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moit l’étude, s’étant fort tourmenté la tête sur le sujet des objets visibles, & ayant consulté ses livres & ses amis, pour pouvoir comprendre les mots de lumiere & de couleur qu’il rencontroit souvent dans son chemin, dit un jour avec une extrème confiance, qu’il comprenoit enfin ce que signifioit l’écarlate : sur quoi son ami lui ayant demandé ce que c’étoit ; c’est, répondit-il, quelque chose de semblable au son de la trompette. Quiconque prétendra découvrir ce qu’emporte le nom de quelque autre idée simple par le seul moyen d’une définition, ou par d’autres termes qu’on peut employer pour l’expliquer, se trouvera justement dans le cas de cet aveugle ». Locke, l. III. c. jv.

Les philosophes qui sont venus avant ce philosophe Anglois, ne sachant pas discerner les idées qu’il falloit définir de celles qui ne devoient pas l’être, qu’on juge de la confusion qui se trouve dans leurs écrits. Les Cartésiens n’ignoroient pas qu’il y a des idées plus claires que toutes les définitions qu’on en peut donner ; mais ils n’en savoient pas la raison, quelque facile qu’elle paroisse à appercevoir. Ainsi ils font bien des efforts pour définir des idées fort simples,tandis qu’ils jugent inutile d’en définir de fort composées. Cela fait voir combien en philosophie le plus petit pas est difficile à faire. Voyez Nom.

2°. Les définitions par lesquelles on veut expliquer les propriétés des choses par un genre & par une différence, sont tout-à-fait inutiles, si par genre & par différence vous n’entendez le supplément ou l’abregé de l’énumération des qualités, que la seule analyse fait découvrir. Le moyen le plus efficace d’étendre ses connoissances, c’est d’étudier la génération des idées dans le même ordre dans lequel elles se sont formées. Cette méthode est sur-tout indispensable, quand il s’agit des notions abstraites : c’est le seul moyen de les expliquer avec netteté. Or c’est-là le propre de l’analyse.

3°. Les définitions ne nous aident jamais à connoître la nature des substances, mais seulement les essences qui se confondent avec les notions que nous nous faisons des choses ; notions fondées sur des idées archétypes, & non pas d’après des modeles réellement existans, ainsi que sont les substances.

4°. Comme les définitions, soit de nom, soit de chose, ne sont que des explications des mots, qui signifient le sens qu’on y attache, aux différences près que nous avons marquées entre les unes & les autres ; il s’ensuit qu’elles ne peuvent être contestées, & qu’on peut les prendre pour des principes. La raison en est, qu’on ne doit pas contester que l’idée qu’on a désignée, ne puisse être appellée du nom qu’on lui a donné ; mais on n’en doit rien conclure à l’avantage de cette idée, ni croire pour cela seul qu’on lui a donné un nom, qu’elle signifie quelque chose de réel : car, par exemple, si un philosophe me dit, j’appelle pesanteur le principe intérieur qui fait qu’une pierre tombe sans que rien la pousse ou l’attire ; je ne contesterai pas cette définition : au contraire, je la recevrai volontiers, parce qu’elle me fait entendre ce qu’il veut dire ; mais je pourrai nier que ce qu’il entend par ce mot de pesanteur soit quelque chose de réel.

5°. Une des grandes utilités qu’apporte la définition, c’est de faire comprendre nettement dequoi il s’agit, afin de ne pas disputer inutilement sur des mots, comme on fait si souvent même dans les discours ordinaires. Mais, outre cette utilité, il y en a encore une autre ; c’est qu’on ne peut souvent avoir une idée distincte d’une chose, qu’en y employant beaucoup de mots pour la désigner. Or il seroit importun, sur-tout dans les livres de science, de répéter toûjours cette grande suite de mots : c’est pourquoi, ayant fait comprendre la chose par tous ces

mots, on attache à un seul mot l’idée complexe qu’on a conçûe, qui tient lieu de toutes les autres. Ainsi ayant compris qu’il y a des nombres qui sont divisibles en deux également ; pour éviter de répéter tous ces termes, on donne un nom à cette propriété, en disant : j’appelle tout nombre qui est divisible en deux également nombre pair : cela fait voir que toutes les fois qu’on se sert du mot qu’on a défini, il faut substituer mentalement la définition à la place du défini, & avoir cette définition si présente, qu’aussi-tôt qu’on nomme par exemple le nombre pair, on entende précisément que c’est celui qui est divisible en deux également, & que ces deux choses soient tellement jointes & inséparables dans la pensée, qu’aussi-tôt que le discours en exprime une, l’esprit y attache immédiatement l’autre : car ceux qui définissent les termes, comme font les Géometres avec tant de soin, ne le font que pour abréger le discours, que de si fréquentes circonlocutions rendroient ennuyeux.

6°. Il ne faut point changer les définitions déjà reçûes, quand on n’a point sujet d’y trouver à redire ; car il est toûjours plus facile de faire entendre un mot lorsqu’il est déjà consacré par l’usage, au moins parmi les savans, pour signifier une idée, que lorsqu’il faut l’attacher de nouveau à une autre idée, & le détacher de celle à laquelle il étoit ordinairement lié. La raison de cette observation est, que les hommes ayant une fois attaché une idée à un mot, ne s’en défont pas facilement ; & ainsi leur ancienne idée revenant toûjours, leur fait aisément oublier la nouvelle que vous voulez leur donner en définissant ce mot : de sorte qu’il seroit plus facile de les accoûtumer à un mot qui ne signifieroit rien, que de les accoûtumer à dépouiller le mot de la premiere idée qui en étoit liée.

C’est un défaut dans lequel sont tombés quelques Chimistes, qui ont pris plaisir de changer les noms de la plûpart des choses dont ils parlent, sans qu’il en revienne aucune utilité, & de leur en donner qui signifient déjà d’autres choses qui n’ont nul véritable rapport avec les nouvelles idées auxquelles ils les lient : ce qui donne même lieu à quelques-uns de faire des raisonnemens ridicules, comme est celui d’une personne qui s’imaginant que la peste étoit un mal saturnin, prétendoit qu’on avoit guéri des pestiférés en leur pendant au cou un morceau de plomb, que les Chimistes appellent saturne, sur lequel on avoit gravé, un jour de samedi, qui porte aussi le nom de Saturne, la figure dont les Astronomes se servent pour marquer cette planete ; & comme si des rapports arbitraires entre le plomb & la planete de Saturne, & entre cette planete & le jour du samedi, & la petite marque dont on la désigne, pouvoit avoir des effets réels, & guérir effectivement des maladies. Article de M. Formey.

Définition, en Mathématiques, c’est l’explication du sens, ou de la signification d’un mot ; ou, si l’on veut, une énumération de certains caracteres, qui suffisent pour distinguer la chose définie de toute autre chose.

Telle est, comme on l’a déjà observé, la définition du mot quarré, quand on dit qu’on doit entendre par ce mot une figure renfermée par quatre côtés égaux & perpendiculaires l’un à l’autre.

On ne sauroit, en Mathématiques, s’appliquer avec trop de soin à donner des définitions exactes : car l’inexactitude de la définition empêche de bien saisir la vraie signification des mots ; le lecteur est à chaque instant en danger de s’écarter du vrai sens des propositions.

Les définitions mathématiques ne sont à la rigueur que des définitions de nom (pour user de l’expression des Logiciens) ; c’est-à-dire qu’on s’y borne à expliquer ce qu’on entend par un mot, & qu’on ne