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roient jamais, & par conséquent l’intervalle devroit changer, la consonnance n’existeroit plus ou ne seroit plus la même. Enfin, il faut supposer que les diverses vibrations des deux sons d’une consonnance frappent l’organe sans confusion, & transmettent l’accord au cerveau sans se nuire réciproquement ; chose qui me paroît impossible à concevoir, & que j’aurai occasion d’examiner ailleurs. Voyez Son.

Mais sans disputer sur tant de suppositions, voyons ce qui s’ensuit de ce système. Les vibrations ou les sons de la derniere consonnance, qui est la tierce mineure, sont comme 5 & 6, & la consonnance en est fort agréable. Que doit-il naturellement résulter de deux autres sons dont les vibrations seroient entre elles comme 6 & 7 ? une consonnance un peu moins harmonieuse à la vérité, mais encore assez agréable à cause de la petite différence des raisons ; car elles ne different que d’un 36e. Mais qu’on me dise comment il se peut faire que deux sons, dont l’un fait 5 vibrations pendant que l’autre en fait 6, produisent une consonnance agréable, & que deux sons, dont l’un fait 6 vibrations pendant que l’autre en fait 7, produisent une si affreuse dissonnance. Quoi, dans l’un de ces rapports les vibrations s’accordent de six en six, & mon oreille est charmée ; dans l’autre elles s’accordent de sept en sept, & mon oreille est écorchée ? Il y a plus, & je demande encore comment il se fait qu’après cette premiere dissonnance la dureté des accords n’augmente pas à mesure que les rapports des vibrations qui les forment deviennent plus composés ; pourquoi, par exemple, la dissonnance qui résulte du rapport de 89 à 90, n’est pas plus choquante que celle qui résulte de celui de 12 à 13. Si le retour plus ou moins fréquent du concours des vibrations étoit la cause du sentiment de plaisir ou de peine que me causent les accords, l’effet seroit proportionné à cette cause, & je n’y vois aucune proportion ; donc ce plaisir & cette peine tirent leur origine d’ailleurs.

Il reste encore à faire attention aux altérations dont la quinte & d’autres consonnances sont susceptibles sans cesser d’être agréables à l’oreille, quoique ces altérations dérangent entierement le concours périodique des vibrations, & que ce concours même devienne plus tardif à mesure que l’altération est moindre. Il reste à considérer que l’accord de l’orgue & du clavecin ne devroit offrir à l’oreille qu’une cacophonie d’autant plus effroyable que ces instrumens seroient accordés avec plus de soin, puisqu’excepté l’octave il ne s’y trouve aucune consonnance dans son rapport exact.

Voilà quelques objections qu’il eût peut-être été bon de résoudre avant que d’admettre un système, qui, bien qu’ingénieux, se trouve si manifestement contredit par l’expérience.

Un écrivain judicieux, qui nous a donné nouvellement des principes d’Acoustique, laissant à part tous ces concours de vibrations, a rendu raison du plaisir que les consonnances font à l’oreille par la simplicité des rapports entre les sons qui les forment. Selon lui, le plaisir diminue à mesure que les rapports deviennent plus composés ; & quand l’esprit ne les saisit plus, ce sont de véritables dissonnances. Mais quoique cette doctrine s’accorde parfaitement avec le résultat des premieres divisions harmoniques, quoiqu’elle soit très-bien soutenue & qu’elle s’étende facilement à d’autres phénomenes qui se remarquent dans les beaux arts, s’il se trouve qu’elle ne soit pas en tout d’acord avec l’expérience, s’il n’y a toûjours une proportion exacte entre les rapports des sons & le degré de plaisir ou de peine dont ils nous affectent, je dis que cette hypothese est fort vraissemblable, mais qu’il ne la faut pas regarder comme démontrée. Voyez Tempérament. (S)

Nous devons avertir ici que M. Briseux architecte, a donné depuis peu au public un traité, dans lequel il se propose de prouver que les proportions qu’on doit observer dans l’Architecture, sont les mêmes que celles qui reglent les consonnances dans la Musique. Nous en parlerons plus au long à l’article Proportion. (O)

CONSONNE, s. f. terme de Grammaire : on divise les lettres en voyelles & en consonnes. Les voyelles sont ainsi appellées du mot voix, parce qu’elles se font entendre par elles-mêmes : elles forment toutes seules un son, une voix. Les consonnes, au contraire, ne sont entendues qu’avec l’air qui fait la voix ou voyelle ; & c’est de-là que vient le nom de consonne, consonnans, c’est-à-dire, qui sonne avec une autre.

Il n’y a aucun être particulier qui soit voyelle, ni aucun qui soit consonne ; mais on a observé des différences dans les modifications que l’on donne à l’air qui sort des poumons, lorsqu’on en fait usage pour former les sons destinés à être les signes des pensées. Ce sont ces différentes considérations ou précisions de notre esprit à l’occasion des modifications de la voix ; ce sont, dis-je, ces précisions qui nous ont donné lieu de former les mots de voyelle, de consonne, d’articulation, & autres : ce qui distingue les différens points de vûe de notre esprit sur le méchanisme de la parole, & nous donne lieu d’en discourir avec plus de justesse. Voy. Abstraction.

Mais avant que d’entrer dans le détail des consonnes, & avant que d’examiner ce qui les distingue des voyelles, qu’il me soit permis de m’amuser un moment avec les réflexions suivantes.

La nature nous fait agir sans se mettre en peine de nous instruire ; je veux dire que nous venons au monde sans savoir comment : nous prenons la nourriture qu’on nous présente sans la connoître, & sans avoir aucune lumiere sur ce qu’elle doit opérer en nous, ni même sans nous en mettre en peine ; nous marchons, nous agissons, nous nous transportons d’un lieu à un autre, nous voyons, nous regardons, nous entendons, nous parlons, sans avoir aucune connoissance des causes physiques, ni des parties internes de nous-mêmes que nous mettons en œuvre pour ces différentes opérations : de plus, les organes des sens sont les portes & l’occasion de toutes ces connoissances, au point que nous n’en avons aucune qui ne suppose quelque impression sensible antérieure qui nous ait donné lieu de l’acquérir par la réflexion ; cependant combien peu de personnes ont quelques lumieres sur le méchanisme des organes des sens ? C’est bien dequoi on se met en peine, id populus curat scilicet ? Ter. And. act. II. sc. 2.

Après tout a-t-on besoin de ces connoissances pour sa propre conservation, & pour se procurer une sorte de bien être qui suffit ?

Je conviens que non : mais d’un autre côté si l’on veut agir avec lumiere & connoître les fondemens des Sciences & des Arts qui embellissent la société, & qui lui procurent des avantages si réels & si considérables, on doit acquérir les connoissances physiques qui sont la base de ces Sciences & de ces Arts, & qui donnent lieu de les perfectionner.

C’étoit en conséquence de pareilles observations, que vers la fin du dernier siecle un medecin nommé Amman qui résidoit en Hollande, apprenoit aux muets à parler, à lire, & à écrire. Voyez l’art de parler du P. Lamy, pag. 193. Et parmi nous M. Pereyre, par des recherches & par des pratiques encore plus exactes que celles d’Amman, opere ici [à Paris, quai des Augustins] les mêmes prodiges que ce medecin opéroit en la Hollande.

Mon dessein n’est pas d’entrer ici, comme ces deux philosophes, dans l’examen & dans le détail de la