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qu’une eau sale & brouillée. Aristote, Crescentius, Ruellius & quelques autres, prêtent donc à l’animal une intention qu’il n’a point, & ont laissé échapper celle qu’il a réellement, & qui lui est suggérée par un instinct & par un goût qu’ils reconnoissoient néanmoins en lui.

Il n’est pas douteux que c’est ce même goût qui le sollicite & qui l’engage à plonger sa tête plus ou moins profondément dans l’auge ou dans le seau qui contient sa boisson. Cette action, à laquelle il ne se livre que lorsque l’altération n’est pas considérable, a cependant occasionné de nouveaux écarts. Pline en a conclu que les chevaux trempent les nazeaux dans l’eau quand ils s’abreuvent. Jerôme Garembert, quest. xlv. a avancé qu’ils y plongent la tête jusqu’aux yeux, tandis que les ânes & les mulets hument du bord des levres. Un naturaliste moderne, qui sans doute n’a vérifié ni l’un ni l’autre de ces faits, & qui n’a peut-être prononcé que sur la foi des Naturalistes qu’il a consultés, n’a pas craint de regarder la froideur de l’eau qui frappe la membrane muqueuse de l’animal au moment où il boit, comme la cause d’une maladie dont la source n’est réellement que dans le sang : il suggere même un expédient assez particulier pour la prévenir. Il conseille à cet effet d’essuyer les nazeaux du cheval chaque fois qu’il a bû. Telle est la triste condition de l’esprit humain, les vérités les plus sensibles se dérobent à lui ; & des écrits dans lesquels brillent l’érudition & le plus profond savoir, sont toûjours semés d’une foule d’erreurs.

Ce n’en seroit pas une moins grossiere que d’imaginer sur le nom & sur la réputation d’Aristote, que l’eau trouble engraisse le cheval, & lui est plus salutaire que d’autre. Pour peu que l’on soit éclairé sur le méchanisme des corps animés, on rejette loin de soi le principe pitoyable sur lequel est établie cette doctrine. Il seroit très-difficile de découvrir la sorte d’élaboration à la faveur de laquelle des corpuscules terrestres & grossiers aideroient à fournir un chyle balsamique, & propre à une assimilation d’où résulteroit une homogenéité véritable. Non-seulement le fluide aqueux dissout les humeurs visqueuses, entretient la fluidité du sang, tient tous les émonctoires convenables ouverts, debarrasse tous les conduits, & facilite merveilleusement la plus importante des excrétions, c’est-à-dire la transpiration insensible ; mais sans son secours la nutrition ne sauroit être parfaitement opérée : il est le véhicule qui porte le suc nourricier jusque dans les pores les plus tenus & les plus déliés des parties. Il suit de cette vérité & de ces effets, que les seules eaux bienfaisantes seront celles qui, legeres, pures, simples, douces & claires, passeront avec facilité dans tous les vaisseaux excrétoires ; & nous devons penser que celles qui sont crues, pesantes, croupissantes, inactives, terrestres, & imprégnées en un mot de parties hétérogenes grossieres, forment une boisson très-nuisible, attendu la peine qu’elles ont de se frayer une route à-travers des canaux, à l’extrémité desquels elles ne parviennent jamais sans y causer des obstructions. J’avoue que celles-ci, eu égard à la construction de l’animal, à la force de ses organes digestifs, au genre d’alimens dont il se nourrit, &c. ne sont point aussi pernicieuses pour lui que pour l’homme : nous ne devons pas néanmoins nous dispenser de faire attention aux différentes qualités de celles dont nous l’abreuvons. Les eaux trop vives suscitent de fortes tranchées, des avives considérables. Les eaux de neige provoquent ordinairement une toux violente, un engorgement considérable dans les glandes sublinguales & maxillaires ; elles excitent en même tems dans les jeunes chevaux un flux considérable par les nazeaux, d’une humeur

plus ou moins épaisse, & d’une couleur plus ou moins foncée.

Le tems & la maniere d’abreuver ces sortes d’animaux, sont des points qui importent essentiellement à leur conservation.

On ne doit jamais, & dans aucune circonstance, les faire boire quand ils ont chaud, quand ils sont essoufflés, & avant de les avoir laissé reposer plus ou moins long-tems. L’heure la plus convenable pour les abreuver, est celle de huit ou neuf heures du matin, & de sept ou huit heures du soir. En été on les abreuve trois fois par jour, & la troisieme fois doit être fixée à environ cinq heures après la premiere. Il est vrai qu’eu égard aux chevaux qui travaillent & aux chevaux qui voyagent, un pareil régime ne sauroit être exactement constant ; mais il ne faut point absolument s’écarter & se départir de la maxime qui concerne le cheval hors d’haleine, & qui est en sueur. Nos chevaux de manége ne boivent qu’une heure ou deux après que nos exercices sont finis ; le soir on les abreuve à sept heures, & toujours avant de leur donner l’avoine : cette pratique est préférable à celle de leur donner le grain avant la boisson, à moins que le cheval ayant eu très-chaud, on ne lui donne une mesure d’avoine avant & après qu’il aura bû.

Plusieurs personnes sont en usage d’envoyer leurs chevaux boire à la riviere ; cette habitude, blâmée d’un côté par Xénophon, & loüée de l’autre par Camerarius, ne sauroit être improuvée, pourvû que l’on soit assûré de la sagesse de ceux qui les y conduisent, qu’on ne les y mene pas dans le tems le plus âpre de l’hyver, & qu’on ait l’attention à leur retour, non-seulement d’avaler avec les mains l’eau dont leurs quatre jambes sont encore mouillées, mais de leur essuyer & de leur sécher parfaitement les piés.

Ceux qui abreuvent l’animal dans l’écurie doivent, en hyver, avoir grand soin de lui faire boire l’eau sur le champ & aussi-tôt qu’elle est tirée. Dans l’été au contraire il est indispensable de la tirer le soir pour le lendemain matin, & le même matin pour le soir du même jour. Je ne suis point sur ce fait d’accord avec Camerarius ; il invective vainement les palefreniers qui offrent à boire à leurs chevaux de l’eau qui a séjourné dans un vase, parce qu’elle a été exposée à la chûte de plusieurs ordures ; il veut qu’elle soit tirée fraichement & présentée aussi-tôt à l’animal : mais les suites funestes d’une pareille méthode observée dans le tems des chaleurs, n’ont que trop énergiquement prouvé la séverité avec laquelle elle doit être proscrite. On peut parer cependant à la froideur de l’eau & à sa trop grande crudité, soit en y trempant les mains, soit en y jettant du son, soit en l’exposant au soleil, soit en la mêlant avec une certaine quantité d’eau chaude, soit enfin en l’agitant avec une poignée de foin, autrement on courroit risque de précipiter le cheval dans quelque maladie sérieuse. J’ajoûterai qu’il est essentiel de s’opposer à ce qu’il boive tout d’une haleine ; on doit l’interrompre de tems en tems quand il s’abreuve, de maniere qu’il ne s’essouffle pas lui-même, & que sa respiration soit libre ; c’est ce que nous appellons couper, rompre l’eau à l’animal.

Une question à décider, est celle de savoir s’il convient mieux d’abreuver un cheval dans la route, ou d’attendre à cet effet que l’on soit arrivé au lieu où l’on doit s’arrêter. Si l’on consultoit M. de Soleysel sur cette difficulté, on trouveroit qu’il a prononcé pour & contre. Dans le chapitre xxjx. de la seconde partie de son ouvrage, édition de l’année 1712, chez Emery, il charge le bon sens de conclure pour lui, que les chevaux doivent boire en chemin, par la raison que s’ils ont chaud en arrivant, on est un tems infini