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affranchis des charges publiques, & on leur accorda les mêmes priviléges qu’aux professeurs des autres sciences.

Avant Justinien, l’étude du droit se bornoit à une legere explication de quelques ouvrages des jurisconsultes ; le cours du droit duroit néanmoins quatre années.

Dans la premiere, on expliquoit les principaux titres des institutes de Caïus & de quatre traités, de vetere re uxoriâ, de tutelis, de testamentis, & de legatis. A la fin de cette année, les étudians étoient appellés dupondii ; ce qui, selon quelques-uns, signifioit gens qui ne valoient encore que deux dragmes, c’est-à-dire gens qui étoient encore peu avancés ; d’autres pensent qu’on les appelloit ainsi, parce que dans cette année on leur apprenoit à faire la supputation des parties de l’as romain, pour l’intelligence du partage des successions, & à faire le dupondius, c’est-à-dire la duplication de l’as, que l’on divisoit quelquefois en vingt-quatre onces au lieu de douze ; ce que l’on appelloit dupondium facere.

La seconde année se passoit à voir deux traités l’un de judiciis, l’autre de rebus.

La troisieme étoit employée à leur expliquer les titres de ces mêmes traités que l’on avoit omis de leur expliquer l’année précédente ; on y voyoit aussi les principaux endroits des huit premiers livres de Papinien.

La quatrieme & derniere année n’étoit plus proprement une année de leçons ; car les étudians travailloient seuls sur les réponses du jurisconsulte Paul, dont ils apprenoient par cœur & récitoient les titres les plus importans.

Il étoit assez ordinaire que les étudians au bout de ce cours de droit, séjournassent encore plusieurs années dans la même ville où étoit l’école, afin de s’instruire plus à fond de la Jurisprudence ; c’est pourquoi la loi 2, au code de incolis, décide qu’ils pouvoient séjourner dix ans dans ce lieu sans y acquérir de domicile.

Justinien régla que le cours de droit seroit de cinq années au lieu de quatre, & changea le plan des études.

Depuis ce tems, dans la premiere année on enseignoit aux étudians d’abord les institutes de Justinien : le reste de cette année, on leur expliquoit les quatre premiers livres du digeste ; à la fin de cette année, on les appelloit Justiniani novi, titre que l’empereur lui-même leur attribua pour les encourager.

Les leçons de la seconde année rouloient sur les sept livres de judiciis, ou sur les huit livres de rebus, au choix des professeurs ; on y joignoit les livres du digeste qui traitent de la dot, des tutelles & curatelles, des testamens, & des legs ; & à la fin de cette année, les étudians prenoient le nom d’édictales, ce qui étoit déjà d’usage, & fut seulement confirmé par Justinien, lequel dit que ce nom ex edicto eis erat antea positum.

Dans la troisieme année, on repassoit d’abord ce que l’on avoit vû dans la précédente ; on expliquoit ensuite les vingt & vingt-un livres du digeste, dont le premier contient beaucoup de réponses de Papinien ; on voyoit aussi l’un des huit livres qui traitent de rebus ; & pour graver dans la mémoire des étudians le souvenir de Papinien, en l’honneur duquel ils célébroient un jour de réjoüissance, Justinien leur conserva le titre de Papinianistæ, qu’ils portoient déjà auparavant.

On employoit la quatrieme année à expliquer les réponses du jurisconsulte Paul, & les livres qui formoient les quatrieme & cinquieme parties du digeste, suivant la division que Justinien en avoit fait en sept parties. On faisoit faire aux étudians pendant cette année, des exercices à-peu-près sembla-

bles aux examens & aux theses d’aujourd’hui, dans lesquels ils répondoient aux questions qui leur étoient proposées, d’où ils étoient appellés λύται, ou suivant Turnebe, λύτοι, c’est-à-dire solutores.

Enfin dans la cinquieme année, les professeurs expliquoient le code de Justinien ; & à la fin de cette année, les étudians étoient appellés προλύται, c’est-à-dire gens en état d’enseigner les autres : ce qui revient assez à nos licentiés.

Phocas étant parvenu à l’empire, fit composer en grec par Théophile, une paraphrase sur les institutes de Justinien ; il fit aussi traduire en grec le digeste & le code ; & depuis ce tems, les leçons publiques de droit furent faites en grec sur ces trois ouvrages.

L’empereur Basile & ses successeurs substituerent aux livres de Justinien la compilation du droit, qu’ils firent faire sous le titre de basiliques.

L’étude du droit romain fut abolie en Orient, depuis 1453 que Mahomet II. s’empara de Constantinople.

Pour ce qui est de l’Italie, quoique Justinien eût confirmé l’établissement d’une école de droit à Rome, & qu’il eût intention d’y faire enseigner & observer ses lois, les incursions que les barbares firent en ce pays peu de tems après sa mort, furent cause que les livres de Justinien se perdirent presque aussitôt qu’on avoit commencé à les connoître ; de sorte que l’on continua d’y enseigner le code théodosien, les institutes de Caius, les fragmens d’Ulpien, les sentences de Paul.

Lorsque le digeste fut retrouvé à Amalphi, ville d’Italie, ce qui arriva vers le milieu du douzieme siecle, Papon professoit le droit à Boulogne ; Warner, appellé en latin Irnerius, fut mis à sa place & se mit à enseigner le digeste : ce professeur étoit Allemand de naissance. Il n’y avoit pourtant point encore d’écoles de droit en Allemagne ; Haloander jurisconsulte du même pays, fut le premier qui vers l’an 1500, mit en vogue l’étude des lois romaines dans sa patrie.

En France l’étude du droit romain eut à-peu-près le même sort qu’en Italie.

Il y eut une école de droit, établie à Paris peu de tems après celle de théologie. On peut la regarder comme une suite de celle de Boulogne. Elle existoit dès le tems de Philippe Auguste. Il en est fait mention dans Rigord, qui vivoit peu après sous Louis VIII.

Pierre Placentin jurisconsulte, natif de Montpellier, y établit une école de droit, où il enseignoit les lois de Justinien dès l’année 1166. Il alla ensuite à Boulogne, où il professa quatre ans avec succès ; puis revint à Montpellier.

Il y a apparence que l’on enseignoit aussi le droit romain dans plusieurs autres villes de France, puisque le concile de Tours défendit aux religieux d’étudier en droit civil, qu’on appelloit alors la loi mondaine.

Cette défense n’ayant point été suivie, Honorius III. la renouvella en 1225, par la fameuse decrétale super specula ; en conséquence de laquelle il fut long-tems défendu d’enseigner le droit civil dans l’université de Paris, & dans les autres villes & lieux voisins.

Depuis cette défense, on n’enseignoit plus à Paris que le droit canon. Philippe-le-Bel, en 1312, rétablit l’étude du droit civil à Orléans ; elle fut aussi établie dans la suite en plusieurs autres universités : mais elle ne fut rétablie dans celle de Paris, que par la déclaration du roi du mois d’Avril 1679.

L’étude du droit françois fut établie dans les écoles de Paris, par une déclaration de l’année suivante.

Quant aux divers lieux où l’on a tenu les écoles de droit ; cette école de droit étoit d’abord dans le parvis de Notre-Dame, sous la direction du chapitre de Notre-Dame & du chancelier de cette église.