à-dire lorsque les mots ne sont pas énoncés dans l’ordre de la construction simple ; ordre toûjours indiqué, mais rarement observé dans la construction usuelle des langues dont les noms ont des cas, c’est-à-dire des terminaisons particulieres destinées en toute construction à marquer les différentes relations ou les différentes sortes de valeurs relatives des mots.
II. De la construction figurée. L’ordre successif des rapports des mots n’est pas toûjours exactement suivi dans l’exécution de la parole : la vivacité de l’imagination, l’empressement à faire connoître ce qu’on pense, le concours des idées accessoires, l’harmonie, le nombre, le rythme, &c. font souvent que l’on supprime des mots, dont on se contente d’énoncer les correlatifs. On interrompt l’ordre de l’analyse ; on donne aux mots une place ou une forme, qui au premier aspect ne paroît pas être celle qu’on auroit dû leur donner. Cependant celui qui lit ou qui écoute, ne laisse pas d’entendre le sens de ce qu’on lui dit, parce que l’esprit rectifie l’irrégularité de l’énonciation, & place dans l’ordre de l’analyse les divers sens particuliers, & même le sens des mots qui ne sont pas exprimés.
C’est en ces occasions que l’analogie est d’un grand usage : ce n’est alors que par analogie, par imitation, & en allant du connu à l’inconnu, que nous pouvons concevoir ce qu’on nous dit. Si cette analogie nous manquoit, que pourrions-nous comprendre dans ce que nous entendrions dire ? ce seroit pour nous un langage inconnu & inintelligible. La connoissance & la pratique de cette analogie ne s’acquiert que par imitation, & par un long usage commencé dès les premieres années de notre vie.
Les façons de parler dont l’analogie est pour ainsi dire l’interprete, sont des phrases de la construction figurée.
La construction figurée est donc celle où l’ordre & le procédé de l’analyse énonciative ne sont pas suivis, quoiqu’ils doivent toûjours être apperçûs, rectifiés, ou suppléés.
Cette seconde sorte de construction est appellée construction figurée, parce qu’en effet elle prend une figure, une forme, qui n’est pas celle de la construction simple. La construction figurée est à la vérité autorisée par un usage particulier ; mais elle n’est pas conforme à la maniere de parler la plus réguliere, c’est-à-dire à cette construction pleine & suivie dont nous avons parlé d’abord. Par exemple, selon cette premiere sorte de construction, on dit, la foiblesse des hommes est grande ; le verbe est s’accorde en nombre & en personne avec son sujet la foiblesse, & non avec des hommes. Tel est l’ordre significatif ; tel est l’usage général. Cependant on dit fort bien la plûpart des hommes se persuadent, &c. où vous voyez que le verbe s’accorde avec des hommes, & non avec la plûpart : les savans disent, les ignorans s’imaginent, &c. telle est la maniere de parler générale ; le nominatif pluriel est annoncé par l’article les. Cependant on dit fort bien, des savans m’ont dit, &c. des ignorans s’imaginent, &c. du pain & de l’eau suffisent, &c.
Voilà aussi des nominatifs, selon nos Grammairiens ; pourquoi ces prétendus nominatifs ne sont-ils point analogues aux nominatifs ordinaires ? Il en est de même en latin, & en toutes les langues. Je me contenterai de ces deux exemples.
1°. La préposition ante se construit avec l’accusatif ; tel est l’usage ordinaire : cependant on trouve cette préposition avec l’ablatif dans les meilleurs auteurs, multis ante annis.
2°. Selon la pratique ordinaire, quand le nom de la personne ou celui de la chose est le sujet de la proposition, ce nom est au nominatif. Il faut bien en effet nommer la personne ou la chose dont on juge,
afin qu’on puisse entendre ce qu’on en dit. Cependant on trouve des phrases sans nominatif ; & ce qui est plus irrégulier encore, c’est que le mot qui, selon la regle, devroit être au nominatif, se trouve au contraire en un cas oblique : pœnitet me peccati, je me repens de mon péché ; le verbe est ici à la troisieme personne en latin, & à la premiere en françois.
Qu’il me soit permis de comparer la construction simple au droit commun, & la figurée au droit privilégié. Les jurisconsultes habiles ramenent les priviléges aux lois supérieures du droit commun, & regardent comme des abus que les législateurs devroient réformer, les priviléges qui ne sauroient être réduits à ces lois.
Il en est de même des phrases de la construction figurée ; elles doivent toutes être rapportées aux lois générales du discours, entant qu’il est signe de l’analyse des pensées & des différentes vûes de l’esprit. C’est une opération que le peuple fait par sentiment, puisqu’il entend le sens de ces phrases. Mais le Grammairien philosophe doit pénétrer le mystere de leur irrégularité, & faire voir que malgré le masque qu’elles portent de l’anomalie, elles sont pourtant analogues à la construction simple.
C’est ce que nous tâcherons de faire voir dans les exemples que nous venons de rapporter. Mais pour y procéder avec plus de clarté, il faut observer qu’il y a six sortes de figures qui sont d’un grand usage dans l’espece de construction dont nous parlons, & auxquelles on peut réduire toutes les autres.
1°. L’ellipse, c’est-à-dire manquement, défaut, suppression ; ce qui arrive lorsque quelque mot nécessaire pour réduire la phrase à la construction simple n’est pas exprimé ; cependant ce mot est la seule cause de la modification d’un autre mot de la phrase. P. ex. ne sus Mivervam ; Minervam n’est à l’accusatif, que parce que ceux qui entendent le sens de ce proverbe se rappellent aisément dans l’esprit le verbe doceat. Ciceron l’a exprimé (Cic. acad. i. c. jv.) ; ainsi le sens est sus non doceat Minervam, qu’un cochon, qu’une bête, qu’un ignorant ne s’avise pas de vouloir donner des leçons à Minerve déesse de la science & des beaux arts. Triste lupus stabulis, c’est-à-dire lupus est negotium triste stabulis. Ad Castoris, supplée ad ædem ou ad templum Castoris. Sanctius & les autres analogistes ont recueilli un grand nombre d’exemples où cette figure est en usage : mais comme les auteurs latins employent souvent cette figure, & que la langue latine est pour ainsi dire toute elliptique, il n’est pas possible de rapporter toutes les occasions où cette figure peut avoir lieu ; peut-être même n’y a-t-il aucun mot latin qui ne soit sousentendu en quelque phrase. Vulcani item complures, suppléez fuerunt ; primus cælo natus, ex quo Minerva Apollinem, où l’on sousentend peperit (Cic. de nat. deor. liv. III. c. xxij.) & dans Térence (eunuc. act. I. sc. I.), ego ne illam ? quæ illum ? quæ me ? quæ non ? Sur quoi Donat observe que l’usage de l’ellipse est fréquent dans la colere, & qu’ici le sens est, ego ne illam non ulciscar ? quæ illum recepit ? quæ exclusit me ? quæ non admisit ? Priscien remplit ces ellipses de la maniere suivante : ego ne illam dignor adventu meo ? quæ illum præposuit mihi ? quæ me sprevit ? quæ non suscepit heri ? Quoi j’irois la voir, elle qui a préféré Thrason, elle qui m’a hier fermé la porte ?
Il est indifférent que l’ellipse soit remplie par tel ou tel mot, pourvû que le sens indiqué par les adjoints & par les circonstances soit rendu.
Ces sousententes, dit M. Patru (notes sur les remarques de Vaugelas, tome I. page 291. édit. de 1738.) sont fréquentes en notre langue comme en toutes les autres. Cependant elles y sont bien moins ordinaires qu’elles ne le sont dans les langues qui ont des cas ;