Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/644

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

certains cas à certaines prépositions. Il falloit nécessairement qu’après la préposition le nom parût pour la déterminer : or le nom ne pouvoit être énoncé qu’avec quelque-une de ses terminaisons. La distribution de ces terminaisons entre les prépositions, a été faite en chaque langue au gré de l’usage.

Or il est arrivé en latin seulement, que l’usage a affecté aux prépositions à, de, ex, pro, &c. une terminaison particuliere du nom ; ensorte que cette terminaison ne paroît qu’après quelque-une de ces prépositions exprimées ou sous-entendues : c’est cette terminaison du nom qui est appellée ablatif dans les rudimens latins. Sanctius & quelques autres grammairiens l’appellent casus præpositionis, c’est-à-dire cas affecté uniquement non à toutes sortes de prépositions, mais seulement à une douzaine ; de sorte qu’en latin ces prépositions ont toûjours un ablatif pour complément, c’est-à-dire un mot avec lequel elles font un sens déterminé ou individuel, & de son côté l’ablatif ne forme jamais de sens avec quelque-une de ces prépositions.

Il y en a d’autres qui ont toûjours un accusatif, & d’autres qui sont suivies tantôt d’un accusatif & tantôt d’un ablatif ; ensorte qu’on ne peut pas dire que l’ablatif soit tellement le cas de la préposition, qu’il n’y ait jamais de préposition sans un ablatif : on veut dire seulement qu’en latin l’ablatif suppose toûjours quelqu’une des prépositions auxquelles il est affecté.

Or dans les déclinaisons greques, il n’y a point de terminaison qui soit affectée spécialement & exclusivement à certaines prépositions, ensorte que cette terminaison n’ait aucun autre usage.

Tout ce qui suit de-là, c’est que les noms grecs ont une terminaison de moins que les noms latins.

Au contraire les verbes grecs ont un plus grand nombre de terminaisons que n’en ont les verbes latins. Les Grecs ont deux aoristes, deux futurs, un paulo post futur. Les Latins ne connoissent point ces tems-là. D’un autre côté les Grecs ne connoissent point l’ablatif. C’est une terminaison particuliere aux noms latins, affectée à certaines prépositions.

Ablativus latinis proprius, undè & latinus Varroni appellatur : ejus enim vim græcorum genitivus sustinet qui eâ de causâ & apud latinos haud rarò ablativi vicem obit. Gloss. lat. græ. voc. ablat. Ablativus proprius est Romanorum. Priscianus, lib. V. de casu p. 50. verso

Ablativi formâ græci carent, non vi. Caninii Hellenismi, pag. 87.

Il est vrai que les Grecs rendent la valeur de l’ablatif latin par la maniere établie dans leur langue, formâ carent, non vi ; & cette maniere est une préposition suivie d’un nom qui est, ou au génitif, ou au datif, ou à l’accusatif, suivant l’usage arbitraire de cette langue, dont les noms ont cinq cas, & pas davantage, nominatif, génitif, datif, accusatif, & vocatif.

Lorsqu’au renouvellement des lettres les Grammairiens Grecs apporterent en Occident des connoissances plus détaillées de la langue greque & de la grammaire de cette langue, ils ne firent aucune mention de l’ablatif ; & telle est la pratique qui a été généralement suivie par tous les auteurs de rudimens grecs.

Les Grecs ont destiné trois cas pour déterminer les prépositions : le génitif, le datif, & l’accusatif. Les Latins n’en ont consacré que deux à cet usage ; savoir l’accusatif & l’ablatif.

Je ne dis rien de tenus qui se construit souvent avec un génitif pluriel en vertu d’une ellipse : tout cela est purement arbitraire. « Les langues, dit un philosophe, ont été formées d’une maniere artificielle, à la vérité ; mais l’art n’a pas été conduit par un esprit philosophique » : Loquela artificiosè,

non tamen accuratè & philosophicè fabricata. (Guillel. Occhami, Logicæ præfat.) Nous ne pouvons que les prendre telles qu’elles sont.

S’il avoit plû à l’usage de donner aux noms grecs & aux noms latins un plus grand nombre de terminaisons différentes, on diroit avec raison que ces langues ont un plus grand nombre de cas : la langue arménienne en a jusqu’à dix, selon le témoignage du P. Galanus Théatin, qui a demeuré plusieurs années en Arménie. (Les ouvrages du P. Galanus ont été imprimés à Rome en 1650 ; ils l’ont été depuis en Hollande).

Ces terminaisons pourroient être encore en plus grand nombre ; car elles n’ont été inventées que pour aider à marquer les diverses vûes sous lesquelles l’esprit considere les objets les uns par rapport aux autres.

Chaque vûe de l’esprit qui est exprimée par une préposition & un nom, pourroit être énoncée simplement par une terminaison particuliere du nom. C’est ainsi qu’une simple terminaison d’un verbe passif latin équivaut à plusieurs mots françois : amamur, nous sommes aimés ; elle marque le mode, la personne, le nombre, le tems, & cette terminaison pourroit être telle, qu’elle marqueroit encore le genre, le lieu, & quelque autre circonstance de l’action ou de la passion.

Ces vûes particulieres dans les noms peuvent être multipliées presque à l’infini, aussi-bien que les manieres de signifier des verbes, selon la remarque de la méthode même de P. R. dans la dissertation dont il s’agit. Ainsi il n’a pas été possible que chaque vûe particuliere de l’esprit fût exprimée par une terminaison particuliere & unique, ensorte qu’un même mot eût autant de terminaisons particulieres, qu’il y a de vûes ou de circonstances différentes sous lesquelles il peut être considéré.

Je tire quelques conséquences de cette observation.

I°. Les différentes dénominations des terminaisons des noms grecs ou latins, ont été données à ces terminaisons à cause de quelqu’un de leurs usages, mais non exclusivement : je veux dire que la même terminaison peut servir également à d’autres usages qu’à celui qui lui a fait donner sa dénomination, sans qu’on change pour cela cette dénomination. Par exemple en latin, dare aliquid alicui, donner quelque chose à quelqu’un, alicui est au datif ; ce qui n’empêche pas que lorsqu’on dit en latin, rem alicui demere, adimere, eripere, detrahere, ôter, ravir, enlever quelque chose à quelqu’un, alicui ne soit pas également au datif ; de même soit qu’on dise, accusare aliquem, accuser quelqu’un, ou aliquem culpâ liberare, ou de re aliquâ purgare, justifier quelqu’un, aliquem est dit également être à l’accusatif.

Ainsi les noms que l’on a donnés à chacun des cas distinguent plûtôt la différence de la terminaison, qu’ils n’en marquent le service : ce service est déterminé plus particulierement par l’ensemble des mots qui forment la proposition.

II°. La dissertation de la méthode de P. R. p. 476, dit que ces différences d’offices, c’est-à-dire les expressions de ces différentes vûes de l’esprit peuvent être réduites à six en toutes les langues : mais cette observation n’est pas exacte, & l’on sent bien que l’auteur de la méthode de P. R. ne s’exprime ainsi que par préjugé ; je veux dire qu’accoûtumé dans l’enfance aux six cas de la langue latine, il a cru que les autres langues n’en devoient avoir ni plus ni moins que six.

Il est vrai que les six différentes terminaisons des mots latins, combinées avec des verbes ou avec des prépositions, en un mot ajustées de la maniere qu’il plaît à l’usage & à l’analogie de la langue latine, suf-