Aller au contenu

Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 5.djvu/82

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tionné, connu sous le nom de donation à cause de noces.

Cette même jurisprudence fut observée chez les Grecs, depuis la translation de l’empire à Constantinople, comme il paroît par ce que dit Harmenopule de l’hypobolon des Grecs, qui étoit une espece de donation à cause de noces, que l’on régloit à proportion de la dot, & dont le morghengeba des Allemands paroît avoir tiré son origine.

César en ses commentaires parlant des mœurs des Gaulois, & de ce qui s’observoit de son tems chez eux entre mari & femme pour leurs conventions matrimoniales, fait mention que la femme apportoit en dot à son mari une somme d’argent ; que le mari de sa part prenoit sur ses biens une somme égale à la dot ; que le tout étoit mis en commun ; que l’on en conservoit les profits, & que le tout appartenoit au survivant des conjoints : quantas pecunias ab uxoribus dotis nomine acceperunt, tantas ex his bonis æstimatione factâ cum dotibus communicant ; hujus omnis pecuniæ conjunctim ratio habetur, fructusque servantur ; uter eorum vitâ superavit, ad eum pars utriusque cum fructibus superiorum temporum pervenit.

Lorsque les Francs eurent fait la conquête des Gaules, ils laisserent aux Gaulois la liberté de vivre suivant leurs anciennes coûtumes ; pour eux ils retinrent celles des Germains dont ils tiroient leur origine : ils étoient donc dans l’usage d’acheter leurs femmes, tant veuves que filles, & le prix étoit pour les parens, & à leur défaut au roi, suivant le titre 46 de la loi salique. Les femmes donnoient à leurs maris quelques armes, mais elles ne leur donnoient ni terres ni argent ; c’étoient au contraire les maris qui les dotoient. Tel fut l’usage observé entre les Francs sous la premiere & la seconde race de nos rois. Cette coûtume s’observoit encore vers le xe siecle, comme il paroît par un cartulaire de l’abbaye de S. Pierre-en-Vallée, lequel, au dire de M. le La boureut, a bien sept cents ans d’antiquité. On y trouve une donation faite à ce couvent par Hildegarde comtesse d’Amiens, veuve de Valeran comte de Vexin ; elle donne à cette abbaye un aleu qu’elle avoit reçu en se mariant de son seigneur, suivant l’usage de la loi salique, qui oblige, dit-elle, les maris de doter leurs femmes.

On trouve dans Marculphe, Sirmond & autres auteurs, plusieurs formules anciennes de ces constitutions de dots faites par le mari à sa femme ; cela s’appelloit libellus dotis. C’est de cette dot constituée par le mari, que le doüaire tire son origine ; aussi plusieurs de nos coûtumes ne le qualifient point autrement que de dot : c’est pourquoi nous renvoyons au mot Douaire ce qui a rapport à ce genre de dot, & nous ne parlerons plus ici que de celle que la femme apporte à son mari.

Cette espece de dot avoit toûjours été usitée chez les Romains, ainsi qu’on l’a déjà annoncé ; mais suivant le droit du digeste, & suivant les lois de plusieurs empereurs, la dot & les instrumens dotaux n’étoient point de l’essence du mariage ; on en trouve la preuve dans la loi 4. ff. de pignoribus ; l. 31. in princip. ff. de donat. & l. 9. 13 & 22. cod. de nupt. Ulpien dit néanmoins sur la loi 11. ff. de pactis, qu’il est indigne qu’une femme soit mariée sans dot.

Mais en l’année 458, selon Contius, ou en 460, suivant Halvander, Majorien par sa novelle de sanctimonialibus & viduis, déclara nuls les mariages qui seroient contractés sans dot. Son objet fut de pourvoir à la subsistance & éducation des enfans : il ordonna que la femme apporteroit en dot autant que son mari lui donneroit de sa part ; que ceux qui se marieroient sans dot, encourroient tous deux une note d’infamie, & que les enfans qui naîtroient de ces mariages, ne seroient pas légitimes.

L’empereur Justinien ordonna que cette loi de Majorien n’auroit lieu que pour certaines personnes marquées dans ses novelles 11. chap. jv. & 74. ch. jv.

Les papes ordonnerent aussi que les femmes seroient dotées, comme il paroît par une épître attribuée faussement à Evariste, can. consanguin. caus. 4. quæst. 3. §. 1.

L’église gallicane qui se régloit anciennement par le code théodosien, & par les novelles qui sont imprimées avec ce code, suivit la loi de Majorien, & ordonna, comme les papes, que toutes les femmes seroient dotées : nullum sine dote fiat conjugium, dit un concile d’Arles en 524 : juxta possibilitatem fiat dos ; Gratian. 30. quæst. 5. can. nullum.

La dot ayant été ainsi requise en France dans les mariages, les prêtres ne donnoient point la bénédiction nuptiale à ceux qui se présentoient, sans être auparavant certains que la femme fût dotée ; & comme c’étoient alors les maris qui dotoient leurs femmes, on les obligea de le faire suivant l’avis des amis communs, & du prêtre qui devoit donner la bénédiction nuptiale : & afin de donner à la constitution de dot une plus grande publicité, elle se faisoit à la porte de l’église ; mais ceci convient encore plûtot au doüaire qu’à la dot proprement dite.

Dans l’usage présent la dot n’est point de l’essence du mariage ; mais comme la femme apporte ordinairement quelque chose en dot à son mari, on a établi beaucoup de regles sur cette matiere.

Les priviléges de la dot sont beaucoup plus étendus dans les pays de droit écrit, que dans les pays coûtumiers : dans ceux-ci tout ce qu’une femme apporte en mariage, ou qui lui échet pendant le cours d’icelui, compose sa dot, sans aucune distinction ; au lieu que dans les pays de droit écrit la dot peut à la vérité comprendre tous les biens présens & à venir, mais elle peut aussi ne comprendre qu’une partie des biens présens ou à venir, & il n’y a de biens dotaux que ceux qui sont constitués à ce titre ; les autres forment ce qu’on appelle des biens paraphernaux, dont la femme demeure la maîtresse.

Les femmes avoient encore à Rome un troisieme genre de biens qu’on appelloit res receptitiæ, comme le remarquent Ulpien & Aulu-Gelle ; c’étoient les choses que la femme apportoit pour son usage particulier. Ces biens n’étoient ni dotaux ni paraphernaux ; mais cette troisieme espece de biens est inconnue parmi nous, même en pays de droit écrit.

Dans les pays où l’usage est que la femme apporte une dot à son mari, usage qui est à-présent devenu presque général, on a fait quelques réglemens pour modérer la quotité de ces dots.

Démosthenes écrit que Solon avoit déjà pris cette précaution à Athenes.

Les Romains avoient aussi fixé les dots, du moins pour certaines personnes, comme pour les filles des décurions ; & suivant la novelle 22, la dot la plus forte ne pouvoit exceder 100 liv. d’or : c’est pourquoi Cujas prétend que quand les lois parlent d’une grande dot, on doit entendre une somme égale à celle dont parle la novelle 22 ; mais Accurse estime avec plus de raison, que cela dépend de la qualité des personnes.

Il y a eu aussi en France quelques réglemens pour les dots, même pour celles des filles de France.

Anciennement nos rois demandoient à leurs sujets des dons ou subsides pour les doter.

Dans la suite on leur donnoit des terres en apanage, de même qu’aux enfans mâles ; mais Charles V. par des lettres du mois d’Octobre 1374, ordonna que sa fille Marie se contenteroit des 100 mille francs qu’il lui avoit donnés en mariage, avec tels estoremens & garnisons, comme il appartient à une fille de France, & pour tout droit de partage ou apanage ;