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cautions les plus sûres & les plus directes pour manquer son objet. Il est clair à-présent par le succès du nouveau procédé, que l’acide vitriolique n’agit efficacement sur l’esprit-de-vin que lorsqu’il est animé par le plus grand degré de chaleur dont il est susceptible dans ce mêlange, & qu’une chaleur douce dégage & enleve l’esprit-de-vin aussi inaltéré qu’il est possible. Or l’éther n’est absolument autre chose que le principe huileux de l’esprit-de-vin séparé des autres principes de la mixtion de cette substance, par une action de l’acide vitriolique inconnue jusqu’à présent ; mais vraissemblablement dépendante de la grande affinité de cet acide avec l’eau, qui est un principe très-connu de la mixtion ou de la composition de l’esprit-de-vin. Cette action de l’acide pourroit bien aussi n’être que méchanique, c’est-à-dire se borner à porter dans l’esprit-de-vin une chaleur bien supérieure à celle dont sa volatilité naturelle le rend susceptible, & le disposer ainsi à éprouver une diachrese pure & simple, dont la chaleur seroit en ce cas l’unique & véritable agent, & à laquelle l’acide ne concourroit que comme bain ou faux intermede. Voyez ce que nous disons des bains chimiques à l’article Feu. Voyez aussi Intermede.

Toutes les propriétés de l’éther démontrent, à la rigueur, que cette substance n’est qu’une huile très subtile, comme nous l’avons déjà avancé au commencement de cet article ; & l’on ne conçoit point comment des chimistes habiles ont pû se figurer qu’elle étoit formée par la combinaison de l’acide vitriolique & de l’esprit-de-vin.

La seule propriété chimique particuliere que nous connoissons à l’éther, est celle de dissoudre facilement, & par le secours d’une legere chaleur, certaines substances résineuses, telles que la gomme copale & le succin, qui sont peu solubles à ce degré de chaleur par les huiles essentielles connues : mais on voit bien que ceci ne sauroit être regardé comme une propriété essentielle ou distinctive.

Tous les medecins qui ont connu l’éther, lui ont accordé une qualité véritablement sédative, antispasmodique ; ils l’ont recommandé sur-tout dans les coliques venteuses, dans les hoquets opiniâtres, dans les mouvemens convulsifs des enfans, dans les accès des vapeurs hystériques, &c. Il est dit dans le recueil périodique d’observations de Medecine, Fév. 1755, qu’un remede nouveau usité en Angleterre contre le mal à la tête, c’est de prendre quelques dragmes d’éther de Frobenius dans le creux de la main, & de l’appliquer au front du malade. Quelques dragmes d’éther, c’est comme le boisseau de pilules de Crispin. Une personne qui se connoît mieux en doses de remedes a appliqué, dans des violens maux à la tête, sur les tempes du malade, quelques brins de coton imbibés de sept à huit gouttes d’éther ; & elle assûre qu’au bout de quelques minutes la douleur a été dissipée comme par enchantement. Pendant cette application le malade éprouve sur la partie un sentiment de chaleur brûlante, auquel succede une fraîcheur très-agréable dès l’instant que le coton est enlevé. Au reste le charlatan de Londres qui dissipoit, ou du moins qui traitoit les douleurs de tête par une application des mains, & qui vraissemblablement a donné lieu à l’article du recueil d’observations que nous venons de citer, n’employoit point l’éther. Je tiens du même observateur, que cinq ou six gouttes d’éther données intérieurement, avoient suspendu avec la même promptitude des hoquets violens, soit qu’ils fussent survenus peu de tems après le repas, soit au contraire l’estomac étant vuide.

La dose ordinaire de l’éther pour l’usage intérieur, est de sept à huit gouttes. On en imbibe un morceau de sucre, qu’on mange sur le champ, ou qu’on fait fondre dans une liqueur appropriée & tiede. Quand

on le prend de cette derniere façon, on peut en augmenter un peu la dose, parce qu’il s’en évapore une partie pendant la dissolution du sucre.

La base de la liqueur minérale anodyne d’Hoffman, n’est autre chose que de l’esprit-de-vin empreint d’une legere odeur éthérée, retiré par une chaleur très-douce d’un mélange de six parties d’esprit-de-vin & une partie d’acide vitriolique. C’est proprement un éther manqué. Voyez Liqueur minérale anodyne d’Hoffmann .

L’examen ultérieur de la matiere qui reste dans la cornue après la production de l’éther, appartient à l’analyse de l’esprit-de-vin ; du moins l’article de l’Esprit-de-vin est-il celui de ce Dictionnaire, où il nous paroît le plus convenable de le placer. Voyez Esprit-de-vin au mot Vin.

Ether nitreux, (Chim. & Mat. med.) on peut donner ce nom à une huile extrèmement subtile, retirée de l’esprit-de-vin par l’intermede de l’acide nitreux, pourvû qu’on se souvienne que nitreux ne signifie ici absolument que séparé par l’acide nitreux. Il vaudroit peut-être mieux l’appeller éther de Navier.

L’éther nitreux & l’éther de Frobenius ne sont proprement qu’une seule & même liqueur ; la seule différence qui les distingue, c’est quelque variété dans l’odeur : celle de l’éther nitreux est moins douce, moins agréable.

La découverte de l’éther nitreux qui est très-moderne, est dûe au hasard. Voici comment s’en explique (dans les mém. de l’acad. royale des Sc. an. 1742.) M. Navier medecin de Chaalons-sur-Marne, qui l’a observé le premier : « Comme je composois une teinture anti-spasmodique, où il entroit de l’esprit-de-vin & de l’esprit de nitre, le bouchon de la bouteille où l’on avoit fait ce mêlange sauta, & il se répandit une forte odeur d’éther ». C’est de l’éther de Frobenius que l’auteur entend parler.

M. Navier soupçonna avec juste raison sur cet indice, que le mélange de l’acide nitreux & de l’esprit-de-vin devoit produire sans le secours de la distillation & par une simple digestion, une liqueur semblable à l’éther de Frobenius. Il mêla donc parties égales de ces deux liqueurs en mesure & non en poids, dans une bouteille, qu’il boucha ensuite exactement, & dont il assujettit le bouchon avec une ficelle ; & au bout de neuf jours il trouva une belle huile éthérée très-claire & presque blanche, qui surnageoit le reste de sa liqueur, & qui faisoit environ un sixieme du mêlange.

Il faut que M. Navier ait employé dans cette expérience un esprit de nitre beaucoup plus foible que l’esprit de nitre ordinaire non fumant des distillateurs de Paris, ou qu’il n’ait pas observé le tems exact de la production de l’éther, & qu’il ne l’ait apperçû que long-tems après qu’il a été séparé, comme on le va voir dans un moment.

En répétant l’expérience de M. Navier, & en variant la proportion des deux matieres employées, on a découvert qu’on obtenoit de l’éther par ce procédé, lors même qu’on employoit dix & douze parties d’esprit-de-vin pour une d’acide nitreux foible ; & que l’action mutuelle de ces deux liqueurs n’avoit besoin d’être excitée que par la plus foible chaleur ; qu’elle avoit lieu au degré inférieur à celui de la congellation de l’eau.

Le mêlange de l’acide nitreux & de l’esprit-de-vin est, tout étant d’ailleurs égal, encore plus tumultueux, plus violent, plus dangereux que celui de l’acide vitriolique & de l’esprit-de-vin ; phénomene qui peut présenter une singularité à ceux qui croyent que l’acide vitriolique est ce qu’ils appellent plus fort que l’acide nitreux, mais qui ne paroîtra qu’un fait tout simple aux chimistes qui sauront que nul agent chimique ne possede une force abso-