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Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 4.djvu/80

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de la construction simple, & d’éviter les obstacles qui pourroient nous empêcher d’y réduire sans peine ce qu’il nous dit.

Comme par-tout les hommes pensent, & qu’ils cherchent à faire connoître la pensée par la parole, l’ordre dont nous parlons est au fond uniforme partout ; & c’est encore un autre motif pour l’appeller naturel.

Il est vrai qu’il y a des différences dans les langues ; différence dans le vocabulaire ou la nomenclature qui énonce les noms des objets & ceux de leurs qualificatifs ; différence dans les terminaisons qui sont les signes de l’ordre successif des correlatifs ; différence dans l’usage des métaphores, dans les idiotismes, & dans les tours de la construction usuelle : mais il y a uniformité en ce que par-tout la pensée qui est à énoncer est divisée par les mots qui en représentent les parties, & que ces parties ont des signes de leur relation.

Enfin cette construction est encore appellée naturelle, parce qu’elle suit la nature, je veux dire parce qu’elle énonce les mots selon l’état où l’esprit conçoit les choses ; le soleil est lumineux. On suit ou l’ordre de la relation des causes avec les effets, ou celui des effets avec leur cause ; je veux dire que la construction simple procede, ou en allant de la cause à l’effet, ou de l’agent au patient ; comme quand on dit, Dieu a créé le monde ; Julien Leroi a fait cette montre ; Auguste vainquit Antoine ; c’est ce que les Grammairiens appellent la voix active : ou bien la construction énonce la pensée en remontant de l’effet à la cause, & du patient à l’agent, selon le langage des philosophes ; ce que les Grammairiens appellent la voix passive : le monde a été créé par l’Etre tout-puissant ; cette montre a été faite par Julien Leroi, horloger habile ; Antoine fut vaincu par Auguste. La construction simple présente d’abord l’objet ou sujet, ensuite elle le qualifie selon les propriétés ou les accidens que les sens y découvrent, ou que l’imagination y suppose.

Or dans l’un & dans l’autre de ces deux cas, l’état des choses demande que l’on commence par nommer le sujet. En effet, la nature & la raison ne nous apprennent-elles pas, 1°. qu’il faut être avant que d’operer, prius est esse quam operari ; 2°. qu’il faut exister avant que de pouvoir être l’objet de l’action d’un autre ; 3°. enfin qu’il faut avoir une existence réelle ou imaginée, avant que de pouvoir être qualifié, c’est-à-dire avant que de pouvoir être considéré comme ayant telle ou telle modification propre, ou bien tel ou tel de ces accidens qui donnent lieu à ce que les Logiciens appellent des dénominations externes : il est aimé, il est haï, il est loüé, il est blâmé.

On observe la même pratique par imitation, quand on parle de noms abstraits & d’êtres purement métaphysiques : ainsi on dit que la vertu a des charmes, comme l’on dit que le roi a des soldats.

La construction simple, comme nous l’avons déjà remarqué, énonce d’abord le sujet dont on juge, après quoi elle dit, ou qu’il est, ou qu’il fait, ou qu’il souffre, ou qu’il a, soit dans le sens propre, soit au figuré.

Pour mieux faire entendre ma pensée, quand je dis que la construction simple suit l’état des choses, j’observerai que dans la réalité l’adjectif n’énonce qu’une qualification du substantif ; l’adjectif n’est donc que le substantif même considéré avec telle ou telle modification ; tel est l’état des choses : aussi la construction simple ne sépare-t-elle jamais l’adjectif du substantif. Ainsi quand Virgile a dit,


Frigidus, agricolam, si quando continet imber.

Géorg. liv. I. v. 259.


l’adjectif frigidus étant séparé par plusieurs mots de

son substantif imber, cette construction sera, tant qu’il vous plaira, une construction élégante, mais jamais une phrase de la construction simple, parce qu’on n’y suit pas l’ordre de l’état des choses, ni du rapport immédiat qui est entre les mots en conséquence de cet état.

Lorsque les mots essentiels à la proposition ont des modificatifs qui en étendent ou qui en restraignent la valeur, la construction simple place ces modificatifs à la suite des mots qu’ils modifient : ainsi tous les mots se trouvent rangés successivement selon le rapport immédiat du mot qui suit avec celui qui le précede : par exemple, Alexandre vainquit Darius, voilà une simple proposition ; mais si j’ajoûte des modificatifs ou adjoints à chacun de ses termes, la construction simple les placera successivement selon l’ordre de leur relation. Alexandre fils de Philippe & roi de Macédoine vainquit avec peu de troupes Darius roi des Perses qui étoit à la tête d’une armée nombreuse.

Si l’on énonce des circonstances dont le sens tombe sur toute la proposition, on peut les placer ou au commencement ou à la fin de la proposition : par ex. en la troisieme année de la cxij. olympiade, 330 ans avant Jesus-Christ, onze jours après une éclipse de lune, Alexandre vainquit Darius ; ou bien Alexandre vainquit Darius en la troisieme année, &c.

Les liaisons des différentes parties du discours, telles que cependant, sur ces entrefaites, dans ces circonstances, mais, quoique, après que, avant que, &c. doivent précéder le sujet de la proposition où elles se trouvent, parce que ces liaisons ne sont pas des parties nécessaires de la proposition ; elles ne sont que des adjoints, ou des transitions, ou des conjonctions particulieres qui lient les propositions partielles dont les périodes sont composées.

Par la même raison, le relatif qui, quæ, quod, & nos qui, que, dont, précedent tous les mots de la proposition à laquelle ils appartiennent ; parce qu’ils servent à lier cette proposition à quelque mot d’une autre, & que ce qui lie doit être entre deux termes : ainsi dans cet exemple vulgaire, Deus quem adoramus est omnipotens, le Dieu que nous adorons est tout-puissant, quem précede adoramus, & que est avant nous adorons, quoique l’un dépende d’adoramus, & l’autre de nous adorons, parce que quem détermine Deus. Cette place du relatif entre les deux propositions correlatives, en fait appercevoir la liaison plus aisément, que si le quem ou le que étoient placés après les verbes qu’ils déterminent.

Je dis donc que pour s’exprimer selon la construction simple, on doit 1°. énoncer tous les mots qui sont les signes des différentes parties que l’on est obligé de donner à la pensée, par la nécessité de l’élocution, & selon l’analogie de la langue en laquelle on a à s’énoncer.

2°. En second lieu la construction simple exige que les mots soient énoncés dans l’ordre successif des rapports qu’il y a entr’eux, ensorte que le mot qui est à modifier ou à déterminer précede celui qui le modifie ou le détermine.

3°. Enfin dans les langues où les mots ont des terminaisons qui sont les signes de leur position & de leurs relations, ce seroit une faute si l’on se contentoit de placer un mot dans l’ordre où il doit être selon la construction simple, sans lui donner la terminaison destinée à indiquer cette position : ainsi on ne dira pas en latin, diliges Dominus Deus tuus, ce qui seroit la terminaison de la valeur absolue, ou celle du sujet de la proposition ; mais on dira, diliges Dominum Deum tuum, ce qui est la terminaison de la valeur relative de ces trois derniers mots. Tel est dans ces langues le service & la destination des terminaisons ; elles indiquent la place & les rapports des mots ; ce qui est d’un grand usage lorsqu’il y a inversion, c’est-