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firent usage les premieres ; mais celle de Rome ne tarda pas long-tems à les imiter.

Perugin, (Pierre) né à Perouse en 1446, mort dans la même ville en 1524. Elevé dans la pauvreté, il résolut, pour s’en tirer, de s’attacher à la peinture, dont les merveilles occupoient l’Italie, sur-tout depuis la divulgation du secret de la Peinture à l’huile. Le Perugin, après avoir étudié le dessein, se rendit à Florence où il prit des leçons avec Léonard de Vinci d’André Verrochio, qui florissoit alors dans cette ville. Une longue vie lui permit de faire un grand nombre d’ouvrages ; & d’un autre côté beaucoup d’œconomie, le mirent dans l’opulence, dont l’avarice l’empêcha de joüir. Enfin un filou lui ayant dérobé sa cassette, dans laquelle il portoit toûjours son argent avec lui, la douleur de cette perte causa sa mort. L’incendie du bourg de S. Pierre représentée dans la chapelle de Sixte au vatican, passe pour le chef-d’œuvre du Perugin. Mais sa plus grande gloire est d’avoir eu Raphael pour disciple : je dis encore que c’est sa plus grande gloire, parce qu’il en profita lui-même, & qu’il devint le disciple à son tour. On voit par les tableaux que le Perugin a faits à la chapelle de Sixte au vatican, qu’il avoit appris de Raphael.

Raphael Sanzio, né à Urbin en 1483, mort à Rome en 1520. Voilà le roi de la peinture depuis le rétablissement des beaux Arts en Italie ! Il n’a point encore eu d’égal, quoique l’art de la Peinture renferme présentement une infinité d’observations & de connoissances, qu’il ne renfermoit pas du tems de ce grand génie. Ses ouvrages ont porté son nom par tout le monde ; ils sont presque aussi connus que l’Enéide de Virgile. Voyez ce que dit l’abbé Dubos du tableau de l’école d’Athenes, de celui d’Attila, de celui où Jesus-Christ donne les clés à S. Pierre, du tableau appellé la messe du pape Jules ; enfin du tableau de la transfiguration de Notre-Seigneur qu’on regarde comme le chef-d’œuvre de ce peintre ; j’allois dire de la Peinture, si le souvenir des ouvrages de l’antiquité & le jugement du Poussin n’avoient arrêté mon enthousiasme.

Digne rival de Michel Ange, jamais personne ne reçut peut-être en naissant plus de goût, de génie, ni de talens pour la peinture que Raphael ; & peut-être personne n’apporta-t-il jamais plus d’application à cet art ; Perugin n’est connu que pour avoir été maître de Raphael. Mais bien-tôt cet artiste laissa le Perugin & sa maniere, pour ne prendre que celle de la belle nature. Il puisa les beautés & les richesses de son art dans les chefs-d’œuvres de ses prédécesseurs. Sur le bruit des ouvrages que Léonard de Vinci faisoit à Florence, il s’y transporta deux fois pour en profiter. Il continua de former la délicatesse de son goût sur les statues & sur les bas-reliefs antiques, qu’il dessina long-tems avec l’attention & l’assiduité la plus soûtenue. Enfin il joignit à cette délicatesse de goût portée au plus haut point, une grandeur de maniere, que la vûe de la chapelle de Michel Ange lui inspira tout d’un coup. Le pape Jules II. le fit travailler dans le Vatican sur la recommandation de Bramante ; & c’est alors qu’il peignit les ouvrages immortels dont j’ai parlé ci-dessus, outre ceux que ses disciples firent sur ses desseins.

Indépendamment de l’étude que Raphael faisoit d’après les sculptures & les plus beaux morceaux de l’antique qui étoient sous ses yeux, il entretenoit des gens qui dessinoient pour lui tout ce que l’Italie & la Grece possédoient de rare & d’exquis.

On remarque qu’il n’a laissé que peu ou point d’ouvrages imparfaits, & qu’il les finissoit extrèmement, quoique promptement. C’est pour cela qu’on voit de lui un crayon de petites parties, comme des mains, des piés, des morceaux de draperies, qu’il dessinoit

trois ou quatre fois pour un même sujet, afin d’en faire un choix convenable.

Il mourut à la fleur de son âge, n’ayant que trente-sept ans, épuisé par l’amour qu’il avoit pour les femmes, & mal gouverné par les medecins à qui il avoit caché la cause de son mal. Les grands peintres ne sont pas ceux qui ont couru la plus longue carriere ; le Parmesan, Watteau, le Sueur, Lucas de Leyden, le Correge, sont morts entre trente-six & quarante ans ; Vandyck à quarante-deux ans, le Valentin & le Giorgion à trente-deux & trente-trois ans.

Raphaël refusa de se marier avec la niece d’un cardinal, parce qu’il se flatoit de le devenir, suivant la promesse que Léon X. lui en avoit faite.

Un heureux génie, une imagination féconde, une composition simple, & en même tems sublime, un beau choix, beaucoup de correction dans le dessein, de graces & de noblesse dans les figures, de finesse dans les pensées, de naturel & d’expression dans les attitudes ; tels sont les traits auxquels on peut reconnoître la plûpart de ses ouvrages. Pour le coloris, il est fort au-dessous du Titien ; & le pinceau du Correge est sans doute plus moëlleux que celui de Raphaël.

Ce célebre maître manioit parfaitement le crayon ; ses desseins sont singulierement recherchés : on peut les distinguer à la hardiesse de sa main, aux contours coulans de sa figure, & sur-tout à ce goût élégant & gracieux qu’il mettoit dans tout ce qu’il faisoit.

Le Roi possede quelques tableaux de chevalet de Raphael, entr’autres une vierge connue sous le nom de la belle jardiniere. Il y a deux beaux morceaux de ce savant maître au palais royal : savoir une sainte famille, tableau d’environ deux piés & demi de haut sur vingt pouces de large, & S. Jean dans le desert ; M. le duc d’Orléans régent du royaume paya vingt mille livres ce dernier tableau de Raphaël. Enfin on a beaucoup gravé d’après ce grand homme. Voyez sa vie, vous y trouverez bien d’autres détails.

On compte parmi ses disciples, Jules Romain, Perrin del Vaga, & plusieurs autres ; mais on doit compter pour peintres tous ceux qui ont sû profiter des ouvrages de Raphaël.

Primatice, né à Bologne en 1490, mort à Paris en 1570. Jules Romain perfectionna ses principes ; le duc de Mantoue l’employa à décorer son beau château du T. Les ouvrages de stuc qu’il y fit donnerent une si grande idée de ses talens, qu’il fut appellé à la cour par François I. Il a embelli Fontainebleau de statues qui furent jettées en bronze, de ses peintures, & de celles que Nicolo, & plusieurs autres éleves, ont faites sur ses desseins ; mais le peu d’ouvrages qui nous restent de cet artiste (car la plûpart ne subsistent plus), méritent seulement d’être loüés pour le coloris & les attitudes des figures. On voit sans peine qu’ils sont peints de pratique, & manquent de correction ; cependant c’est réellement à lui & à maître Roux, que la France est redevable du bon goût de la peinture.

Jules Romain (son nom de famille est Julio Pippi), né à Rome en 1492, mort à Mantoue en 1546. Il a été le premier & le plus savant des disciples de Raphaël. Sujets d’histoire, tableaux de chevalet, ouvrages à fresque, portraits, paysages ; il excella dans tous ces genres. Il se montra un peintre également sage, spirituel & gracieux, comme simple imitateur de Raphaël. Ensuite se livrant tout à coup à l’essor de son génie, & se traçant une route nouvelle, il ne mérita pas de moindres éloges. Aucun maître n’a mis dans ses tableaux plus d’esprit & de savoir ; en un mot ses ouvrages, malgré les défauts qu’on peut leur reprocher, feront toûjours l’admiration du public.

Ce célebre artiste embellit le château du T du duc de Mantoue, comme architecte & comme peintre.