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ligne presque droite, & que l’Intendant avoit eu soin de faire paver de neuf, pour que la marche y fût plus douce, étoient couvertes des plus belles tapisseries.

Au bout de la rue madame la dauphine vit la perspective du palais que l’on y avoit peint. De la porte de S. Julien on découvre du fond de la rue Bouhaut, à la distance d’environ deux cents toises, les faces des deux premieres maisons qui forment l’embouchure de la rue du Cahernan, qui est à la suite & sur la même direction que la précédente. Celle de la droite, qui est d’un goût moderne & fort enrichie d’architecture, présentoit un point de vûe agréable, bien différent de celle de la gauche, qui n’étoit qu’une masure informe.

Pour éviter cette difformité & corriger le défaut de symmétrie, on y éleva en peinture le pendant de la maison de la droite ; & entre les deux on forma une grande arcade, au-dessus de laquelle les derniers étages de ces deux maisons étoient prolongés, de façon qu’ils s’y réunissoient, & que par leur ensemble elles présentoient un palais de marbre lapis & bronze, richement orné de peintures & dorures, avec les armes de France & d’Espagne accompagnées de plusieurs trophées & attributs relatifs à la fête.

Ce bâtiment, dont le portique ou arcade faisoit l’entrée de la rue du Cahernan, produisoit un heureux effet ; le carrosse de madame la dauphine tourna à droite pour entrer sur les fossés où étoit le corps des six régimens des troupes bourgeoises. Elle passa sous un nouvel arc de triomphe, placé vis-à-vis les fenêtres de son appartement.

La rue des Fossés est très-considérable, tant par sa longueur, qui est de plus de 400 toises, que par sa largeur, d’environ 80 piés : on s’y replie sur la droite dans une allée d’ormeaux, qui regne au milieu & sur toute la longueur de la rue.

On avoit élevé dans cette allée un superbe corps de bâtiment isolé, de 32 piés en quarré, sur 48 piés de hauteur, qui répondoit exactement aux fenêtres de l’appartement préparé pour madame la dauphine.

L’avantage de cette situation avoit animé l’architecte à rendre ce morceau d’architecture digne des regards de l’auguste princesse pour laquelle il étoit destiné.

Cet ouvrage, qui formoit un arc de triomphe, étoit ouvert en quatre faces par quatre arcades, chacune de 32 piés de hauteur sur 16 piés de largeur, dont les opposées étoient réunies par deux berceaux qui perçoient totalement l’édifice, & formoient par leur rencontre une voûte d’arête dans le milieu.

Ce bâtiment, quoique sans colonnes & sans pilastres, étoit aussi riche qu’élégant. Les ornemens y étoient en abondance, & sans confusion ; le tout en sculpture de relief & en dorure, sur un fond de marbre de différentes couleurs.

Ces ornemens consistoient en seize tables saillantes, couronnées de leurs corniches, & accompagnées de leurs chûtes de festons.

Seize médailles entourées de palmes, avec les chiffres en bas-relief de monseigneur le Dauphin & de madame la dauphine.

Quatre impostes avec leurs frises couronnoient les quatre corps solides sur lesquels reposoit l’édifice, & entres lesquels étoient les arcades ou portiques, dont les voûtes étoient enrichies de compartimens de mosaïque, parsemés de fleurs-de-lis, & de tours de Castille dorées.

On avoit suspendu sous la clé de la voûte d’arête une couronne de six piés de diametre, & de hauteur proportionnée, garnie de lauriers & de fleurs, avec des guirlandes dans le même goût : ouvrage que madame la dauphine pouvoit appercevoir sans cesse de ses fenêtres.

Au-dessus des impostes & à côté de chaque archivolte, étoient deux panneaux refouillés & enrichis de moulures.

L’entablement qui couronnoit cet édifice, étoit d’ordre composite, avec architrave, frise & corniche, enrichie de ses médaillons & rosettes, dont les profils & saillies étoient d’une élégante proportion.

Quatre écussons aux armes de France & d’Espagne étoient posés aux quatre clés des ceintres, & s’élevoient jusqu’au haut de l’entablement. Ces armes étoient accompagnées de festons & chûtes de fleurs.

L’édifice étoit terminé par des acroteres ou pié-d’estaux couronnés de leurs vases, posés à l’à-plomb des quatre angles, dont les intervalles étoient remplis de balustrades qui renfermoient une terrasse de 30 piés en quarré, sur quoi étoit élevée une pyramide de 40 piés de hauteur, pour recevoir l’appareil d’un feu d’artifice qui devoit être exécuté le soir de l’arrivée de madame la dauphine.

Cet édifice avoit environ 86 piés d’élevation, y compris la pyramide.

Madame la dauphine entra enfin dans la cour de l’hôtel-de-ville destiné pour son palais, pendant le séjour qu’elle feroit à Bordeaux.

A l’entrée de la cour, étoit l’élite d’un régiment des troupes bourgeoises, dont les jurats avoient composé la garde de jour & de nuit.

Les gardes de la porte & ceux de la prevôté occupoient la premiere salle de l’hôtel-de-ville ; la porte de cette salle étoit gardée au-dehors par les troupes bourgeoises.

Les cent-suisses occupoient la seconde salle ; les gardes-du-corps la troisieme.

Dans la quatrieme, il y avoit un dais garni de velours cramoisi, avec des galons & des franges d’or ; le ciel & le dossier étoient ornés dans leurs milieux des écussons des armes de France & d’Espagne, d’une magnifique broderie en or & argent ; sous ce dais, un fauteüil doré sur un tapis de pié, avec un carreau, le tout de même velours, garni de galons, glands, & crépines d’or.

La chambre de madame la dauphine étoit meublée d’une belle tapisserie, avec plusieurs trumeaux de glace, tables en consoles, lustres & girandoles ; on n’y avoit pas oublié, non plus que dans la piece précédente, le portrait de monseigneur le Dauphin.

Les jurats revêtus de leurs robes de cérémonie, vinrent recevoir les ordres de madame la dauphine, & lui offrir les présens de la ville.

A l’entrée de la nuit il fut fait une illumination générale, tant dans la ville que dans les fauxbourgs ; & sur les huit heures on tira un feu d’artifice. On servit ensuite le souper de madame la dauphine, pendant lequel plusieurs musiciens placés dans une chambre voisine, exécuterent des symphonies italiennes.

Le 28 la ville offrit des présens aux dames & aux seigneurs de la cour de madame la dauphine, & aux principaux officiers de sa maison.

A midi madame la dauphine se rendit à l’église métropolitaine, accompagnée des dames & seigneurs de sa cour, & des principaux officiers de sa maison.

Elle entra dans cette église par la porte royale, dont le parvis étoit jonché de fleurs naturelles.

On avoit aussi fait orner cette porte de guirlandes de fleurs semblables, & on y avoit mis les armes de France & d’Espagne, & de monseigneur le Dauphin, celles du chapitre au-dessous.

Cette princesse fut haranguée par le doyen du chapitre, & conduite processionnellement jusqu’au milieu du chœur ; & quand la messe fut finie, le chapitre qui s’étoit placé dans les stalles, en sortit pour