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leur enthousiasme. Cependant la persécution que l’empereur exerçoit contre les philosophes, augmentoit de jour en jour ; Edesius épouvanté eut recours aux opérations de la Théurgie, pour en être éclairci sur son sort : les dieux lui promirent ou la plus grande réputation, s’il demeuroit dans la société ; ou une sagesse qui l’égaleroit aux dieux, s’il se retiroit d’entre les hommes. Edésius se disposoit à prendre ce dernier parti, lorsque ses disciples s’assemblent en tumulte, l’entourent, le prient, le conjurent, le menacent, & l’empêchent d’aller, par une crainte indigne d’un philosophe, se réléguer dans le fond d’une forêt, & de priver les hommes des exemples de sa vertu & des préceptes de sa philosophie, dans un tems où la superstition, disoient-ils, s’avançoit à grands pas, & entraînoit la multitude des esprits. Edesius établit son école à Pergame : Julien le consulta, l’honora de son estime, & le combla de présens : la promesse des dieux qu’il avoit consultés s’accomplit ; son nom se répandit dans la Grece, on se rendit à Pergame de toutes les contrées voisines. Il avoit un talent particulier pour humilier les esprits fiers & transcendans, & pour encourager les esprits foibles & timides. Les atteliers des artistes étoient les endroits qu’il fréquentoit le plus volontiers au sortir de son école ; ce qui prouve que l’enthousiasme & la théurgie n’avoient point éteint en lui le goût des connoissances utiles. Il professa la philosophie jusque dans l’âge le plus avancé.

Eustathe disciple de Jamblique & d’Edesius, fut un homme éloquent & doux, sur le compte duquel on a débité beaucoup de sottises. J’en dis autant de Sosipatra ; des vieillards la demandent à son pere, & lui prouvent par des miracles qu’il ne peut en conscience la leur refuser : le pere cede sa fille, les vieillards s’en emparent, l’initient à tous les mystères de l’Eclectisme & de la théurgie, lui conferent le don d’enthousiasme & disparoissent, sans qu’on ait jamais sû ce qu’ils étoient devenus. J’en dis autant d’Antonin fils de Sosipatra ; je remarquerai seulement de celui-ci, qu’il ne fit point de miracles, parce que l’empereur n’aimoit pas que les philosophes en fissent. Il y eut un moment où la frayeur pensa faire ce qu’on devoit attendre du sens commun ; ce fut de séparer la Philosophie de la Théurgie, & de renvoyer celle-ci aux diseurs de bonne-avanture, aux saltinbanques, aux fripons, & aux prestigiateurs. Eusebe de Minde en Carie, qui parut alors sur la scene, distingua les deux especes de purifications que la Philosophie éclectique recommandoit également ; il appella l’une théurgique, & l’autre rationelle, & s’occupa sérieusement à décrier la premiere ; mais les esprits en étoient trop infectés : c’étoit une trop belle chose que de commercer avec les dieux, que d’avoir les démons à son commandement, que de les appeller à soi par des incantations, ou de s’élever à eux par l’extase, pour qu’on pût détromper facilement les hommes d’une science qui s’arrogeoit ces merveilleuses prérogatives. S’il y avoit un homme alors auprès duquel la philosophie d’Eusebe devoit réussir, c’étoit l’empereur Julien ; cependant il n’en fut rien : Julien quitta ce philosophe sensé, pour se livrer aux deux plus violens théurgistes que la secte éclectique eût encore produits, Maxime d’Ephese & Chrysanthius.

Maxime d’Ephese étoit né de parens nobles & riches ; il eut donc à fouler aux piés les espérances les plus flateuses, pour se livrer à la Philosophie : c’est un courage trop rare pour ne pas lui en faire un mérite. Personne ne fut plus évidemment appellé à la Théurgie & à l’Eclectisme, si l’on regarde l’éloquence comme le caractere de la vocation. Maxime paroissoit toûjours agité par la présence intérieure de quelque démon ; il mettoit tant de force dans ses

pensées, tant d’énergie dans son expression, tant de noblesse & de grandeur dans ses images, je ne sais quoi de si frappant & de si sublime, même dans sa deraison, qu’il ôtoit à ses auditeurs la liberté de le contredire : c’étoit Apollon sur son trépié, qui maîtrisoit les ames & commandoit aux esprits. Il étoit savant ; des connoissances profondes & variées fournissoient un aliment inépuisable à son enthousiasme : il eut Edesius pour maître, & Julien pour disciple. Il accompagna Julien dans son expédition de Perse : Julien périt, & Maxime tomba dans un état déplorable ; mais son ame se montra toûjours supérieure à l’adversité. Valentinien & Valens irrités par les Chrétiens, le font charger de chaînes, & jetter dans le fond d’un cachot : on ne l’en tire que pour l’exposer sur un théatre, il y paroît avec fermeté. On l’accuse, il répond sans manquer à l’empereur, & sans se manquer à lui-même. On prétendoit le rendre responsable de tout ce qu’on reprenoit dans la conduite de Julien, il intéressa l’empereur même à rejetter cette accusation : s’il est permis, disoit-il, d’accuser un sujet de tout ce que son souverain peut avoir fait de mal, pourquoi ne le loüera-t-on pas de tout ce qu’il aura fait de bien ? On cherchoit à le perdre, chose surprenante ! on n’en vint point à bout. Dans l’impossibilité de le convaincre, on lui rendit la liberté ; mais comme on étoit persuadé qu’il s’étoit servi de son crédit auprès de Julien pour amasser des thrésors, on le condamna à une amende exorbitante qu’on réduisit à très peu de chose, ceux qu’on avoit chargé d’en poursuivre le payement, n’ayant trouvé à notre philosophe que sa besace & son bâton. La présence d’un homme avec lequel on avoit de si grands torts, étoit trop importune pour qu’on la souffrît ; Maxime fut rélégué dans le fond de l’Asie, où de plus grands malheurs l’attendoient. La haine implacable de ses ennemis l’y suivit ; à peine est-il arrivé au lieu de son exil, qu’il est saisi, emprisonné, & livré à l’inhumanité de ces hommes que la justice employe à tourmenter les coupables, & qui corrompus par ses persécuteurs, inventerent pour lui des supplices nouveaux : ils en firent alternativement l’objet de leur brutalité & de leur fureur Maxime lassé de vivre, demanda du poison à sa femme, qui ne balança pas à lui en apporter ; mais avant que de le lui présenter, elle en prit la plus grande partie & tomba morte : Maxime lui survécut. On cherche, en lisant l’histoire de ce philosophe, la cause de ses nouveaux malheurs, & l’on n’en trouve point d’autre que d’avoir déplû aux défenseurs de certaines opinions dominantes ; leçon terrible pour les Philosophes, gens raisonneurs qui leur ont été & qui leur seront suspects dans tous les tems. La providence qui sembloit avoir oublié Maxime depuis la mort de Julien, laissa tomber enfin un regard de pitié sur ce malheureux. Cléarque, homme de bien, que par hazard Valens avoit nommé préfet en Asie, trouva, en arrivant dans sa province, le philosophe exposé sur un chevalet, & prêt à expirer dans les tourmens : il vole à son secours, il le délivre, il lui procure tous les soins dont il étoit pressé dans le déplorable état où on l’avoit réduit : il l’accueille, il l’admet à sa table, il le réconcilie avec l’empereur, il fait subir à ses ennemis la peine du talion, il le rétablit dans le peu de fortune qu’il devoit à la commisération de ses amis & de ses parens ; il y ajoûte des bienfaits, & le renvoye triomphant à Constantinople, où la considération générale du peuple & des grands sembloit lui assûrer du moins quelque tranquillité pour les dernieres années de sa vie ; mais il n’en fut pas ainsi. Des mécontens formerent une conspiration contre Valens ; Maxime n’étoit point du nombre, mais il avoit eu malheureusement d’anciennes liaisons avec la plûpart d’entr’eux. On le soupçonna d’avoir eu con-