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dues, un pinceau leger & moëlleux, enfin une touche savante, noble & gracieuse, caractérisent les célebres artistes de cette école. Soit que l’on ne regarde pour lombards que les ouvrages qui ont précédé la galerie Farnese, soit que l’on comprenne avec nous dans l’école lombarde celle de Bologne, qui fut établie par les Carraches, il sera toûjours vrai de dire que les grands maîtres qui se succéderent ici consécutivement, se sont également immortalisés par des routes différentes, & toûjours si belles, qu’on seroit fâché de ne les pas connoître.

Mais la maniere du Correge, fondateur de l’école lombarde proprement dite, est le produit d’un heureux génie qui reçut son pinceau de la main des graces ; cependant on ne sauroit s’empêcher d’admirer les grands artistes qui parurent après lui : le Parmesan, dont les figures charmantes attachent les regards, & dont les draperies semblent être agitées par le vent ; les Carraches, gracieux ou corrects, & séveres dans le dessein mélé du beau naturel & de l’antique ; le Caravage, qui prenant une route opposée, tirée de son caractere, peint la nature avec tous ses défauts, & cependant avec tant de force & de vérité, qu’il laisse le spectateur dans l’étonnement ; le Guide, qui se fit une maniere originale si goûtée de tout le monde ; l’Albane, qui nous enchante par ses idées poétiques, & par son pinceau riant & gracieux ; Lanfranc, né pour l’exécution des plus grandes entreprises ; le Dominiquin, qui a fourni par ses travaux une source inépuisable de belles choses ; enfin le Guerchin, qui, même sans la correction du dessein, sans aucun agrément, plaît encore par son style dur & terrible. Voilà les hommes qu’a produits l’école lombarde pendant sa courte durée, c’est-à-dire dans l’espace d’un siecle ; & dans cet intervalle il ne vint point de taillis ni à côté, ni au milieu de ces grands chênes.

Correge, (Antoine Allégri, dit le) né, selon Vasari, à Corrégio dans le Modénois, l’an 1475 ; &, selon d’autres, plus vraissemblablement en 1494, mourut dans la même ville en 1534. Ce puissant génie, ignorant ses grands talens, mettoit un prix très modique à ses ouvrages, & les travailloit d’ailleurs avec beaucoup de soin ; ce qui joint au plaisir qu’il prenoit d’assister les malheureux, le fit vivre lui-même dans la misere. Etant un jour allé à Parme recevoir le prix d’un de ses tableaux, qui se montoit à 200 livres, on le paya en monnoie de cuivre : l’empressement de porter cette somme à sa pauvre famille, l’empêcha de faire attention à la pesanteur du fardeau, à la chaleur de la saison, au chemin qu’il avoit à faire à pié ; il s’échauffa, & gagna une pleurésie dont il mourut à la fleur de son âge.

Il ne paroît pas que le Correge ait rien emprunté de personne ; tout est nouveau dans ses ouvrages, ses compositions, son dessein, sa couleur, son pinceau : & quelle admirable nouveauté ! ses pensées sont très-élevées, sa couleur enchante, & son pinceau paroît manié par la main d’un ange. Il est vrai que ses contours ne sont pas corrects, mais ils sont d’un grand goût ; ses airs de têtes sont gracieux & d’un choix singulier, principalement ceux des femmes & des petits enfans. Si l’on joint à tout cela l’union qui paroît dans le travail du Correge, & le talent qu’il avoit de remuer les cœurs par la finesse de ses expressions, on n’aura pas de peine à croire que ces belles parties lui venoient plûtôt de la nature que d’aucune autre source.

Le Correge n’étant pas encore sorti de son bourg, quoiqu’il fût déjà un peintre du premier ordre, fut si rempli de ce qu’il entendoit dire de Raphaël, que les princes combloient à l’envi de présens & d’honneurs, qu’il s’imagina que cet artiste qui faisoit un si grand bruit, devoit être d’un mérite bien supé-

rieur au sien, qui ne l’avoit pas encore tiré de la médiocrité. En homme sans expérience du monde, il jugeoit de la supériorité du mérite de Raphaël sur le sien, par la différence de leurs fortunes. Enfin le Correge parvint à voir un tableau de ce peintre si célebre ; après l’avoir examiné avec attention, après avoir pensé ce qu’il auroit fait, s’il avoit eu à traiter le même sujet que Raphaël avoit traité, il s’écria : Je suis un peintre aussi-bien que lui, & il l’étoit en effet. Il ne se vantoit pas, puisqu’il a produit des ouvrages sublimes, & pour les pensées, & pour l’exécution. Il osa le premier mettre des figures véritablement en l’air, & qui plafonnent, comme disent les Peintres. Pour ses tableaux de chevalet, ils sont d’un prix immense.

Parmesan, (François Mazzuoli, dit le) né à Parme en 1504, & mort dans la même ville en 1540. Il exécuta, n’ayant que seize ans, des tableaux qui auroient pû faire honneur à un bon maître. A l’âge de vingt ans, l’envie de se perfectionner, & d’étudier avec tout le soin possible les ouvrages de Michel-Ange & de Raphaël, le conduisit à Rome. On rapporte que pendant le sac de cette ville en 1527, il travailloit avec tant d’attache & de sécurité, que les soldats espagnols qui entrerent chez lui en furent frappés ; les premiers se contenterent de quelques desseins, les suivans enleverent tout ce qu’il possédoit. Protogene se trouva à Rhodes dans des circonstances pareilles, mais il fut plus heureux. Voyez Protogene, au mot Peintres anciens.

Le Parmesan contraint de céder à la force, & privé de ses richesses pittoresques, vint à Bologne, où il partageoit son goût entre la Gravûre & la Peinture, quand son graveur lui vola ses planches & ses desseins. Cette nouvelle perte mit le Parmesan au desespoir, quoiqu’il eût assez promptement le bonheur de recouvrer une partie du vol. Il quitta Bologne & se rendit à Parme, où trouvant des secours & de la consolation, il fit dans cette ville de grands & de beaux ouvrages ; mais enfin s’avisant de donner dans les prétendus secrets de l’Alchimie, il perdit à les chercher, son tems, son argent, sa santé, & mourut misérable à l’âge de trente-six ans.

La vivacité de l’esprit, la facilité du pinceau, la fécondité du génie, toûjours tourné du côté de l’agrément & de la gentillesse ; le talent de donner beaucoup de graces à ses attitudes aussi-bien qu’à ses têtes ; un beau choix des mêmes airs & des mêmes proportions, qu’on aime quoiqu’il soit souvent réitéré ; des draperies legeres & bien contrastées, sont les parties qui caractérisent les ouvrages de cet aimable maître.

Ses desseins pour la plûpart à la plume, & surtout en petit, sont précieux : on y remarque quelques incorrections & quelques affectations, sur-tout à faire des doigts extrèmement longs ; mais on ne voit guere ailleurs une touche plus legere & plus spirituelle. Enfin dans les tours de ses figures il regne une flexibilité qui fait valoir ses desseins, lors même qu’ils pechent par la justesse des proportions.

Les Carraches, qui ont acquis tant de gloire & de réputation, étoient Louis, Augustin, & Annibal Carrache, tous trois de Bologne.

Carrache, (Louis) né à Bologne en 1555, décéda dans la même ville en 1619. Louis Carrache étoit un de ces genies tardifs, lents à se développer, mais qui venant à leur point de maturité, brillent tout-à-coup, & laissent le spectateur dans un étonnement mêlé de plaisir. La vûe des merveilles de l’art jointe à un travail soûtenu, l’égalerent aux plus grands peintres d’Italie. Au goût maniéré qui regnoit de son tems à Rome, Louis Carrache opposa l’imitation de la nature & les beautés de l’antique. Dans cette vûe il établit à Bologne une académie de Pein-