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vient d’en être donnée, & à ce qui en sera dit à la fin de cet article : on évite ainsi la confusion, qui ne pourroit manquer de suivre de l’abus de ce terme dont on faisoit usage indistinctement (depuis Vanhelmont jusqu’à l’extinction de la secte des medecins, que l’on appelloit chimique), pour exprimer toute sorte de mouvement intestin, excite par un principe quelconque, dans les parties intégrantes de deux corps de nature hétérogene telle qu’elle soit, avec tendance à la perfection des corps fermentans, ou à leur transformation en des substances différentes de ce qu’ils étoient ; ensorte que la raréfaction, l’effervescence, la putréfaction, n’étoient aucunement distingués de la fermentation, & étoient prises assez indifféremment les unes pour les autres. C’est ainsi que Willis représente la fermentation, dans la définition que l’on en trouve dans le traité de cet auteur sur ce sujet, de fermentat. cap. iij. définition aussi vague, aussi peu appropriée, que le système auquel elle servoit de principe pour rendre raison de tous les phénomenes de l’économie animale.

Les différentes fermentations que l’on imaginoit dans les différens fluides du corps humain ; les fermens, c’est-à-dire les substances auxquelles on attribuoit la propriété de produire des mouvemens intestins, par leur mélange dans nos humeurs, étoient en effet les grands agens auxquels on attribuoit toutes les opérations du corps humain, tant dans l’état de santé que dans celui de maladie. Voyez Ferment. Telle étoit la base de la théorie de Vanhelmont, de Sylvius Deleboë, de Viridetus, & de toute la secte chimique, qui varioient dans les combinaisons des fermens & de leur action : mais ils se réunissoient tous en ce point principal, qui consistoit à ne raisonner en Medecine que d’après l’idée des mouvemens intestins dans les humeurs, à ne faire contribuer pour ainsi dire en rien l’action des parties organiques dans les diverses fonctions du corps humain.

C’est pourquoi ces medecins ont été mis au nombre des humoristes. Voyez Humoristes. Et pour les distinguer parmi ceux-là qui sont partagés en différentes sectes, on a donné le nom de fermentateurs à ceux dont il s’agit ici : c’est au moins ainsi qu’ils ont été désignés dans plusieurs ouvrages modernes, tels que ceux de M. Senac, celui de M. Quesnay sur les fievres continues, &c.

L’histoire des erreurs n’est peut-être pas moins utile, & ne fournit pas moins d’instruction que celle des vérités les plus reconnues ; ainsi il est à-propos de ne pas se borner ici à donner une idée générale des opinions des fermentateurs qui ont joué un si grand rôle sur le théatre de la Medecine moderne, il convient encore d’y joindre une exposition particuliere de ce qui peut servir à faire connoître l’essentiel de leur doctrine, & de la maniere dont elle a été réfutée, pour ne rien laisser à desirer sur ce sujet, dans un ouvrage fait pour transmettre à la postérité toutes les productions de l’esprit humain connues de nos jours, toutes les opinions, tous les systèmes scientifiques qui sont jugés dignes par eux-mêmes ou par la réputation de leurs auteurs d’être relevés, & que l’on peut regarder comme des vérités à cultiver, ou comme des écueils à éviter : ainsi après avoir rappellé combien on a abusé, par rapport à la fermentation, & du terme & de la chose, il sera à-propos de terminer ce qu’il y a à dire sur ce sujet concernant la physique du corps humain, en indiquant la véritable & la seule acception sous laquelle on employe & on restreint aujourd’hui le mot de fermentation dans les ouvrages de Medecine.

C’est principalement à l’égard de l’élaboration des alimens dans les premieres voies, & de leur conversion en un fluide animal, que les partisans de la fermentation mal-conçue se sont d’abord exercés à lui

attribuer toute l’efficacité imaginable ; c’est conséquemment dans l’estomac & dans les intestins qu’ils commencerent à en établir les opérations : d’où ils étendirent ensuite son domaine dans les voies du sang & dans celles de toutes les humeurs du corps humain, par un enchaînement de conséquences qui résultoient de leurs principes, toûjours ajustés à se prêter à tout ce que peut suggérer l’imagination, lorsqu’elle n’est pas reglée par le frein de l’expérience.

C’est une opinion fort ancienne, que l’acide sert à la chylification, Galien fait mention d’un acide pour cet usage, dans son traité de usu partium, lib. IV. cap. viij. il conjecture qu’il est porté de la rate dans l’estomac une sorte d’excrément mélancholique ou d’humeur atrabilaire, qui par sa nature acide & âpre, a la faculté d’exciter les contractions de ce viscere. Avicenne paroît avoir positivement adopté ce sentiment : lib. I. can. feu. 1. doctr. 4. cap. j. C’est aussi dans le même sens que l’on trouve que Riolan (antropogr. l. II. c. xx.) attribue à l’acide la chylification. Castellus, medecin de l’école de Messine, alla plus loin ; ne trouvant pas (selon ce qui est rapporté dans sa lettre à Severinus) que la coction des alimens puisse s’opérer par le seul effet de la chaleur, puisqu’on ne peut pas faire du chyle, dans une marmite sur le feu, parla le premier de fermentation comme d’un moyen propre à suppléer à ce défaut. Il prétendit que cette puissance physique est nécessaire, est employée par la nature pour ouvrir, dilater les pores des alimens dans l’estomac, pour les faire enfler & les rendre perméables comme une éponge, afin que la chaleur puisse ensuite les pénétrer d’une maniere plus efficace qu’elle ne feroit sans cette préparation, afin qu’elle en opere mieux la dissolution & les rende plus miscibles entr’eux. Telle fut l’opinion de celui que l’on pourroit regarder à juste titre comme le chef des fermentateurs (qui n’en est certainement pas le moins raisonnable), c’est-à-dire de ceux qui ont introduit la fermentation dans la physique du corps humain.

Mais personne avant le fameux Vanhelmont ne s’étoit avisé, pour expliquer l’œuvre de la digestion, de soûtenir l’existence d’une humeur acide en qualité de ferment, qui soit produite & inhérente dans le corps humain ; personne avant cet auteur n’avoit enseigné qu’un ferment peut dissoudre les alimens de la même maniere que se font les dissolutions chimiques par l’effet d’un menstrue. Vanhelmont conçut cette idée avant qu’il pût avoir connoissance de la découverte de la circulation du sang ; & quoique cette découverte ait été faite de son tems, il s’étoit trop acquis de réputation par son système, & il en étoit trop prévenu, peut-être même trop persuadé, pour y renoncer.

Ainsi tant que la circulation n’étoit pas admise, on étoit fort embarrassé de trouver une cause à laquelle on pût solidement attribuer la chaleur animale : cependant on voyoit que les alimens les plus froids de leur nature, & qui n’ont aucun principe de vie par eux-mêmes. contractent dans le corps humain la chaleur vitale, qu’ils semblent porter & renouveller continuellement dans toutes ses parties ; chaleur absolument semblable à celle qui les animoit avant que ces alimens fussent pris, digérés, & mêlés avec les différentes humeurs animales. On observoit par les expériences convenables, que les substances acides employées pour la nourriture, sont changées par l’effet de la digestion & de la coction des humeurs, en un fluide d’une nature si différente, qu’on peut sans aucune altération en tirer un sel volatil ; changement dont il est certainement bien difficile de rendre raison.

Helmont, qui étoit tellement passionné pour la