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gneur, on faisoit des dispositions pour la succession tuture, dans la vûe que le fief pût être servi par les héritiers.

En un mot, les fiefs étant devenus héréditaires, & les arriere-fiefs s’étant étendus, il s’introduisit beaucoup d’usages en France, auxquels les lois saliques, ripuaires, bourguignones, & visigothes n’étoient plus applicables : on en retint bien pendant quelque tems l’esprit, qui étoit de regler la plûpart des affaires par des amendes ; mais les valeurs ayant changé, les amendes changerent aussi. L’on suivit l’esprit de la loi, sans suivre la loi même. D’ailleurs la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries qui reconnoissoient plûtôt une dépendance féodale, qu’une dépendance politique, il n’y eut plus de loi commune. Les lois saliques, bourguignones, & visigothes, furent donc extrèmement négligées à la fin de la seconde race ; & au commencement de la troisieme on n’en entendit presque plus parler. C’est ainsi que les codes des lois des barbares & les capitulaires se perdirent.

Enfin le gouvernement féodal commença entre le douzieme & treizieme siecle, à déplaire également aux monarques qui gouvernoient la France, l’Angleterre, & l’Allemagne : ils s’y prirent tous à-peu-près de même, & presque en même tems, pour le faire évanoüir, & former sur ses ruines une espece de gouvernement municipal de villes & de bourgs. Pour cet effet, ils accorderent aux villes & aux bourgs de leur domination plusieurs priviléges. Quelques serfs devinrent citoyens ; & les citoyens acquirent pour de l’argent le droit d’élire leurs officiers municipaux. C’est vers le milieu du douzieme siecle qu’on peut fixer en France l’époque de l’établissement municipal des cités & des bourgs. Henri II. roi d’Angleterre donna des prérogatives semblables aux villes de son royaume ; les empereurs suivirent les mêmes principes en Allemagne : Spire, par exemple, acheta en 1166 le droit de se choisir des bourguemestres, malgré l’évêque qui s’y opposoit : ainsi la liberté naturelle aux hommes sembla vouloir renaître de la conjoncture des tems & du besoin d’argent où se trouvoient les princes. Mais cette liberté n’étoit encore qu’une servitude réelle, en comparaison de celle de plusieurs villes d’Italie qui s’érigerent alors en république, au grand étonnement de toute l’Europe.

Il arriva cependant qu’insensiblement les villes & les bourgs de divers royaumes s’accrurent en nombre, & devinrent de plus en plus considérables : ensuite la nécessité, mere de l’industrie, obligea quantité de personnes à imaginer des moyens de contribuer aux commodités des gens riches, pour avoir de quoi subsister : de-là, l’invention de divers métiers en divers lieux & en divers pays. Enfin parut en Europe le commerce qui fructifie tout, le retour aimable des Lettres, des Arts, des Sciences, leur encouragement & leur progrès : mais comme rien n’est pur ici bas, de-là vint la renaissance odieuse de la maltôte romaine, si nuisible & si cruelle, inconnue dans la monarchie des Francs, & malheureusement remise en pratique parmi nous, lorsque les hommes commencerent à joüir des Arts & du Commerce.

Auteurs théoriques sur les fiefs. C’est précisément lorsque les fiefs furent rendus héréditaires, que presque tous les auteurs ont commencé leurs traités sur ce sujet, en appliquant communément aux tems éloignés les idées générales de leur siecle ; source d’erreurs intarissable. Ceux qui ont remonté plus haut ont bâti des systèmes sur leurs préjugés. Peu de gens ont sû porter leur esprit sans prévention aux vraies sources des lois féodales ; de ces lois qu’on vit paroître inopinément en Europe,

sans qu’elles tinssent à celles qu’on avoit jusqu’alors connues ; de ces lois qui ont fait des biens & des maux infinis ; de ces lois enfin qui ont produit la regle avec une inclination à l’anarchie, & l’anarchie avec une tendance à la regle. M. de Montesquieu tenant le bout du fil est entré dans ce labyrinthe, l’a tout vû, en a peint le commencement, les routes, & les détours, dans un tableau lumineux dont je viens de donner l’esquisse, en empruntant perpétuellement son crayon, je ne dis pas son coloris.

Ceux qui seront curieux de comparer son excellent ouvrage avec d’autres sur la même matiere, peuvent lire, par exemple, de Hauteserre, Origines feudorum pro moribus Galliæ, liber singularis ; il se trouve à la fin de ses trois livres de ducibus & comitibus provincialibus Galliæ, Toulouse, 1643, in-4°. Le Fevre de Chantereau, de l’origine des fiefs ; Loyseau, Boutillier, Pasquier ; quelques uns de nos historiens ; Cambden, dans sa Britannia ; Spelman ; & Saint-Amand, dans son Essai sur le pouvoir législatif de l’Angleterre. Article de M. le Chevalier de Jaucourt.

Fief, (Jurisprud.) en latin feudum, & quelquefois anciennement feodum, est un immeuble ou droit réel qui est tenu & mouvant d’un seigneur, à la charge de lui faire la foi & hommage, quand il y a mutation & changement de personne, soit de la part du seigneur dont releve le fief, soit de la part du vassal, qui est le possesseur du fief.

Il est aussi ordinairement dû des droits en argent au seigneur, pour certaines mutations ; mais il n’y a que la foi & hommage qui soit de l’essence du fief : c’est ce qui le distingue des autres biens.

Les auteurs sont fort partagés sur l’étymologie du mot fief : les uns le font venir de fœdus, à cause de l’alliance qui se fait entre le seigneur & le vassal ; d’autres, comme Cujas, le font venir de fides, ou du mot gaulois ou fié, qui signifie foi, parce que la foi est ce qui constitue l’essence du fief ; d’autres, du mot saxon feh, gages. Bodin prétend que le mot latin fœdus est formé des lettres initiales de ces mots, fidelis ero domino vero meo, qui étoient une ancienne formule de la foi & hommage : Hottmand le fait venir du mot allemand qui signifie guerre : Pontanus le tire du mot danois feid, service militaire : d’autres, du mot hongrois foeld, terre : d’autres, de foden, nourrir ; mais l’opinion de Selden, qui paroît la plus suivie, est que ce mot fief tire son étymologie de l’ancien saxon feod, qui signifie joüissance ou possession de la solde ; parce qu’en effet les fiefs, dans leur origine, ont été donnés pour récompense du service militaire, & à la charge de faire ce service gratuitement : de maniere que le fief tenoit lieu de solde. De feod on a fait en latin feodum, & par corruption feudum : aussi les termes de féodal & de féodalité sont-ils plus usités dans nos coûtumes, que celui de feudal.

Tous les héritages & droits réels réputés immeubles, sont tenus en fief, ou en censive, ou en franc-aleu.

Les fiefs sont opposés aux rotures, qui sont les biens tenus en censive ; ils sont aussi différens des franc-aleux, qui ne relevent d’aucun seigneur.

Dans le doute, une terre est présumée roture, s’il n’appert du contraire.

La qualité de fief doit être prouvée par des actes de foi & hommage, par des aveux & dénombremens, par des partages, ou par des jugemens contradictoires, & autres actes authentiques.

Un seul dénombrement ne suffit pas pour la preuve du fief, à moins qu’il ne soit soûtenu d’autres adminicules : la preuve par témoins n’est point admise en cette matiere.

On peut tenir en fief toutes sortes d’immeubles, tels que les maisons & autres bâtimens, cours, bassecours, jardins, & autres dépendances, les terres la-