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servation de soi-même, & l’utilité particuliere ; il conclut de-là que tous les hommes ont la volonté, les forces, & le pouvoir de se faire du mal les uns aux autres, & que l’état de nature est un état de guerre contre tous ; il attribue aux rois une autorité sans bornes, non-seulement dans les affaires d’état, mais aussi en matiere de religion. Lambert Verthuisen, philosophe des Provinces-unies, fit une dissertation pour justifier la maniere dont les lois naturelles sont présentées dans le traité du citoyen ; mais ce ne fut qu’en abandonnant les principes d’Hobbes, ou en tâchant d’y donner un sens favorable. Hobbes donna encore au public un autre ouvrage intitulé leviathan, dont le précis est que sans la paix il n’y a point de sûreté dans un état ; que la paix ne peut subsister sans le commandement, ni le commandement sans les armes ; que les armes ne valent rien, si elles ne sont mises entre les mains d’une personne, &c. Il soûtient ouvertement, que la volonté du souverain fait non-seulement ce qui est juste ou injuste, mais même la religion ; qu’aucune révélation divine ne peut obliger la conscience, que quand le souverain, auquel il attribue une puissance arbitraire, lui a donné force de loi.

Spinoza a eu depuis les mêmes idées de l’état de nature, qu’il fonde sur les mêmes principes.

On ne s’engagera pas ici à refuter le système pernicieux de ces deux philosophes, dont on apperçoit aisément les erreurs.

Le baron de Puffendorf ayant conçû le dessein de former un système du droit de la nature & des gens, suivit l’esprit & la méthode de Grotius ; il examina les choses dans leurs sources, & profita des lumieres de ceux qui l’avoient précédé ; il y joignit ses propres découvertes, & donna d’abord un premier traité sous le titre d’élémens de jurisprudence universelle. Cet ouvrage, quoiqu’encore imparfait, donna une si haute idée de l’auteur, que l’électeur palatin Charles-Louis l’appella l’année suivante dans son université d’Heidelberg, & fonda pour lui une chaire de professeur en droit de la nature & des gens.

M. de Barbeyrac ; dans la préface qu’il a mise en tête de la traduction du traité du droit de la nature & des gens de Puffendorf, fait mention d’un autre professeur allemand, nommé Buddœus, qui avoit été professeur en droit naturel & en morale à Hall en Saxe, & qui est auteur d’une histoire du droit naturel.

M. Burlamaqui auteur des principes du droit naturel, dont on parlera dans un moment, étoit auparavant professeur en droit naturel & civil à Geneve ; ce qui donne lieu de remarquer en passant que dans plusieurs états d’Allemagne & d’Italie on a reconnu l’utilité qu’il y avoit d’établir une école publique du droit naturel & des gens, qui est la source du droit civil, public, & privé : il seroit à souhaiter que l’étude du droit naturel & des gens, & celle du droit public, fussent partout autant en recommandation : revenons à Puffendorf que nous avions quitté pour un moment.

Les élémens de jurisprudence universelle ne sont pas son seul ouvrage sur le droit naturel ; il donna deux ans après son traité du droit de jure naturæ & gentium, qui a été traduit par Barbeyrac, & accompagné de notes ; Puffendorf a aussi donné un abregé de ce traité, intitulé des devoirs de l’homme & du citoyen. Quoique son grand traité soit également intitulé du droit de la nature & des gens, il s’étend néanmoins beaucoup plus sur le droit des gens que sur le droit naturel : on en a déjà donné l’analyse au mot Droit des Gens, auquel nous renvoyons le lecteur.

L’ouvrage le plus récent, le plus précis, & le plus méthodique que nous ayons sur le droit naturel, est celui que nous ayons déjà annoncé de J. J. Burlama-

qui conseiller d’état, & ci-devant professeur en droit naturel & civil à Geneve, imprimé à Geneve en

1747, in-4°. Il est intitulé principes du droit naturel, divisé en deux parties.

La premiere a pour objet les principes généraux du droit ; la seconde les lois naturelles : chacune de ces deux parties est divisée en plusieurs chapitres, & chaque chapitre en plusieurs paragraphes.

Dans la premiere partie, qui concerne les principes généraux du droit, après avoir défini le droit naturel, il cherche les principes de cette science dans la nature & l’état de l’homme ; il examine ses différentes actions, & singulierement celles qui sont l’objet du droit ; il explique que l’entendement est naturellement droit, que sa perfection consiste dans la connoissance de la vérité, que l’ignorance & l’erreur sont deux obstacles à cette connoissance.

De-là il passe à la volonté de l’homme, à ses instincts, inclinations, passions, à l’usage qu’il fait de sa liberté par rapport au vrai & aux choses mêmes évidentes, par rapport au bien & au mal, & aux choses indifférentes.

L’homme est capable de direction dans sa conduite ; il est comptable de ses actions, elles peuvent lui être imputées.

La distinction des divers états de l’homme entre aussi dans la connoissance du droit naturel ; il faut considérer son état primitif par rapport à Dieu, par rapport à la société ou à la solitude ; à l’égard de la paix & de la guerre, certains états sont accessoires & adventifs, tels que ceux qui résultent de la naissance & du mariage. L’état de foiblesse où l’homme est à sa naissance, met les enfans dans la dépendance naturelle de leurs pere & mere : la position de l’homme par rapport à la propriété des biens & par rapport au gouvernement, lui constituent encore divers autres états accessoires.

Il ne seroit pas convenable que l’homme vêcût sans aucune regle : la regle suppose une fin ; celle de l’homme est de tendre à son bonheur ; c’est le système de la providence ; c’est un desir essentiel à l’homme & inséparable de la raison, qui est la regle primitive de l’homme.

Les regles de conduite qui en dérivent, sont de faire un juste discernement des biens & des maux ; que le vrai bonheur ne sauroit consister dans des choses incompatibles avec la nature & l’état de l’homme ; de comparer ensemble le présent & l’avenir ; de ne pas rechercher un bien qui apporte un plus grand mal ; de souffrir un mal leger lorsqu’il est suivi d’un bien plus considérable ; donner la préférence aux biens les plus parfaits ; dans certains cas se déterminer par la seule possibilité, & à plus forte raison par la vraissemblance ; enfin prendre le goût des vrais biens.

Pour bien connoître le droit naturel, il faut entendre ce que c’est que l’obligation considérée en général. Le droit pris en tant que faculté produit obligation : les droits & obligations sont de plusieurs sortes ; les uns sont naturels, les autres sont acquis, quelques-uns sont tels que l’on ne peut en user en toute rigueur, d’autres ausquels on ne peut renoncer : on les distingue aussi par rapport à leurs objets ; savoir, le droit que nous avons sur nous-mêmes, qui est ce que l’on appelle liberté ; le droit de propriété ou domaine sur les choses qui nous appartiennent ; le droit que l’on a sur la personne & sur les actions des autres, qui est ce qu’on appelle empire ou autorité ; enfin le droit que l’on peut avoir sur les choses appartenantes à autrui, qui est aussi de plusieurs sortes.

L’homme étant de sa nature un être dépendant, doit prendre pour regle de ses actions la loi, qui n’est autre chose qu’une regle prescrite par le souverain :