Page:Diderot - Encyclopedie 1ere edition tome 6.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les Géometres la considerent, voyez l’art. Géométrie, auquel cette discussion appartient immédiatement.

Etendue, (Voix.) La nature a donné à la voix humaine une étendue fixe de tons ; mais elle en a varié le son à l’infini, comme les phisionomies.

De la même maniere qu’elle s’est assujettie à certaines proportions constantes dans la formation de nos traits, elle s’est aussi attachée à nous donner un certain nombre de tons qui nous servissent à exprimer nos différentes sensations ; car le chant est le premier langage de l’homme. Voyez Chant.

Mais ce chant formé de sons qui tiennent de la nature l’expression du sentiment qui leur est propre, a plus ou moins de force, plus ou moins de douceur, &c. le volume de la voix qui le forme, est ou large ou étroit, lourd ou leger : l’impression qu’il fait sur notre oreille, a des degrés d’agrément ; il étonne ou flate, il touche ou il egaye. Voyez Son. Or dans toutes ces différences il y a dans la voix bien organisée qui les produit, un nombre fixe de tons qui forment son étendue, comme dans tous les visages il y a un nombre constant de traits qui forme leur ensemble. Lorsque le chant est devenu un art, l’expérience a décomposé les voix différentes de l’homme, pour en établir la qualité & en apprécier la valeur. Nos Musiciens en France n’ont consulté que la nature, & voici la division qui leur sert de regle.

Dans les voix des femmes, le premier & le second. dessus : ce dernier est aussi appellé bas-dessus. On donne le même nom & on divise de la même maniere les voix des enfans avant la mue. Voyez Mue.

Les voix d’homme sont tailles ou haute-contres, ou basse-tailles ou basse-contres. Nous regardons comme inutiles les concordans & les faussets.

Nous n’admettons donc en France dans la composition de notre musique vocale, que six sortes de voix, deux dans les femmes, & quatre dans les hommes. La connoissance de leur étendue est nécessaire aux compositeurs : on va l’expliquer par ordre.

Premier dessus chantant : clé de sol sur la seconde ligne, parcourt depuis l’ut au-dessous de la clé, jusqu’au la octave au-dessus de celui de la clé ; ce qui fait diatoniquement dix tons & demi.

Second dessus, ou bas-dessus chantant : clé d’ut sur la premiere ligne, donne le sol en-bas au-dessous de la clé, & monte jusqu’au sa octave de celui de la clé ; ce qui fait diatoniquement onze tons.

Cette espece de voix est très-rare ; on en donne mal-à-propos le nom à des organes plus volumineux & moins étendus que les premiers dessus ordinaires, parce qu’on ne sait quel nom leur donner.

Je dois au surplus avertir que je parle ici, 1° des voix en général : il y en a de plus étendues ; mais c’est le très-petit nombre, & les observations dans les arts ne doivent s’arrêter que sur les points généraux : les regles ont des vûes universelles, les cas particuliers ne forment que des exceptions sans conséquence. 2° Qu’en fixant diatoniquement l’étendue ordinaire des voix, on les suppose au ton de l’opéra, par exemple. Il n’y en a point qui, en prenant le ton qui lui est le plus favorable, ne parcoure sans peine à-peu-près deux octaves. Mais elles se trouvent resserrées ou dans le haut ou dans le bas, lorsqu’elles sont obligées de s’assujettir au ton général établi ; & c’est de ce ton général qu’il est nécessaire de partir pour se former des idées exactes des objets qu’on veut faire connoître.

La haute-contre : clé d’ut sur la troisieme ligne. Son étendue doit être depuis l’ut au-dessous de la clé, jusqu’à l’ut au-dessus ; ce qui fait deux octaves pleines, ou douze tons. Voyez Haute-contre.

Taille : clé d’ut sur la quatrieme ligne. Elle doit donner l’ut au-dessous de la clé, & le la au-dessus ;

ce qui fait diatoniquement dix tons & demi.

Cette espece de voix est la plus ordinaire à l’homme ; on s’en sert peu cependant pour nos théatres & pour notre musique latine. On croit en avoir appercû la cause, 1° dans son étendue, moindre que celle de la haute-contre & de la basse-taille : 2° dans l’espece de ressemblance qu’elle a avec elles. La taille ne forme point le contraste que les sons de la basse-taille & de la haute-contre ont naturellement entr’eux ; ce qui donne au chant une variété nécessaire.

Basse-taille : clé de fa sur la quatrieme ligne, donne le sol au-dessous de la clé, & le fa ♯ au-dessus : diatoniquement onze tons & demi. Voyez Basse-taille.

Basse-contre : même clé & même portée en-bas que la basse-taille, mais ne donne que le mi en-haut. Le volume plus large, s’il est permis de se servir de cette expression, en fait une seconde différence. On fait usage de ces voix dans les chœurs ; elles remplissent & soûtiennent l’harmonie : on en a trop peu à l’opéra, l’effet y gagneroit. Voyez Instrument.

On a déjà dit que le concordant & le fausset étoient regardés comme des voix bâtardes & inutiles. Le premier est une sorte de taille qui chante sur la même clé, & qui ne va que depuis l’ut au-dessous de la clé, jusqu’au sa au-dessus : huit tons & demi diatoniquement.

On voit par le seul exposé, combien on a abusé de nos jours de l’ignorance de la multitude à l’égard d’une voix très-précieuse que nous avons perdue. On veut parler ici de celle du sieur Lepage, qu’on disoit tout-haut n’être qu’un concordant, & qui étoit en effet la plus legere, la mieux timbrée & la moins lourde basse-taille que la nature eût encore offerte en France à l’art de nos Musiciens. Ce chanteur parcouroit d’une voix égale & aisée, plus de tons que n’en avoient encore parcouru nos voix de ce genre les plus vantées. Il avoit de plus une grande facilité pour les traits de chant, qui seuls peuvent l’embellir & le rendre agréable. On lui refusoit l’expression, l’action théatrale, les graces de la déclamation : peut-être en effet n’étoit-il que médiocre dans ces parties ; mais quelle voix ! & il faut premierement chanter, & avoir dequoi chanter à l’opéra.

Le fausset est une voix de dessus factice ; elle parcourt avec un son aigre les mêmes intervalles que les voix de dessus. Il y a des chanteurs qui se le donnent, en conservant la voix qu’ils avoient avant la mue. Voyez Mue. D’autres l’ajoûtent à leur voix naturelle, & c’est une misérable imitation de ce que l’art a la cruauté de pratiquer en Italie.

C’est-là qu’un ancien usage a prévalu sur l’humanité ; une opération barbare y produit des voix de dessus, qu’on croit fort supérieures aux voix que la nature a voulu faire ; & de ce premier écart on a passé bientôt à un abus dont les inconvéniens surpassent de beaucoup les avantages qu’on en retire.

On a vû plus haut quelle est l’étendue déterminée par la nature des voix de dessus. Les musiciens d’Italie ont trouvé cette étendue trop resserrée ; ils ont travaillé dès l’enfance les voix des castrati, & à force d’art ils ont crû en écarter les bornes, parce qu’ils ont enté deux voix factices & tout-à-fait étrangeres, sur la voix donnée. Mais ces trois voix de qualités inégales, laissent toûjours sentir une dissemblance qui montre l’art à découvert, & qui par conséquent dépare toûjours la nature.

L’étendue factice des voix procurée par l’art, ne pouvoit pas manquer d’exciter l’ambition des femmes, qui se destinant au chant, n’avoient cependant qu’une voix naturelle. Dés qu’un dessus artificiel fournissoit (n’importe comment) plusieurs tons dans le haut & dans le bas, qui excédoient l’étendue d’un