le rapt, le viol, le meurtre, l’assassinat, l’empoisonnement, &c. La peine de ces derniers crimes est la mort : cette peine est tirée de la nature de la chose, puisée dans la raison & les sources du bien & du mal. Un citoyen mérite la mort, lorsqu’il a violé la sûreté au point qu’il a ôté la vie, ou même qu’il a entrepris par des voies de fait de l’ôter à un autre citoyen : cette peine de mort est comme le remede de la société malade. Voyez l’Esprit des Lois, sur ces quatre classes de crimes.

Comme tous les crimes, renfermés même sous chacune des classes particulieres dont nous venons de parler, ne sont pas égaux, on peut juger de la grandeur de ces crimes en général par leur objet, par l’intention & la malice du coupable, par le préjudice qui en revient à la société ; & c’est à cette derniere considération que les deux autres se rapportent en dernier ressort. Il faut donc mettre au premier rang les crimes qui intéressent la société humaine en général : ensuite ceux qui troublent l’ordre de la société civile, enfin ceux qui regardent les particuliers ; & ces derniers sont plus ou moins grands, selon que le mal qu’ils ont causé est plus ou moins considérable, selon le rang & la liaison du citoyen avec le coupable, &c. Ainsi celui qui tue son pere, commet un homicide plus criminel que s’il avoit tué un étranger ; un prêtre sacrilége est plus criminel qu’un laïc ; un voleur qui assassine les passans, est plus criminel que celui qui se contente de les dépouiller ; un voleur domestique est plus coupable qu’un voleur étranger, &c.

Le degré plus ou moins grand de malice, les motifs qui ont porté au crime, la maniere dont il a été commis, les instrumens dont on s’est servi, le caractere du coupable, la récidive, l’âge, le sexe, le tems, les lieux, &c. contribuent pareillement à caractériser l’énormité plus ou moins grande du crime ; en un mot l’on comprend sans peine que le différent concours des circonstances qui intéressent plus ou moins la sûreté des citoyens, augmente ou diminue l’atrocité des crimes.

Les mêmes réflexions doivent s’appliquer aux crimes qui ont été commis par plusieurs ; car 1°. on est plus ou moins coupable, à proposition qu’on est plus ou moins complice des crimes des autres ; 2°. dans les crimes commis par un corps, ou par une communauté, ceux-là sont coupables qui ont donné un consentement actuel, & ceux qui ont été d’un avis contraire sont absolument innocens ; 3°. en matiere de crimes commis par une multitude, la raison d’état & l’humanité demandent une grande clémence. Voy. Clémence.

Nous avons dit ci-dessus que les peines doivent dériver de la nature de chaque espece de crime. Voyez Peine. Ces peines sont justes, parce que celui qui viole les lois de la société faites pour la sûreté commune, devient l’ennemi de cette société. Or les lois naturelles en défendant le crime, donnent le droit d’en punir l’auteur dans une juste proportion au crime qu’il a commis ; elles donnent même le pouvoir de faire souffrir à l’auteur du crime le plus grand des maux naturels, je veux dire la mort, pour balancer

le crime le plus atroce par un contrepoids assez puissant.

Mais d’un autre côté, l’instinct de la nature qui attache l’homme à la vie, & le sentiment qui le porte à fuir l’opprobre, ne souffrent pas que l’on mette un criminel dans l’obligation de s’accuser lui-même volontairement, encore moins de se présenter au supplice de gaieté de cœur ; & aussi le bien public, & les droits de celui qui a en main la puissance du glaive, ne le demandent pas.

C’est par une conséquence du même principe, qu’un criminel peut chercher son salut dans la fuite, & qu’il n’est pas tenu de rester dans la prison, s’il apperçoit que les portes en sont ouvertes, qu’il peut les forcer aisément, & s’évader avec adresse. On sait comment Grotius sortit du château de Louvestein, & l’heureux succès du stratagème de son épouse, auquel il crut pouvoir innocemment se préter ; mais il ne seroit pas permis à un coupable de tenter de se procurer la liberté par quelque nouveau crime ; par exemple, d’égorger ses gardes ou de tuer ceux qui sont envoyés pour se saisir de lui.

Quoique les peines dérivent du crime par le droit de nature, il est certain que le souverain ne doit jamais les infliger qu’en vûe de quelque utilité : faire souffrir du mal à quelqu’un, seulement parce qu’il en a fait lui-même, est une pure cruauté condamnée par la raison & par l’humanité. Le but des peines est la tranquillité & la sûreté publique. Dans la punition, dit Grotius, on doit toûjours avoir en vûe ou le bien du coupable même, ou l’avantage de celui qui avoit intérêt que le crime ne fût pas commis, ou l’utilité de tous généralement.

Ainsi le souverain doit se proposer de corriger le coupable, en ôtant au crime la douceur qui sert d’attrait au vice, par la honte, l’infamie, ou quelques peines afflictives. Quelquefois le souverain doit se proposer d’ôter aux coupables les moyens de commettre de nouveaux crimes, comme en leur enlevant les armes dont ils pourroient se servir, en les faisant travailler dans des maisons de force, ou en les transportant dans des colonies ; mais le souverain doit surtout pourvoir par les lois les plus convenables aux meilleurs moyens de diminuer le nombre des crimes dans ses états. Quelquefois alors pour produire plus d’effet, il doit ajoûter à la peine de la mort que peut exiger l’atrocité du crime, l’appareil public le plus propre à faire impression sur l’esprit du peuple qu’il gouverne.

Finissons par quelques-uns des principes les plus importans, qu’il est bon d’établir encore sur cette matiere.

1°. Les législateurs ne peuvent pas déterminer à leur fantaisie la nature des crimes.

2°. Il ne faut pas confondre les crimes avec les erreurs spéculatives & chimériques qui demandent plus de pitié que d’indignation, telles que la magie, le convulsionisme, &c.

3°. La sévérité des supplices n’est pas le moyen le plus efficace pour arrêter le cours des crimes.

4°. Les crimes contre lesquels il est le plus difficile de se précautionner, méritent plus de rigueur que d’autres de même espece.

5°. Les crimes anciennement commis, ne doivent pas être punis avec la même sévérité que ceux qui sont récents.

6°. On ne doit pas être puni pour un crime d’autrui.

7°. Il seroit très-injuste de rendre responsable d’un crime d’autrui, une personne qui n’ayant aucune connoissance de l’avenir, & ne pouvant ni ne devant empêcher ce crime, n’entreroit d’ailleurs pour rien dans l’action de celui qui le doit commettre.

8°. Les mêmes crimes ne méritent pas toûjours la