avoir la raison & avoir des passions. Il y a donc ici une de ces propositions que les Logiciens appellent adversative ou discrétive.
Nous, est le sujet ; avons la raison pour partage, est l’attribut.
La raison pour partage : l’auteur pouvoit dire la raison en partage ; mais alors il y auroit eu un bâillement ou hiatus, parce que la raison finit par la voyelle nasale on, qui auroit été suivie de en. Les Poëtes ne sont pas toûjours si exacts, & redoublent l’n en ces occasions, la raison-n-en partage ; ce qui est une prononciation vicieuse : d’un autre côté, en disant pour partage, la rencontre de ces deux syllabes, pour, par, est desagréable à l’oreille.
Vous en ignorez l’usage ; vous, est le sujet ; en ignorez l’usage, est l’attribut. Ignorez, est le verbe ; l’usage, est le déterminant de ignorez ; c’est le terme de la signification d’ignorer ; c’est la chose ignorée. C’est le mot qui détermine ignorez.
En, est une sorte d’adverbe pronominal. Je dis que en est une sorte d’adverbe, parce qu’il signifie autant qu’une préposition & un nom ; en, inde ; de cela, de la raison. En est un adverbe pronominal, parce qu’il n’est employé que pour réveiller l’idée d’un autre mot, vous ignorez l’usage de la raison.
Innocens animaux, n’en soyez point jaloux.
C’est ici une énonciation à l’impératif.
Innocens animaux : ces mots ne dépendent d’aucun autre qui les précede, & sont énoncés sans articles : ils marquent en pareil cas la personne à qui l’on adresse la parole.
Soyez, est le verbe à l’impératif : ne point, c’est la négation.
En, de cela, de ce que nous avons la raison pour partage.
Jaloux, est l’adjectif ; c’est ce qu’on dit que les animaux ne doivent pas être. Ainsi, selon la pensée, jaloux se rapporte à animaux, par rapport d’identité, mais négativement, ne soyez pas jaloux.
Ce n’est pas un grand avantage.
Ce, pronom de la troisieme personne ; hoc, ce, cela, à savoir que nous avons la raison n’est pas un grand avantage.
Cette fiere raison, dont on fait tant de bruit,
Contre les passions n’est pas un sûr remede.
Voici proposition principale & proposition incidente.
Cette fiere raison n’est pas un remede sûr contre les passions, voilà la proposition principale.
Dont on fait tant de bruit, c’est la proposition incidente.
Dont, est encore un adverbe pronominal ; de laquelle, touchant laquelle. Dont vient de unde, par mutation ou transposition de lettres, dit Nicot ; nous nous en servons pour duquel, de laquelle, de qui, de quoi.
On, est le sujet de cette proposition incidente.
Fait tant de bruit, en est l’attribut. Fait, est le verbe ; tant de bruit, est le déterminant de fait : tant de bruit, tantum χρῆμα jactationis, tantam rem jactationis.
Un peu de vin la trouble. Un peu, peu est un substantif, parum vini, une petite quantité de vin. On dit le peu, de peu, à peu, pour peu. Peu est ordinairement suivi d’un qualificatif : de vin, est le qualificatif de peu. Un peu : un & le sont des adjectifs prépositifs qui indiquent des individus. Le & ce indiquent des individus déterminés ; au lieu que un indique un individu indéterminé : il a le même sens que quelque. Ainsi un peu est bien différent de le peu ; celui-ci précede l’individu déterminé, & l’autre l’individu indéterminé.
Un peu de vin ; ces quatre mots expriment une idée particuliere, qui est le sujet de la proposition.
La trouble, c’est l’attribut : trouble, est le verbe ; la, est le terme de l’action du verbe. La est un pronom de la troisieme personne ; c’est-à-dire que la rappelle l’idée de la personne ou de la chose dont on a parlé ; trouble la, elle, la raison.
Un enfant (l’Amour) la séduit ; c’est la même construction que dans la proposition précédente.
Et déchirer un cœur qui l’appelle à son aide,
Est tout l’effet qu’elle produit.
La construction de cette petite période mérite attention. Je dis période, grammaticalement parlant, parce que cette phrase est composée de trois propositions grammaticales ; car il y a trois verbes à l’indicatif, appelle, est, produit.
Déchirer un cœur est tout l’effet, c’est la premiere proposition grammaticale ; c’est la proposition principale.
Déchirer un cœur, c’est le sujet énoncé par plusieurs mots, qui font un sens qui pourroit être énoncé par un seul mot, si l’usage en avoit établi un. Trouble, agitation, repentir, remords, sont à-peu-près les équivalens de déchirer un cœur.
Déchirer un cœur, est donc le sujet ; & est tout l’effet, c’est l’attribut.
Qui l’appelle à son aide, c’est une proposition incidente.
Qui en est le sujet ; ce qui est le pronom relatif qui rappelle cœur.
L’appelle à son aide, c’est l’attribut de qui ; la est le terme de l’action d’appelle ; appelle elle, appelle la raison.
Qu’elle produit, elle produit lequel effet.
c’est la troisieme proposition.
Elle, est le sujet : elle est un pronom qui rappelle raison.
Produit que, c’est l’attribut d’elle : que est le terme de produit ; c’est un pronom qui rappelle effet.
Que étant le déterminant ou terme de l’action de produit, est après produit, dans l’ordre des pensées, & selon la construction simple : mais la construction usuelle l’énonce avant produit ; parce que le que étant un relatif conjonctif, il rappelle effet, & joint elle produit avec effet. Or ce qui joint doit être entre deux termes ; la relation en est plus aisément apperçûe, comme nous l’avons déjà remarqué.
Voilà trois propositions grammaticales ; mais logiquement il n’y a là qu’une seule proposition.
Et déchirer un cœur qui l’appelle à son aide : ces mots font un sens total, qui est le sujet de la proposition logique.
Est tout l’effet qu’elle produit, voilà un autre sens total qui est l’attribut ; c’est ce qu’on dit de déchirer un cœur.
Toûjours impuissante & sévere ;
Elle s’oppose à tout, & ne surmonte rien.
Il y a encore ici ellipse dans le premier membre de cette phrase. La construction pleine est : La raison est toûjours impuissante & sévere ; elle s’oppose à tout, parce qu’elle est sévere ; & elle ne surmonte rien, parce qu’elle est impuissante.
Elle s’oppose à tout ce que nous voudrions faire qui nous seroit agréable. Opposer, ponere ob, poser devant, s’opposer, opposer soi, se mettre devant comme un obstacle. Se, est le terme de l’action d’opposer. La construction asuelle le met avant son verbe, comme me, te, le, que, &c. A tout, Cicéron a dit, opponere ad.
Ne surmonte rien ; rien est ici le terme de l’action de surmonte. Rien est toûjours accompagné de la négation exprimée ou sousentendue ; rien, nullam rem.
Sur toutes riens garde ces points. Mehun au testa-