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avançoit sans façon qu’il y auroit peu de medecins qui voulussent risquer leur bien en faveur de leurs opinions particulieres.

M. Nihell continue ses remarques contre les modernes ; elles peuvent se réduire la plûpart à des reproches ou à des raisonnemens, tels que ceux que j’ai observé ci-dessus devoir être évités sur cette matiere. Il s’appuie de ce qu’Albertinus a fait insérer dans les mémoires de l’académie de Boulogne, au sujet de l’action du quinquina, qu’il dit ne pas empêcher qu’il n’arrive des évacuations critiques dans les fievres d’accès ; ce qui ne paroît pas directement opposé au système des modernes sur les crises, (voyez Quinquina). Car enfin, si les remedes n’empêchent pas les crises, il est inutile de s’élever contre leur usage, sur-tout s’ils sont utiles ou nécessaires d’ailleurs, ne fût-ce que comme le quinquina qu’il faut donner dans de certaines fievres, pour arrêter ou modérer les accès, à moins qu’on ne veuille exposer les malades à un danger évident, disent bien des praticiens.

Enfin M. Nihell finit en remarquant fort judicieusement, que toutes les disputes entre les anciens & les modernes, se réduisent à des faits de part & d’autre. Il avance que l’observation des crises n’est aucunement opposée à une vigoureuse méthode de pratiquer ; ce qui ne paroît pas bien conséquent à tout ce qu’il a voulu établir contre l’activité de la Medecine des modernes. Il fait encore quelques autres remarques dans lesquelles je ne le suivrai point. Il seroit à souhaiter que ce medecin eût continué ses recherches, qui ne pouvoient manquer d’être utiles, étant faites avec la précaution qu’il a prise dans l’examen des observations de Solano. Voyez Pouls. Je dois ajoûter, par rapport à ce dernier medecin, qu’il est très-décidé en faveur des crises & des jours critiques, & qu’il a même fait des remarques importantes à cet égard : mais l’intérêt qu’il auroit à faire valoir ses signes particuliers, pourroit bien affoiblir son témoignage ; & dans ce cas-là M. Nihell qui a fait un voyage en Espagne pour consulter Solano, doit être regardé comme son disciple, & non point comme un juge dans toutes ces disputes. Je parlerai plus bas des caracteres nécessaires à un juge de ces matieres ; ils me paroissent bien différens de ceux d’un simple témoin.

Il y a encore des auteurs plus modernes que M. Nihell, qui semblent annoncer quelque chose de nouveau sur toutes ces importantes questions, & qui font présumer que la Medecine françoise pourroit bien changer de face, ou du moins n’être pas aussi uniforme qu’elle l’est, sur le peu de cas qu’on paroît faire de la doctrine des crises.

L’un de ces auteurs est celui du specimen novi Medicinæ conspectus, 1751. C’est ainsi qu’il s’explique : Omnis motus febrilis, quia tendit ad superandum morbosum obicem, criticus censendus est, vel tendens ad crises : « Tout mouvement fébrile doit être regardé comme critique, ou tendant à procurer des crises, parce qu’il tend à la destruction de l’arrêt qui cause ou qui fait la maladie. » Crisium typus, ajoûte le même auteur, dierumque criticorum, quorum ab Hippocrate traditus ordo, non tam facile quàm plerique clamant clinici, venæ sectionibus & medicamentis patitur immutari seu accelerari : « Il n’est pas aussi aisé que la plûpart des medecins le pensent, de changer ou d’accélerer l’ordre des jours critiques établi par Hippocrate. » Ce qui fait assez voir que cet excellent observateur, très-connu, quoiqu’il ne se nomme pas dans son ouvrage, n’est pas éloigné de l’opinion des anciens sur les crises, & qui doit le faire regarder en France comme un des premiers qui ayent trouvé à redire à la méthode des modernes.

M. Quesnay medecin consultant du Roi, « considere la nature des crises avec une très-grande saga-

cité (dans son traité des Fievres, 1753). Il paroît

avoir profondément réfléchi sur cette matiere importante ; & tout ce qu’il dit à cet égard, mérite d’être lû avec beaucoup d’attention. Il y a en général trois sortes de jours critiques ; les jours indicatifs, les jours confirmatifs, & les décisifs. Les jours indicatifs sont ceux qui annoncent la crise par les premieres marques de coction, comme le quatrieme, le onzieme, le dix-septieme, &c. Les jours confirmatifs sont ceux où on observe les signes qui assûrent du progrès de la coction ; tels sont les jours de redoublement, qui arrivent entre les jours indicatifs & les jours décisifs. Ces derniers sont ceux auxquels la crise arrive, comme le septieme, le quatorzieme & le vingt-unieme. Les jours décisifs sont assujettis à une période de sept jours ; & si la maladie dure plusieurs septenaires, il n’y a que le dernier qui soit regardé comme critique. Ce tems de crise avance plus ou moins, selon que les redoublemens sont plus ou moins vifs ; & pour que la crise soit bien réguliere, elle ne doit arriver que les jours impairs ; mais pour ne pas s’y tromper il faut suivre l’énumération des jours mêmes du septenaire critique, & non pas simplement celle des jours de la maladie : car l’exacerbation du jour critique décisif, qui arrive le quatorzieme jour de la maladie, se trouveroit, selon cette derniere énumération, dans un jour pair ; mais selon celle du septenaire critique, elle se trouve dans un jour impair, parce qu’en quatorze jours il y a deux septenaires ; & le dernier, qui est le septenaire critique, ne commence qu’à la fin du premier, c’est-à-dire au huitieme jour. Ainsi la derniere exacerbation de ce second septenaire se trouve dans le septieme jour, & par conséquent dans un jour impair. Ces deux premiers septenaires sont ceux que les anciens nommoient disjoints ; ils appelloient les autres conjoints, parce que le dernier jour du troisieme septenaire, par exemple, étoit en même tems le premier jour du quatrieme, & ainsi de suite ; ensorte qu’ils comptoient six septenaires dans l’espace de quarante jours naturels : mais dans ces quarante jours il y a vingt jours de remission & vingt-un jours de redoublement, & par conséquent quarante-un jours de maladie. C’est en partant de-là que l’auteur établit que le jour de maladie doit être à-peu-près de vingt-trois heures, ou vingt-deux heures cinquante-une minutes ; le quartenaire de trois jours naturels & huit heures ; le septenaire de six jours & seize heures, &c.

» M. Quesnay observe ici que cette supputation des anciens est défectueuse, en ce qu’ils paroissent avoir eu plus d’égard aux rapports numériques des jours des maladies, qu’à l’ordre périodique des redoublemens, qui cependant regle celui des jours critiques. Par leur division il se trouve quatre redoublemens dans les deux premiers septenaires, tandis qu’il n’y en a que trois dans les autres. L’auteur donne ici une maniere de compter fort ingénieuse, par laquelle on allie l’ordre & le nombre des redoublemens avec les révolutions septenaires, & cela en faisant toûjours commencer & finir chaque septenaire par un jour de redoublement ; car les jours de remission doivent être réputés nuls. Ainsi, par exemple, on laissera le huitieme jour, comme un jour interseptenaire, & on fera commencer le second septenaire au neuvieme jour, & finir au quinzieme ; & ce dernier sera le premier jour du troisieme septenaire, & ainsi de suite. Par ce moyen il se trouvera six septenaires en quarante jours naturels, & dans chacun quatre redoublemens ; car si le second septenaire étoit le critique, la derniere exacerbation seroit celle du quinzieme de la maladie ; ou s’il y a d’autre sep-