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tiques indifféremment ; ils n’ont pas la même force, la même vertu ; ou s’ils sont critiques, ce n’est que par accident, comme disoient les anciens. L’observation des jours n’est donc point une observation inutile & superstitieuse, diroient les amateurs de la vieille Medecine.

3°. Ils pourroient encore dire, en lisant l’ouvrage de M. Aymen, que puisqu’il donne un moyen certain de déterminer le jour critique, qui est de faire attention aux jours indicatifs, & qu’il soûtient sur la parole de Solano qu’il cite, que tous les jours, quels qu’ils soient pour le quantieme, dans lesquels on apperçoit les signes indicatifs d’une crise décisive, doivent être tenus comme le quatrieme jour avant la crise à venir : les partisans des anciens pourroient, dis-je, avancer qu’il faut qu’il y ait quelque différence entre le jour indicatif & l’indiqué ou le critique, & plus encore entre ces deux jours & les intermédiaires que Galien auroit appellés vuides. Or si plusieurs observations ont démontré que le quatrieme jour, par exemple, est souvent indicatif du septieme, & le onzieme du quatorzieme, &c. (ce que les anciens prétendent, ainsi que Solano, que M. Aymen ne peut pas récuser), il est essentiel de se le tenir pour dit dans le traitement des maladies ; d’où il suit qu’il y a une différence marquée entre les jours. C’est sur ces différences que sont fondées les regles d’Hippocrate & de Galien. Il est bon de remarquer que M. Aymen est beaucoup plus opposé à ces regles, par exemple, que Chirac, comme on peut le voir dans ce que nous avons rapporté ci-dessus de ce dernier ; ainsi Chirac qui déchire les anciens par ses épigrammes, est plus conforme au fond à leur maniere de penser, que M. Aymen qui ne cesse d’en faire l’éloge.

4°. Quant à la maniere dont M. Aymen prétend prouver son opinion, on ne peut s’empêcher d’être surpris qu’après avoir avancé (p. 107.) que les crises sont indiquées quatre jours avant qu’elles arrivent, & que les signes de coction précedent toûjours le jugement ; il s’efforce d’établir par des faits pris dans les différens auteurs, que le premier jour, le deux, & le trois sont decrétoires : car enfin ou ces jours ne sont pas decrétoires, ou la crise n’est pas indiquée quatre jours avant qu’elle arrive, ou bien les signes de coction ne précedent pas toûjours le jugement. D’ailleurs les observations que M. Aymen rapporte pour prouver que le premier jour est decrétoire, sont elles bien concluantes ? Hippocrate, dit-il, a vû des fievres éphemeres ; ces fievres sont-elles définitivement jugées dès le premier jour, comme Hoffman le prétend ? M. Aymen ajoûte que dans la constitution de Thasos certains malades qui paroissoient guérir le six, retomboient, & que le premier jour de la rechûte étoit distinctif : n’est-il pas évident que ces maladies étoient jugées au sept ou au neuf, & non point au premier jour ? La rechûte arrivoit, parce que les maladies n’étoient pas jugées ; parce que le six, auquel elles changeoient, n’est pas un bon jour ; la rechûte suppose que la maladie a toûjours duré, & qu’elle n’étoit pas terminée. Un Gascon, ajoûte encore M. Aymen, eut sur la fin d’une maladie une catalepsie qui l’enleva en vingt-quatre heures : cette catalepsie arrivée à la fin d’une maladie, étoit la crise de cette maladie ; la catalepsie étoit perturbatio critica. Tout le monde est convenu que le redoublement qui précede la crise est extraordinaire. M. Aymen fait bien de passer sous silence des apoplexies qui enlevent les malades en peu d’heures ; & il trouvera bien des medecins qui prétendront que les fievres malignes dont il parle, & qui ont été terminées en vingt-quatre heures, ne sauroient être regardées comme des maladies d’un jour ; elles se préparoient ou parcouroient leur tems depuis bien des jours ; elles étoient insensibles, mais

elles n’en existoient pas moins : d’ailleurs les anciens & les modernes conviennent, ainsi que Baglivi l’a dit expressément, qu’il y a des fievres malignes qui ne suivent pas les regles ordinaires.

5°. Tout lecteur peut aisément appliquer ces réflexions à ce que M. Aymen dit du deuxieme jour, du troisieme, & de bien d’autres, & il n’est pas difficile d’appercevoir qu’il a eu plus de peine à trouver des exemples de crises arrivées aux jours vuides, qu’aux jours vraiment critiques. Ainsi, quoique M. Aymen présente le sept, le quatorze, le vingt, & le neuf avec les autres jours, & qu’il les fasse pour ainsi dire passer dans la foule, ils méritent pourtant d’être distingués par la grande quantité de crises observées dans ces jours-là précisément. Je n’en apporterai ici d’autre preuve que celle qu’on peut tirer des observations de Forestus, que M. Aymen rapporte d’après M. Nihell, mais dont il ne fait pas le même usage que le medecin Anglois : de quarante-huit malades, dit-il, p. 113. de fievre putride, ardente, maligne, dont Forestus rapporte les observations dans son second livre, dix-neuf ont été jugés heureusement par des flux critiques. M. Aymen auroit pû achever la remarque de M. Nihell, & ajoûter que de ces quarante-huit malades, cinq furent jugés au quatre, vingt-deux au sept, sept au quatorze, deux au onze, un au dix-sept & un au vingt-un ; & cette observation auroit démontré la différence des jours : car si de quarante-huit maladies les trois quarts finissent aux jours critiques, ces jours-là ne sauroient être confondus avec les autres ; & si parmi ces jours critiques il y en a qui de trente maladies en jugent vingt-deux, d’autres sept, comme le sept & le quatorze l’ont fait dans les observations dont il s’agit, il n’est pas douteux que ce sept & ce quatorze ne méritent une sorte de préférence sur tous les autres jours. En voilà assez, ce me semble, pour justifier le calcul des anciens.

Au reste je suis fort éloigné de penser que tout ce que je viens de rapporter doive diminuer en rien la gloire de M. Aymen. Sa dissertation est des plus savantes, & les connoisseurs la trouvent très-sagement ordonnée. Le public me paroît souscrire en tout à la décision de l’académie de Dijon. Il est aisé d’appercevoir que M. Aymen est assez fort pour résister à une sorte de critique dictée par l’estime la moins équivoque, ou plûtôt à l’invitation qu’on lui fait de continuer ses travaux sur cette importante matiere, & sur-tout de joindre ses observations particulieres aux lumieres que son érudition lui fournira. Les amateurs de l’art doivent être bien-aises qu’il se trouve parmi nous des gens propres à le cultiver sérieusement ; M. Aymen paroît être du nombre de ces derniers.

J’ai dit que je ne manquerois pas de parler de la dissertation de M. Normand, medecin de Dole, qui s’est placé de lui-même à côté de M. Aymen. Mais ce n’est point à moi à prendre garde aux motifs qui l’ont porté à faire imprimer son ouvrage ; chacun peut voir dans sa préface le détail de ses raisons, sur lesquelles le journaliste de Trévoux s’est expliqué assez clairement. M. Normand avoit quelques doutes, qui ne lui restent apparemment plus depuis la publicité de la dissertation de M. Aymen. Je n’ai qu’un mot à dire sur la raison qu’il a eu d’écrire sa dissertation en latin : c’est, dit-il après Baglivi, de peur d’instruire les cuisinieres, & de leur apprendre à disputer avec les Medecins ; linguâ vernaculâ docere mulierculas è culinâ, cum ipsis etiam medicinæ principibus arroganter disputare. Ces précautions pourront paroître usées, & peu nécessaires aujourd’hui. Celse auroit ri sans doute de ceux qui lui auroient dit qu’il falloit traiter la Medecine en grec dans le sein de Rome.

Quoi qu’il en soit, la dissertation de M. Normand,