Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qui a été annoncé. S. Jean ne dit-il pas également : épit. 1. c. j. §. 1. Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vû de nos propres yeux, ce que nos mains ont touché du Verbe de vie, nous vous l’attestons ou nous vous l’annonçons. Le témoignage oculaire, auriculaire, ou fondé sur des traditions écrites ou orales, n’exclut donc que la nécessité ou la réalité d’une révélation, & nullement celle d’une inspiration, qui déterminât la volonté de l’écrivain sacré, & qui en le préservant de tout danger de s’écarter de la vérité, lui suggérât au moins les pensées qui forment le fonds de son ouvrage.

Je dis au moins les pensées ; car M. l’abbé de Vence, connu par son érudition, dans une dissertation sur l’inspiration des Livres saints, imprimée à la tête de la nouvelle édition de la traduction de la bible par le pere des Carrieres, soûtient que non-seulement les choses contenues dans les Livres saints ; mais encore les expressions dont elles sont revêtues, ont été inspirées par le Saint-Esprit. Ce sentiment a ses defenseurs, & voici les principales raisons sur lesquelles l’appuie M. l’abbé de Vence. 1°. que les textes de l’Ecriture & des peres ne distinguant point entre les pensées & les expressions, lorsqu’il s’agit de l’inspiration des Livres saints, on peut en conclure que les termes qu’ont employés les auteurs sacrés ne leur ont pas été moins suggerés par le Saint-Esprit, que les pensées ou les choses énoncées par ces termes. 2°. Qu’on peut dire qu’à l’égard du style, tous les prophetes & les écrivains sacrés sont égaux, & qu’il n’est pas vrai que l’un écrive plus élégamment que l’autre, s’il ne s’agit que de se servir des termes qui sont propres à exprimer les choses qu’ils ont dessein d’écrire. 3°. La vraye éloquence, dit l’auteur que nous analysons, « consiste proprement dans les idées plus élevées, dans les pensées plus sublimes, & dans les figures de l’art, qui ne peuvent être séparées des pensées. Or il est certain que les pensées des auteurs sacrés sont inspirées : ainsi le raisonnement qu’on tire de la difference du style de ces auteurs, regardé du côté de l’éloquence, ne prouve rien contre le sentiment de ceux qui croyent que les termes mêmes ont été inspires. Dans Amos, par exemple, ce n’est point le mauvais choix des mots & des termes qui a fait dire à S. Jerôme que ce prophete étoit grossier & peu instruit pour la parole : c’est à cause de ses comparaisons tirées de choses assez basses & communes, ou bien parce qu’il n’a pas des idées si nobles ni si élevées que le prophete Isaïe. Or tout cela consiste dans des pensées, & il n’y en a aucune qui ne soit digne de l’esprit de Dieu qui les a inspirées. Si quelques-unes nous paroissent moins nobles ou plus communes, c’est par goût & selon nos idées que nous en jugeons ». Mais cela peut-il faire une regle, pour dire que l’une est plus digne de Dieu que l’autre ?

Les défenseurs du même sentiment citent en leur faveur des textes précis de S. Chrysostôme, de S. Basile, de S. Augustin, de Théodoret & de saint Bernard, qui disent expressément que les écrivains sacrés ont été les plumes de l’Esprit-Saint, qu’ils ont écrit, pour ainsi parler, sous sa dictée, & qu’il n’y a pas dans l’Ecriture une lettre, une syllabe qui ne renferme des mysteres ou des trésors cachés : d’où ils concluent que le style des livres saints n’est pas moins inspiré que le fond des choses.

A ces autorités & à ces raisonnemens, les partisans de l’opinion contraire, soûtenue d’abord dans le jx. siecle par Agobard archevêque de Lyon, opposent l’autorité de l’Ecriture, des peres, & des argumens dont nous allons donner le précis.

1°. L’auteur du second livre des Machabées assûre qu’il n’est que l’abbréviateur de l’ouvrage de Ja-

son le Cyrénéen, qui comprenoit cinq livres ; que

la rédaction de cet ouvrage lui a coûté beaucoup de travail. Il prie ses lecteurs de l’excuser s’il n’a pas atteint la perfection du style historique : donc le Saint-Esprit ne lui a pas inspiré les termes qu’il a employés. De simples copistes a qui l’on dicte, ne peuvent faire sonner bien haut leur travail, ni exagérer leur peine. Dans l’hypothèse de l’inspiration, étendue jusqu’aux termes de l’Ecriture, l’excuse que demande l’auteur du second livre des Machabées est injurieuse au Saint-Esprit, qui est infaillible, à qui les expressions propres ne manquent jamais, & qui n’a pas besoin qu’on excuse la foiblesse de son génie ou celle de son langage.

II. Origenes, S. Basile, S. Grégoire de Nazianze, & S. Jerôme ont remarqué qu’il y avoit dans l’évangile des fautes de langage ; ils ne les attribuent point au S. Esprit, mais aux apôtres, qui, nés ignorans & grossiers, ne se piquoient point d’écrire ou de parler élegamment. Imperitus sermone sed non scientiâ, disoit de lui-même S. Paul, quoiqu’il eût été instruit dans toutes les doctrines des Juifs aux piés de Gamaliel. Le S. Esprit a donc laissé à ces écrivains le choix des expressions.

III. Si l’Esprit saint avoit dicté aux historiens sacrés le style qui forme leurs écrits, pourquoi rapportent-ils en différens termes, qui reviennent au même sens, la substance des mêmes faits ? S. Augustin en donne la raison, lib. III. de consensu evangelist. cap. xij. Ut quisque evangelistarum meminerat, dit ce pere, & ut cuique cordi erat, vel brevius vel prolixius eamdem explicare sententiam manifestum est. Ils ont donc été libres sur le choix des termes & sur leur construction.

IV. S. Paul cite quelquefois les propres paroles des poëtes profanes, pourquoi n’auroit-il pas employé son propre style pour écrire ses épîtres ? Et en effet, suivant la différence des matieres ne portent-elle pas une empreinte différente ? Le mystere de la prédestination dans les épîtres aux Romains & aux Ephésiens, & celui de l’Eucharistie dans la premiere aux Corinthiens, sont bien d’un autre ton de couleur, s’il est permis de s’exprimer ainsi, que les conseils qu’il donne à Tite & à Timothée. Il assortissoit donc son style aux matieres.

V. Et c’étoit le grand argument d’Agobard, dans sa lettre à Fredegise abbé de S. Martin de Tours. Le style de tous les prophetes n’est pas le même : celui d’Isaïe est noble & élevé, celui d’Amos au contraire est bas & rampant. Ils annoncent l’un & l’autre la chûte du royaume de Juda, mais chacun d’eux s’exprime d’une maniere bien différente. On trouve dans Amos des expressions populaires & proverbiales, parce qu’il étoit berger. L’éloquence & la noblesse du style se manifestent par-tout dans Isaïe, parce qu’il étoit prince du sang de David, & qu’il vivoit à la cour des rois de Juda. Or si le S. Esprit eût dicté à ces deux prophetes jusqu’aux expressions qu’ils ont employées, il pouvoit faire parler Amos comme Isaïe, puisque cet esprit divin délie la langue des muets, & peut rendre éloquente la bouche même des enfans. La diversité du style des prophetes est donc une preuve sensible que Dieu leur a laissé le choix des expressions, selon la diversité de leurs talens naturels. Il faut pourtant avoüer à l’égard des prophetes, que quelquefois le S. Esprit leur a dicté certaines expressions, comme lorsqu’il a révélé à Isaïe le nom de Cyrus très-long tems avant la naissance de ce conquérant.

On peut consulter sur cette matiere tous les interpretes & commentateurs de l’Ecriture, entr’autres la dissertation de M. l’abbé de Vence, le dictionnaire de la bible de Calmet au mot Inspiration, & l’introduction à l’Ecriture-sainte du P. Lamy.