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pour accélérer le jugement des contestations pendantes au parlement, entre le duc de Berry & d’Auvergne, & certaines églises de ce duché, les évoqua à sa personne, vivæ vocis oraculo. Il ordonna que les parties remettroient leurs titres par-devant les gens de son grand-conseil, qui appelleroient avec eux autant de gens de la chambre du parlement qu’ils jugeroient à propos, afin qu’il jugeât cette affaire sur le rapport qui lui en seroit fait.

Ces termes vivæ vocis oraculo paroissent signifier que l’évocation fut ordonnée ou prononcée de la propre bouche du roi, ce qui n’empêcha pas que sur cet ordre ou arrêt, il n’y eût des lettres d’évocation expédiées ; en effet, il est dit que les lettres furent présentées au parlement, qui y obtempéra du consentement du procureur général, & le roi jugea l’affaire.

Ainsi les évocations s’ordonnoient dès-lors par lettres patentes, & ces lettres étoient vérifiées au parlement ; ce qui étoit fondé sur ce que toute évocation emporte une dérogation aux ordonnances du royaume, & que l’ordre qu’elles ont prescrit pour l’administration de la justice, ne peut être changé que dans la même forme qu’il a été établi.

Il paroît en effet, que jusqu’au tems de Louis XIII. aucune évocation n’étoit ordonnée autrement ; la partie qui avoit obtenu les lettres, étoit obligée d’en présenter l’original au parlement, lequel vérifioit les lettres ou les retenoit au greffe, lorsqu’elles ne paroissoient pas de nature à être enregistrées. Les registres du parlement en fournissent nombre d’exemples, entre autres à la date du 7 Janvier 1555, où l’on voit que cinq lettres patentes d’évocation, qui furent successivement présentées au parlement pour une même affaire, furent toutes retenues au greffe sur les conclusions des gens du roi.

Plusieurs huissiers furent decretés de prise-de-corps par la cour, pour avoir exécuté une évocation sur un duplicata ; d’autres, en 1591 & 1595, pour avoir signifié des lettres d’évocation au préjudice d’un arrêt du 22 Mai 1574, qui ordonnoit l’exécution des précedens reglemens, sur le fait de la présentation des lettres d’évocation, sans duplicata.

Les évocations ne peuvent pas non plus être faites par lettres missives, comme le parlement l’a observé en différentes occasions, notamment au mois de Mars 1539, où il disoit, que l’on n’a accoûtumé faire une évocation par lettres missives, ains sous lettres patentes nécessaires.

On trouve encore quelque chose d’à-peu-près semblable dans les registres du parlement, au 29 Avril 1561, & 22 Août 1567 ; & encore à l’occasion d’un arrêt du conseil de 1626, portant évocation d’une affaire criminelle, le chancelier reconnut l’irrégularité de cette évocation dans sa forme, & promit de la retirer ; n’y ayant, dit-il, à l’arrêt d’évocation que la signature d’un secrétaire d’état, & non le sceau.

L’expérience ayant fait connoître que plusieurs plaideurs abusoient souvent de l’évocation même de justice, quoiqu’elle puisse être regardée comme une voie de droit, on l’a restrainte par l’ordonnance du mois d’Août 1669, & encore plus par celle de 1737.

1°. L’évocation sur parentés & alliances, n’a pas lieu à l’égard de certains tribunaux ; soit par un privilége accordé aux pays où ils sont établis, comme le parlement de Flandre & les conseils supérieurs d’Alsace & de Roussillon ; soit parce que ces tribunaux ont été créés expressément pour de certaines matieres, qu’on a crû ne pouvoir leur être ôtées pour l’intérêt d’une partie, comme les chambres des comptes, les cours des monnoies, les tables de marbre, & autres jurisdictions des eaux & forêts.

Cette évocation n’est pas non plus admise à l’égard des conseils supérieurs, établis dans les colonies

françoises ; mais les édits de Juin 1680, & Septembre 1683, permettent à ceux qui ont quelque procès contre un président ou conseiller d’un conseil supérieur, de demander leur renvoi devant l’intendant de la colonie, qui juge ensuite l’affaire, avec un autre conseil supérieur, à son choix.

2°. Il y a des affaires qui, à cause de leur nature, ne sont pas susceptibles d’évocation, même pour parentés & alliances.

Telles sont les affaires du domaine ; celles des pairies & des droits qui en dépendent, si le fond du droit est contesté ; celles où il s’agit des droits du roi, entre ceux qui en sont fermiers ou adjudicataires.

Tels sont encore les decrets & les ordres ; ce qui s’étend, suivant l’ordonnance de 1737, tit. j. art. 25, à toute sorte d’opposition aux saisies réelles ; parce qu’étant connexes nécessairement à la saisie réelle elles doivent être portées dans la même jurisdiction ; soit que cette saisie ait été faite de l’autorité d’une cour ou d’un juge ordinaire, ou qu’elle l’ait été en vertu d’une sentence d’un juge de privilége. La même regle a lieu pour toutes les contestations formées à l’occasion des contrats d’union, de direction, ou autres semblables.

3°. L’évocation ne peut être demandée que par celui qui est actuellement partie dans la contestation qu’il veut faire évoquer, & du chef de ceux qui y sont parties en leur nom & pour leur intérêt personnel.

Il suit de-là, que celui qui a été seulement assigné comme garant, ou pour voir déclarer le jugement commun, ne peut pas être admis à demander l’évocation, si l’affaire n’est véritablement liée avec lui ; comme il est expliqué plus en détail par les articles 30, 31, & 32 de l’ordonnance de 1737.

Il suit encore du même principe, qu’on ne peut évoquer du chef des procureurs généraux, ni des tuteurs, curateurs, syndics, directeurs des créanciers, ou autres administrateurs, s’ils ne sont parties qu’en cette qualité, & non pour leur intérêt particulier.

En matiere criminelle, un accusé ne peut évoquer du chef de celui qui n’est pas partie dans le procès, quoiqu’il fût intéressé à la réparation du crime, ou cessionnaire des intérêts civils : il n’est pas admis non plus à évoquer du chef de ses complices ou co-accusés ; s’il est decreté de prise-de-corps, il ne peut demander l’évocation qu’après s’être mis en état.

4°. Il a encore été ordonné avec beaucoup de sagesse, que l’évocation n’auroit pas lieu dans plusieurs cas, à cause de l’état où la contestation que l’on voudroit faire évoquer, se trouve au tems où l’évocation est demandée ; comme lorsqu’on a commencé la plaidoierie ou le rapport, ou qu’on n’a fait signifier l’acte pour évoquer, que dans la derniere quinzaine avant la fin des séances d’une cour, ou d’un semestre pour celles qui servent par semestre.

Une partie qui après le jugement de son affaire ne demande l’évocation que lorsqu’il s’agit de l’exécution de l’arrêt rendu avec elle, ou de lettres de requête civile prises pour l’attaquer, ne peut y être reçue, à moins qu’il ne soit survenu depuis l’arrêt de nouvelles parentés, ou autre cause légitime d’évocation. De même, celui qui n’étant point partie en cause principale n’est intervenu qu’en cause d’appel, ne peut évoquer, si ce n’est qu’il n’ait pû agir avant la sentence.

La partie qui a succombé sur une demande en évocation, n’est plus admise à en former une seconde dans la suite de la même affaire, s’il n’est survenu de nouvelles parentés ou de nouvelles parties ; & si la seconde demande en évocation étoit encore rejettée, elle seroit condamnée à une amende plus forte, & en d’autres peines, selon les circonstances.