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de 16 piés de proportion. A l’un c’étoit le fleuve du Guadalquivir, avec un lion au bas ; on lisoit en lettres d’or, sur l’urne de ce fleuve ces deux vers d’Ovide :

Non illo melior quisquam, nec amantior aqui
Rex fuit, aut illa reverentior ulla dearum.


& à l’autre parterre c’étoit la riviere de Seine avec un coq. On voyoit sur l’urne, d’où l’eau du fleuve paroissoit sortir en gaze d’argent, ces vers de Tibulle :

Et longè ante alias omnes mitissima mater,
Isque pater, quo non alter amabilior.

Aux deux côtés des parterres & des deux monts regnoient six plate-bandes sur deux lignes aussi à fleur d’eau, ornées & décorées dans le même goût des parterres. Les trois de chaque côté occupoient un espace de plus de cent piés de long sur 15 de large.

Deux terrasses de charpente, à doubles rampes de 20 piés de haut, étoient adossées aux quais des deux côtés, & se terminoient en gradins jusque sur le rivage. Elles regnoient sur toute la longueur du jardin, & occupoient un terrein de 408 piés sur la même ligne, en y comprenant une suite de décorations rustiques, qui sembloient servir d’appui à ces deux grands perrons ; le tout étoit garni d’une si grande quantité de terrines, que les yeux en étoient ébloüis, & les ténebres de la nuit entierement dissipées. Le mouvement des lumieres, qui en les confondant leur donnoit encore plus d’éclat, faisoit un tel effet à une certaine distance, qu’on croyoit voir des nappes & des cascades de feu.

Entre ces terrasses lumineuses & le brillant jardin, à la hauteur des deux montagnes, on avoit placé deux bateaux de 70 piés de long, sur 24 de large, d’une forme singuliere & agréable, ornés de sculpture & dorés. Du milieu de chacun de ces bateaux, s’élevoit une espece de temple octogone, couvert en maniere de baldaquin, soûtenu par huit palmiers avec des guirlandes, des festons de fleurs, & des lustres de crystal. Les bateaux étoient remplis de musiciens pour les fanfares qu’on entendoit alternativement.

Sur la partie la plus élevée du temple, placé du côté de l’hôtel de Bouillon, on lisoit ce vers de Tibulle.

Omnibus ille dies semper natalis agatur

Pour inscription sur l’autre temple du côté du Louvre, on lisoit cet autre vers du même Poëte :

O quantùm felix, terque quaterque dies !

Le sommet de ces deux magnifiques gondoles étoit terminé par de gros fanaux & par des étendarts, sur lesquels on avoit représenté des dauphins & des amours.

Les quatre coins de ce vaste, lumineux, & magnifique jardin, étoient terminés par quatre brillantes tours, couvertes de lampions à plaque de fer-blanc, qui augmentoient considérablement l’éclat des lumieres, & qui pendant le jour faisoient paroître les tours comme argentées. Elles sembloient s’élever sur quatre terrasses de lumieres, ayant 18 piés de diametre, sur 70 de haut, en y comprenant les étendarts aux armes de France & d’Espagne, qu’on y avoit arborés à un petit mât chargé d’un gros fallot.

C’est du haut de ces tours que commença une partie de l’artifice de ce grand spectacle, après que le signal en eut été donné par une décharge de boîtes & de canons, placés sur le quai du côté des Tuileries, & après que les princes & princesses du sang, les ambassadeurs & ministres étrangers, & les seigneurs & dames de la cour, invités à la fête, furent arrivés à l’hôtel de Bouillon.

On vit partir en même tems de ces tours les fusées d’honneur, & ensuite quantité d’autres artifices, soleils fixes & tournans, gerbes, &c. après quoi commença le spectacle d’un combat sur la riviere, dans les intervalles & les allées du jardin, de douze monstres marins, tous différens, figurés sur autant de bateaux de plus de 20 piés de long, d’où on vit sortir une grande quantité de serpenteaux, de grenades, balons d’eau, & autres artifices qui plongeoient dans la riviere, & qui en ressortoient avec une extrème vîtesse, prenant différentes formes, comme de serpens, &c.

Pour troisieme acte de cet agréable spectacle, on fit partir d’abord du bas des deux montagnes, & ensuite par gradation, des saillies, des crevasses, des cavités, & enfin du sommet des deux monts, une très-grande quantité d’artifice suivi & diversifié, ce qui formoit comme deux montagnes de feu dont l’action n’étoit interrompue que par des volcans clairs & brillans, qui sortoient à plusieurs reprises de tous côtés & du sommet des rochers. Les intervalles des différens tems auxquels les volcans partoient, étoient remplis par des fougades très-vives par le grand nombre & par la singularité des fusées. La fin fut marquée par plusieurs girandes. (B)

Feux d’Artifice, (Artificier.) on comprend sous ce nom tout ce qui s’exécute en général dans les fêtes de nuit, par le moyen de la poudre, du salpetre, du soufre, du charbon, du fer, & autres matieres inflammables & lumineuses. Nous traiterons d’abord de ces différentes matieres.

De la préparation des matieres, & de l’outillage.

Article I. Des matieres dont on compose les feux. Le salpetre, le soufre, le charbon, & le fer, sont presque les seules matieres dont on fasse usage dans l’artifice ; leurs différentes combinaisons varient les effets & la couleur des feux : ces couleurs consistent en une dégradation de nuances du rouge au blanc, le brillant, & un petit bleu clair. On a fait beaucoup d’expériences pour trouver d’autres couleurs ; mais aucune n’a réussi : les matieres les plus propres à en donner, & qui en produisent naturellement lorsqu’on les fond, comme le zink, la matte de cuivre, & autres minéraux, n’ont aucun effet, dès qu’elles sont mêlées avec le soufre & le salpetre ; leur feu trop vif détruit dans ces matieres le phlogistique qui donnoit de la couleur.

Il y a bien une composition qui produit une belle flamme verte, lorsque l’on brûle quelque matiere, telle que du papier, du linge, ou de minces coupeaux de bois qui ont trempé dedans ; elle se fait avec demi-once de sel ammoniac & demi-once de verd-de-gris, que l’on met dissoudre dans un verre de vinaigre : mais comme elle ne résiste point au feu du salpetre & du soufre, on n’en fait aucun usage dans l’artifice.

Art. II. Du salpetre. Le salpetre pour l’artifice, comme pour la poudre, doit être de la troisieme cuite ; la premiere cuite le forme, & les deux autres le purifient : on le pile, ou, ce qui est encore plus commode, on le broye sur une table de bois dur avec une molette de bois, & on le passe au tamis de soie ; plus il est fin & plus son effet est grand.

Le salpetre par lui-même incombustible ne brûle que lorsqu’il est mêlé avec des matieres qui contiennent un soufre principe, ou ce que les Chimistes nomment phlogistique, propre à diviser ses parties & à les mettre en mouvement ; tels sont le soufre commun, la limaille de fer, l’antimoine, le charbon de bois, &c. Cette derniere matiere y convient mieux que toute autre ; puisqu’il suffit pour enflammer le