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de faire des recherches sur ce sujet, avec toute la sagacité qui le caractérise dans les différentes expériences qu’il a faites, au grand avantage de la physique du corps humain.

C’est dans le cours de l’année 1752 qu’il a commencé & continué celles qui étoient nécessaires pour pénétrer plus profondément le secret, que la nature s’étoit réservé jusqu’à ce tems, sur les mouvemens du cerveau : & pour ne pas tomber dans l’inconvénient des personnes quelquefois trop crédules, qui mettent leur esprit à la torture, pour expliquer des phénomenes qui n’ont jamais existé ; il a cherché d’abord à s’assurer de la réalité des mouvemens du cerveau, & à se confirmer ensuite la correspondance qu’ils ont avec ceux de la respiration, avant que de travailler à en découvrir la cause : il est parvenu à se satisfaire au-dela de son attente sur tous ces points, & à résoudre ces trois problèmes, au moyen de plusieurs expériences faites sur des chiens vivans & morts, répétées avec tout le soin possible, qui lui ont fourni la matiere d’un mémoire que l’académie de Montpellier a envoyé à celle de Paris, comme un gage de l’union qui doit subsister entr’elles, comme ne faisant qu’un même corps, pour être inséré dans le volume des mém. de l’académie royale des Sciences de la présente année, conformément à ce qui se pratique annuellement.

Le précis de ce qu’a établi dans son mémoire M. de la Mure, peut être rendu par cette seule expérience, d’où on peut inférer ce qu’il contient de plus essentiel.

Si l’on ouvre avec le trépan le crâne d’un chien vivant attaché convenablement sur une table, & qu’ayant aussi ouvert le bas-ventre, on découvre la veine-cave, on observe ce qui suit.

Dans le tems que le chien inspire, le thorax étant dilaté, les côtes étant écartées les unes des autres, le cerveau s’affaisse & s’éloigne en-dedans du crane, de l’orifice fait par le trépan : soit que la dure-mere enveloppe la substance corticale, ou qu’elle ait été enlevée, toutes les veines considérables, comme les jugulaires, les caves, les iliaques s’affaissent en même tems, de même que les petites veines, telles que celles qui rampent dans l’épaisseur de la pie-mere ; ce qui n’est cependant pas aussi sensible : & lorsque le chien fait ses expirations, qu’il crie ; le thorax étant alors resserré, le cerveau s’enfle, s’applique fortement au crane, toutes les veines se dilatent & reprennent la figure cylindrique.

M. de Sauvages a été témoin de cette expérience, & de plusieurs autres faites à ce sujet.

M. de la Mure établit d’après ces faits, qu’il rend de la derniere évidence, par la maniere dont il les expose ; que le mouvement de diastole & de systole, qu’on observe dans toute la masse du cerveau est incontestablement démontré ; qu’il se forme pendant la systole un espace entre le cerveau & le crâne, que le reflux du sang vers le cerveau est la véritable cause du mouvement de l’élévation de ce viscere ; que ce reflux est l’effet de la pression des poumons sur les troncs veineux renfermés dans le thorax ; que cette pression fait enfler également les veines inférieures & les veines supérieures ; que cette pression a lieu pendant l’expiration, soit qu’elle se fasse librement, soit qu’elle soit suspendue, parce que le thorax comprime les poumons, qui sont pleins d’air qui résiste à son expulsion, se raréfie de plus en plus, & réagit sur tous les corps ambians, ne pouvant pas sortir librement par la glotte, qui ne lui laisse qu’une très-petite issue à proportion de son volume ; que cette pression produit un véritable mouvement rétrograde du sang dans toutes les veines mentionnées : mouvement que l’œil peut suivre ; que l’affaissement du cerveau n’est dû qu’à la facilité avec

laquelle le sang se porte vers les gros vaisseaux de la poitrine dans le tems de l’inspiration, parce que ses parois fuyant, pour ainsi dire, devant les poumons, en s’écartant pour dilater le thorax, laissent pénétrer librement & le sang & l’air : qu’en imitant le jeu de la respiration, l’animal étant mort, on apperçoit les mêmes phénomenes que dans le vivant par la seule pression du thorax sur les poumons : que les mouvemens du cerveau n’ont pas lieu dans le fœtus, par le défaut de respiration : que le premier mouvement qu’éprouve ce viscere, doit être celui du resserrement par l’effet de la premiere inspiration, qui rend plus libre l’évacuation des veines, en diminuant la résistance occasionnée par la pression des troncs veineux sur le thorax ; que les mouvemens que l’on observe dans le cerveau, s’observent aussi dans le cervelet ; qu’il y a lieu de penser qu’ils s’étendent à toute la moëlle épiniere, quoiqu’on ne puisse pas s’en assûrer dans l’animal vivant.

M. de la Mure, après avoir donné la solution de toutes les difficultés qui se présentent d’abord contre les conséquences qu’il tire de ses expériences faites sur les animaux, en fait l’application au corps humain, & la confirme par plusieurs observations faites sur des sujets humains, que rapporte M. Schligting, qui répondent parfaitement à ce qu’il avoit vû dans les animaux.

La cause de ces mouvemens, c’est-à-dire le reflux du sang dans les troncs des veines, paroît également avoir lieu dans l’homme. Il est très-sensible dans les fortes expirations, sur-tout lorsqu’elles sont un peu soûtenues, que l’on crie, que l’on chante : lors même que l’on parle avec vivacité, les veines jugulaires se gonflent évidemment.

D’ailleurs la structure anatomique de l’homme n’offre point de différence assez considérable, pour que cette cause n’y agisse pas ainsi que dans les animaux.

On peut appliquer également au corps humain toutes les conséquences qui se présentent en foule, d’après les observations faites à ce sujet.

On conçoit clairement, par exemple, pourquoi l’action de parler augmente le mal de tête, pourquoi la toux produit le même effet, en rendant plus fort le reflux du sang vers les membranes du cerveau, qui doivent conséquemment être plus distendues & plus irritées : on a même vû le crane si fort enflé par l’effet d’une toux violente, que les tégumens cicatrisés, qui tenoient lieu d’une portion du crane, en avoient été déchirés. Dans les fractures des os de la tête, après l’application du trépan, on fait retenir son haleine au malade avec effort (comme dans le cas des selles difficiles), on le fait souffler, expirer fortement, ce qui se fait dans la vûe de procurer une évacuation plus prompte & plus abondante des matieres contenues entre la dure-mere & le crane, en faisant gonfler le cerveau qui les exprime par l’issue qui se présente.

Toutes ces observations font sentir l’importance des effets que peut produire le reflux du sang. Toutes les expériences dont s’est servi l’auteur du mémoire dont il s’agit, pour expliquer les mouvemens du cerveau, peuvent encore fournir des corollaires qui ne sont pas d’une moindre conséquence. Elles établissent l’usage des valvules dans les veines, la raison de la différence de ces valvules & de leur position ; elles font connoître pourquoi elles ne se trouvent pas dans tous les vaisseaux veineux.

Ces mêmes faits jettent les fondemens d’une théorie nouvelle de la saignée. Ils établissent ultérieurement l’importance des effets que produit la respiration pour le mouvement du sang. Ils donnent lieu à des idées qui pourroient paroître paradoxes au sujet des