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à celle de Lusignan. Ce jeune prince mourut peu de tems après devant Ptolémaïs, & il ne resta pas le moindre vestige des cent cinquante mille hommes que son pere avoit amenés. L’Asie mineure étoit un goufre où l’Europe entiere venoit se précipiter ; des flottes d’Anglois, de François, d’Italiens, d’Allemans, qui avoient précédé l’arrivée de Philippe Auguste & de Richard Cœur de lion, n’avoient fait que s’y montrer & disparoître.

Les rois de France & d’Angleterre arriverent enfin devant Ptolémaïs. Presque toutes les forces des chrétiens de l’Orient s’étoient rassemblées devant cette place. Elles formoient une armée de trois cents mille combattans. On prend Ptolémaïs. Cette conquête ouvre le chemin à de plus importantes ; mais Philippe & Richard se divisent ; Philippe revient en France ; Richard est battu ; ce dernier s’en retourne sur un seul vaisseau, & il est fait prisonnier en repassant par l’Allemagne.

Telle étoit la fureur des peuples d’Europe, qu’ils n’étoient ni éclairés ni découragés par ces desastres. Baudouin comte de Flandres rassemble quatre mille chevaliers, neuf mille écuyers, & vingt mille hommes de pié ; ces nouveaux croisés sont transportés sur les vaisseaux des Vénitiens. Ils commencent leur expédition par une irruption contre les chrétiens de la Dalmatie : le pape Innocent III. les excommunie. Ils arrivent devant Constantinople, qu’ils prennent & saccagent sous un faux prétexte. Baudouin fut élû empereur ; les autres alliés se disperserent dans la Grece & se la partagerent ; les Vénitiens s’emparerent du Peloponnese, de l’île de Candie, & de plusieurs places des côtes de la Phrygie ; & il ne passa en Asie que ceux qui ne purent se faire des établissemens sans aller jusques-là. Le regne de Baudoüin ne fut pas de longue durée.

Un moine Breton, nommé Erloin, entraîna une multitude de ses compatriotes. Une reine de Hongrie se croisa avec quelques-unes de ses femmes. Elle mourut à Ptolémaïs d’une maladie épidémique, qui emporta des milliers d’enfans conduits dans ces contrées par des religieux & des maîtres d’écoles. Il n’y a jamais eu d’exemple d’une frénésie aussi constante & aussi générale.

Il ne restoit aux chrétiens d’Orient, rien de plus considérable que l’état d’Antioche. Le royaume de Jérusalem n’étoit qu’un vain nom dont Emery de Lusignan étoit décoré, & que Philippe Auguste transféra à la mort d’Emery à un cadet sans ressource de la maison de Brienne en Champagne. Ce monarque titulaire s’associa quelques chevaliers. Cette troupe, quelques Bretons, des princes Allemans avec leurs cortéges, un duc d’Autriche avec sa suite, un roi de Hongrie qui commandoit d’assez bonnes troupes, les templiers, les chevaliers de S. Jean, les évêques de Munster & d’Utrecht, se réunirent ; & il y avoit là beaucoup plus de bras qu’il n’en falloit pour former quelque grande entreprise ; mais malheureusement point de tête. André roi de Hongrie se retira ; un comte de Hollande lui succéda avec le titre de connétable des croisés. Une foule de chevaliers commandés par un légat accompagné de l’archevêque de Bordeaux, des évêques de Paris, d’Angers, d’Autun, & de Beauvais, suivis par des corps de troupes considérables ; quatre mille Anglois, autant d’Italiens acheverent de fortifier l’armée de Jean de Brienne : & ce chef parti presque seul de France, se trouva devant Ptolémaïs à la tête de cent mille hommes.

Ces croisés méditent la conquête de l’Egypte, assiégent Damiette, & la prennent au bout de deux ans. Mais l’ambition mal entendue du légat, plus propre à benir les armes qu’à les commander, fait échoüer ces foibles succès. Damiette est rendue, & les croisés faits prisonniers de guerre sont renvoyés

en Phrygie, excepté Jean de Brienne que Meledin garda en ôtage.

Jean de Brienne sorti d’ôtage, donna sa fille à l’empereur Fréderic II. avec ses droits au royaume de Jérusalem. Le politique habile pressé par le pape Grégoire IX, que sa présence inquiétoit en Europe, de passer en Asie, négotie avec le pape & le sultan Meledin ; s’en va plutôt avec un cortége qu’une armée prendre possession de Jérusalem, de Nazareth, & de quelques autres villages ruinés, dont il ne faisoit pas plus de cas que le sultan qui les lui cédoit, & annonce à tout le monde chrétien qu’il a satisfait à son vœu, & qu’il a recouvré les saints lieux sans avoir répandu une goutte de sang.

Thibaut, ce fameux comte de Champagne, partit aussi pour la Terre-sainte ; il fut assez heureux pour en revenir, mais les chevaliers qui l’avoient accompagné resterent prisonniers.

Tout sembloit tendre en Orient à une espece de treve, lorsque Gengiskan & ses Tartares franchissent le Caucase, le Taurus & l’Immaüs ; les Corasmins chassés devant eux, se répandent dans la Syrie, où ces idolâtres égorgent sans distinction & le musulman & le chrétien & le juif. Cette révolution inattendue réunit les chrétiens d’Antioche, de Sidon & des côtes de la Syrie, avec le soudan de cette derniere contrée & avec celui d’Egypte. Ces forces se tournent contre les nouveaux brigands, mais sans aucun succès ; elles sont dissipées ; & les chevaliers templiers & hospitaliers sont presqu’entierement détruits dans une irruption des Turcs qui succéda à celle des Corasmins.

Les Latins étoient renfermés dans leurs villes maritimes, divisés, & sans espérance de secours. Les princes d’Antioche s’occupoient à desoler quelques chrétiens d’Arménie ; les factions Persanes, Génoises & Venitiennes déchiroient l’intérieur de Ptolémaïs ; ce qui restoit de templiers ou de chevaliers de S. Jean, s’entre-exterminoient avec acharnement ; l’Europe se refroidissoit sur la conquête des lieux saints, & les forces des chrétiens d’Orient s’éteignoient, lorsque S. Louis médita sa croisade.

Il crut entendre dans un accès de léthargie, une voix qui la lui ordonnoit, & il fit vœu d’obéir ; il s’y prépara pendant quatre ans. Lorsqu’il partit avec sa femme, ses trois freres & leurs épouses, presque toute la chevalerie de France le suivit ; il sut accompagné des ducs de Bourgogne & de Bretagne, & des comtes de Soissons, de Flandres & de Vendôme, qui avoient rassemblé tous leurs vassaux : on comptoit parmi ses troupes trois mille chevaliers bannerets. On marcha contre Melec-sala soudan d’Egypte. Un renfort de soixante mille combattans arrivés de France, se joignit à ceux qu’il commandoit déjà. Que ne pouvoit-on pas attendre de ces troupes d’élite sous la conduite d’un prince tel que Louis IX ? Toutes ces espérances s’évanoüirent ; une partie de l’armée de saint Louis périt de maladie, l’autre fut défaite par Almoadan fils de Melec-sala, près de la Massoure : le comte d’Artois est tué, S. Louis & les comtes de Poitiers & d’Anjou sont faits prisonniers. Le monarque françois paye sa rançon aux émirs qui gouvernerent après la mort d’Almoadan, assassiné par une garde trop puissante que son pere avoit instituée ; se retire dans la Palestine, y demeure quatre ans, visite Nazareth, & revient en France avec le dessein de former une autre croisade.

Croisade entreprise pour l’extirpation des infideles. Saint Louis, pour cette expédition plus malheureuse encore que la premiere, partit à-peu-près avec les mêmes forces ; son frere devoit le suivre. Ce ne fut point la conquête de la Terre-sainte qu’il se proposa. Charles d’Anjou, usurpateur du royaume de Naples, fit servir la piété de saint Louis à ses des-