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cette prérogative pour la céder au dix-huitieme, si le vingtieme cesse d’être critique, ainsi que nous avons dit qu’Archigene l’a prétendu.

Les jours qu’on nomme intercalaires ou provocateurs, sont le troisieme, le cinquieme, le neuvieme, le treizieme & le dix-neuvieme ; ils sont comme les lieutenans des critiques, mais ils ne les valent jamais : s’ils font la crise, on doit craindre une rechûte ; Hippocrate l’a dit nommément du cinquieme, qui fut mortel à quelques malades des épidémies. Le neuvieme se trouvant entre le septieme & le quatorzieme, peut être quelquefois heureux ; Galien le place entre les critiques du second ordre, & cela parce qu’il répare la crise du septieme, ou qu’il avance celle du quatorzieme. Le treizieme & le dix-neuvieme sont très-foibles, le dernier plus encore que le premier.

Les jours vuides, qu’on nomme ainsi parce qu’ils ne jugent pour l’ordinaire que malheureusement, parce qu’ils n’indiquent rien, & qu’ils ne sauroient suppléer aux critiques, sont le sixieme, le huitieme, le dixieme, le douzieme, le seizieme, le dix-huitieme, &c. Galien n’épargne pas sa rhétorique contre le sixieme ; il fait contre ce jour une déclamation véhémente : d’abord il le compare à un tyran, comme nous l’avons déja rapporté ; & après lui avoir dit cette injure, il descend de la sublimité du trope, pour l’accuser au propre de causer des hémorrhagies mortelles, des jaunisses funestes, des parotides malignes, ce en quoi Actuarius n’a pas manqué de le copier. Le huitieme est moins pernicieux que le sixieme, mais il n’en approche que trop, ainsi que le dixieme. Le douzieme est, si on peut s’exprimer ainsi, un jour inutile ; il n’est bon qu’à être compté, non plus que le seizieme & le dix-huitieme.

Tous les jours, excepté le redoutable sixieme, sont, comme on voit, de peu de conséquence, relativement à la figure qu’ils font dans la marche de la nature ; mais ils font par cela même très-précieux aux medecins, auxquels ils présentent le tems favorable pour placer leurs remedes : aussi ces jours-là ont-ils été appellés medicinaux ; ce sont pour ainsi dire les jours de l’Art, qui n’a presqu’aucun droit sur tous les autres, puisqu’il ne lui est jamais permis de déranger la nature, qui partage son travail entre les jours critiques & indicateurs, & qui se repose ou prend haleine les jours vuides.

Nous n’avons parlé jusqu’ici que des maladies qui ne passent pas le vingtieme jour ; mais il y en a qui vont jusqu’au quarantieme, & qui ont aussi dans la partie de leur cours qui s’étend au-delà du vingtieme, leurs crises & leurs jours critiques : de ce nombre sont le vingt-septieme, le trente-quatrieme, & le quarantieme lui-même. On compte ceux-ci de sept en sept, au lieu que depuis le premier jour jusqu’au vingtieme, on les compte non-seulement par sept ou par septenaires, mais encore par quatre ou par quartenaires. Le septieme, le quatorzieme, le vingtieme ou le vingt-unieme, sont les trois septenaires les plus importans ; le quatrieme, le huitieme, le douzieme, le seizieme & le vingtieme, sont les quartenaires les plus remarquables, & les seuls auxquels on fasse attention. Quelques anciens ont appellé ces derniers jours demi-septenaires ; ils ont aussi divisé les jours en général, en pairs & en impairs. Les uns & les autres avoient plus ou moins de vertu, suivant que les maladies étoient sanguines ou bilieuses, les bilieuses ayant leurs mouvemens aux jours impairs, & les sanguines aux jours pairs.

Il paroît que c’est à ce précis qu’on peut le plus raisonnablement réduire tout ce que les anciens nous ont laissé au sujet de la différence des jours ; il seroit fort inutile de relever les contradictions dans lesquelles ils sont tombés quelquefois, & de les sui-

vre dans toutes les tournures qu’ils ont tâché de

donner à leur système. Nous ne nous attacherons ici qu’à parler de quelques-uns de leurs principaux embarras, & ces considérations pourront devenir intéressantes pour l’histoire des maladies.

Les anciens ne sont pas d’accord sur la maniere dont on doit fixer le jour. Qu’est-ce qu’un jour en Medecine, ou dans une maladie ? Voilà ce que les anciens n’ont pas assez clairement défini. Ils se sont pourtant assez généralement réduits à faire un jour qu’ils appelloient medical ou medicinal, & qui étoit de vingt-quatre heures, comme le jour naturel. La premiere heure de ce jour medical étoit la premiere heure de la maladie, qui ne commençant pas toûjours au commencement d’un jour naturel, pouvoit n’être qu’à son second jour lorsqu’on comptoit le troisieme jour naturel depuis son commencement, &c.

Mais il ne fut pas aussi aisé de se fixer à l’égard de ce qu’il faut prendre pour le premier jour dans une maladie. En effet, s’il est des cas dans lesquels une maladie s’annonce subitement & évidemment par un frisson bien marqué, il est aussi des maladies où le malade traîne deux & trois jours, & quelquefois davantage, sans presque s’en appercevoir. On se bornoit dans ces cas à compter les jours de la maladie du moment auquel les fonctions étoient décisivement lésées ; mais ce moment-là même n’est pas toûjours aisé à découvrir. La complication des maladies est encore fort embarrassante pour le compte des jours. Par exemple, une femme grosse fait ses couches ayant actuellement la fievre ; une autre est saisie de la fievre trois ou quatre jours après ses couches : où faudra-t-il alors prendre le commencement de la maladie ? Hippocrate s’est contredit sur cette matiere, & Galien veut qu’on compte toûjours du moment de l’accouchement, ce en quoi il a été suivi par Rhazès, Amatus Lusitanus, &c. Il y en a eu qui prétendoient faire marcher les deux maladies à la fois, & les compter chacune à part. D’autres, tels qu’Avicenne, Zacutus Lusitanus, &c. ont distingué l’accouchement contre nature d’avec le naturel, & ils ont pris celui-ci pour un terme fixe, & pour leur point de partance dans le compte des jours, en regardant l’autre comme un symptome de la maladie. Mais tout cela n’éclaircit pas assez la question, parce que les explications particulieres ne sont souvent que des ressources que chacun se ménage pour éluder les difficultés. L’histoire des rechûtes, & celle des fievres aiguës entées sur des maladies habituelles ou chroniques, embrouillent encore davantage le compte des jours ; & ce qu’il y a de plus fâcheux pour ce système, c’est qu’une crise durant quelquefois trois & quatre jours, on ne fait à quel jour on doit la placer. Il faut l’avoüer, toutes ces remarques que les anciens les plus attachés à la doctrine des crises, avoient faites, & dont ils tâchoient d’éluder la force, rendent leur doctrine obscure, vague, & sujette à des mécomptes qui pourroient être de conséquence, & qui n’ont pas peu contribué à décrier les crises & les jours critiques. Il y a plus, c’est que Galien lui-même est forcé de convenir (ch. vj. des jours critiques) qu’on ne sauroit dissimuler, si on est de bonne foi, que la doctrine d’Hippocrate sur les jours critiques ne soit très-souvent sujette à erreur. Si cela est, si on risque de se tromper très-souvent, à quoi bon s’y exposer en admettant des dogmes incertains ? D’ailleurs on trouve des contradictions dans les livres d’Hippocrate, au sujet des jours critiques. (Ces contradictions ont été vivement relevées par Marsilius Cagnatus.) Ce qu’Hippocrate remarque dans ses épidémies, n’est pas toûjours conforme à ses prognostics & à ses aphorismes. Galien a senti de quelle conséquence étoient ces contradictions ; il tâche