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vit plus commodément. S’il étoit possible même de borner le nombre des papiers circulans, & si la facilité de dépenser n’étoit pas un présage presque certain d’une grande dépense, je les croirois fort utiles dans les circonstances d’un épuisement général dans tous les membres du corps politique : disons plus, il n’en est pas d’autre, sous quelque nom ou quelque forme qu’on les présente. Il ne s’agit que de savoir user de la fortune, & se ménager des ressources.

Cette discussion prouve invinciblement que le commerce étranger est le seul intérêt réel d’un état au-dedans. Cet intérêt est celui du peuple, & celui du peuple est celui du prince : ces trois parties forment un seul tout. Nulle distinction subtile, nulle maxime d’une politique fausse & captieuse, ne prouvera jamais à un homme qui joüit de sa raison, qu’un tout n’est point affecté par l’affoiblissement d’une de ses parties. S’il est sage de savoir perdre quelquefois, c’est dans le cas où l’on se réserve l’espérance de se dédommager de ses pertes.

M. Melon propose pour dernier appui de son sentiment, le problême suivant :

L’imposition nécessaire au payement des charges de l’état étant telle, que les contribuables, malgré les exécutions militaires, n’ont pas de quoi les payer par la vente de leurs denrées, que doit faire le législateur ?

J’aimerois autant que l’on demandât ce que doit faire un général dont l’armée est assiégée tout-à-la fois par la famine & par les ennemis, dans un poste très-desavantageux.

Dire qu’il ne falloit pas s’y engager, seroit une réponse assez naturelle, puisque l’on ne désigneroit aucune des circonstances de cette position ; mais certainement personne ne donneroit pour expédient de livrer la moitié des armes aux ennemis, afin d’avoir du pain pendant quatre jours.

C’étoit sans doute par modestie que M. Desmarests disoit qu’on avoit fait subsister les armées & l’état en 1709, par une espece de miracle. Quelque cruelle que fût alors notre situation, il me semble que les mots de miracle & d’impossibilité ne sont point faits pour les hommes d’état.

Toute position a ses ressources quelconques, pour qui sait l’envisager de sang-froid & d’après de bons principes. Il est vrai que dans ces occasions critiques, comme dans toutes les autres, il faut se rappeller la priere de David : Infatua, Domine, consilium Achitopel.

Ce que nous avons dit sur la balance de notre commerce en 1655, prouve combien peu est fondé ce préjugé commun, que notre argent doit être plus bas que celui de nos voisins, si nous voulons commercer avantageusement avec eux. M. Dutot l’a également démontré par les changes.

La vraie cause de cette opinion parmi quelques négocians ; plus praticiens qu’observateurs des causes & des principes, est que nos surhaussemens ont presque toûjours été suivis de diminutions.

On a. toutes les peines du monde alors à faire consentir les ouvriers à baisser leurs salaires, & les denrées se soûtiennent jusqu’à ce que la suspension du Commerce les ait réduites à leur proportion. C’est ce qui arrive même après les chertés considérables ; l’abondance ne ramene que très-lentement les anciens prix.

Ce passage est donc réellement très-desavantageux au Commerce, mais il n’a point de suites ultérieures. Observons encore que l’étranger qui doit, ne tient point compte des diminutions, & que cependant le négociant est obligé de payer ses dettes sur le pié établi par la loi. Il en résulte des faillites, & un grand discrédit général.

C’est donc la crainte seule des diminutions qui a enfanté cette espece de maxime fausse en elle-même, que notre argent doit être bas.

La vérité est qu’il est important de le laisser tel qu’il se trouve ; que parmi les prospérités de la France, elle doit compter principalement la stabilité actuelle des monnoies. Voyez les articles Monnoie, Or, Argent, Cuivre, &c.

ESPERANCE, s. f. (Morale.) contentement de l’ame que chacun éprouve, lorsqu’il pense à la joüissance qu’il doit probablement avoir d’une chose qui est propre à lui donner de la satisfaction.

Le Créateur, dit l’auteur de la Henriade, pour adoucir les maux de cette vie ;

A placé parmi nous deux êtres bienfaisans,
De la terre à jamais aimables habitans,
Soûtiens dans les travaux, thrésors dans l’indigence :
L’un est le doux sommeil, & l’autre l’espérance.

Aussi Pindare appelle l’espérance, la bonne nourrice de la vieillesse. Elle nous console dans nos peines, augmente nos plaisirs, & nous fait joüir du bonheur avant qu’il existe ; elle rend le travail agréable, anime toutes nos actions, & recrée l’ame sans qu’elle y pense. Que de philosophie dans la fable de Pandore !

Les plaisirs que nous goûtons dans ce monde sont en si petit nombre & si passagers, que l’homme seroit la plus misérable de toutes les créatures, s’il n’étoit doüé de cette passion qui lui procure quelque avant-goût d’un bonheur qui peut lui arriver un jour. Il y a tant de vicissitudes ici bas, qu’il est quelquefois difficile de juger à quel point nous sommes à bout de notre espérance ; cependant notre vie est encore plus heureuse, lorsque cette espérance regarde un objet d’une nature sublime : c’est pourquoi l’espérance religieuse soûtient l’ame entre les bras de la mort, & même au milieu des souffrances. Voyez l’article suivant Espérance, (Théologie).

Mais l’espérance immodérée des hommes à l’égard des biens temporels, est une source de chagrins & de calamités ; elle coûte souvent autant de peines, que les craintes causent de souci. Les espérances trop vastes & formées par une trop longue durée, sont déraisonnables, parce que le tombeau est caché entre nous & l’objet après lequel nous soupirons. D’ailleurs dans cette immodération de desirs, nous trouvons toûjours de nouvelles perspectives au-delà de celles qui terminoient d’abord nos premieres vûes. L’espérance est alors un miroir magique qui nous séduit par de fausses images des objets : c’est alors qu’elle nous aveugle par des illusions, & qu’elle nous trompe, comme ce verrier persan des contes arabes, qui dans un songe flateur renversa par un coup de pié toute sa petite fortune. Enfin l’espérance de cette nature, en nous égarant par des phantomes ébloüissans, nous empêche de goûter le repos, & de travailler à notre bien-être par le secours de la prévoyance & de la sagesse. Ce que Pyrrhus avoit gagné par ses exploits, il le perdit par ses vaines espérances ; car le desir de courir après ce qu’il n’avoit pas, & l’espoir de l’obtenir, l’empêcha de conserver ce qu’il avoit acquis ; semblable à celui qui joüant aux dés, amene des coups favorables, mais qui n’en sait pas profiter. Que ne vous reposez-vous dès-à-présent, lui dit Cinéas ?

Les conséquences qui naissent de ce petit nombre de réflexions, sont toutes simples. L’espérance est un présent de la nature que nous ne saurions trop priser ; elle nous mene à la fin de notre carriere par un chemin agréable, qui est semé de fleurs pendant le cours du voyage. Nous devons espérer tout ce qui est bon, dit le poëte Linus, parce qu’il n’y a rien en ce genre, que d’honnêtes gens ne puissent se promettre, & que les dieux ne soient en état de leur accorder ; mais les hommes flotent sans cesse entre des craintes ridicules & de fausses espérances. Loin de se laisser guider par la raison, ils se forgent des mon-