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tissement s’accorde assez bien avec les cinq degrés suivans, celui du Nord, celui du Pérou, celui du Cap, le degré de France supposé de 57183 toises, & le degré de longitude mesuré à 43d 22′ de latitude ; mais le degré de France supposé de 57074 toises, comme on le veut aujourd’hui, & le degré d’Italie, dérangent tout.

M. le Monnier cherchant à lever une partie de ces doutes, a entrepris de vérifier de nouveau la base de M. Picard, pour proscrire ou pour rétablir irrévocablement le degré de France, fixé par les académiciens du Nord à 57183 toises.

Si ce degré est rétabli, alors ce seroit aux Astronomes à décider jusqu’à quel point l’hypothèse elliptique seroit ébranlée par le degré d’Italie, le seul qui s’éloigneroit alors de cette hypothese, & même de l’applatissement supposé de . (Ne pourroit-on pas croire que dans un pays aussi plein de hautes montagnes que l’Italie, l’attraction de ces montagnes doit influer sur la direction du fil-à-plomb, & que par conséquent la mesure du degré doit y être moins exacte & moins sûre ? c’est une conjecture legete que je ne fais que hasarder ici). Il faudroit examiner de plus jusqu’à quel point les observations du pendule s’écarteroient de ce même applatissement de , déduction faite des erreurs qu’on peut commettre dans les observations.

Mais si le degré de 57183 toises est proscrit, il faudra en ce cas discuter soigneusement les erreurs qu’on peut commettre dans les observations, tant du pendule que des degrés ; & si ces erreurs devoient être supposées trop grandes pour accommoder l’hypothèse elliptique aux observations, on seroit forcé d’abandonner cette hypothèse, & de faire usage des nouvelles méthodes que j’ai proposées, pour déterminer par la théorie & par les observations, la figure de la Terre.

L’observation de l’applatissement de Jupiter pourroit encore nous être utile ici jusqu’à un certain point. Il est aisé de trouver par la théorie quel doit être le rapport des axes de cette planete, en la regardant comme homogene. Si ce rapport étoit sensiblement égal au rapport observé, on pourroit en conclure avec assez de vraissemblance que la Terre seroit aussi dans le même cas, & que son applatissement seroit , le même que dans le cas de l’homogénéité ; mais si le rapport observé des axes de Jupiter est différent de celui que la théorie donne, alors on en pourra conclure par la même raison que la Terre n’est pas homogene, & peut-être même qu’elle n’a pas la figure elliptique. Cette derniere conclusion pourroit encore être confirmée ou infirmée par l’observation de la figure de Jupiter ; car il seroit aisé de déterminer si le méridien de cette planete est une ellipse, ou non. Pour cela il suffiroit de mesurer le parallele à l’équateur de Jupiter, qui en seroit éloigné de 60 degrés ; si ce parallele se trouvoit sensiblement égal ou inégal à la moitié de l’équateur, le méridien de Jupiter seroit elliptique, ou ne le seroit pas.

Je ne parle point de la méthode de déterminer la figure de la Terre par les parallaxes de la Lune : cette méthode imaginée d’abord par M. Manfredi, dans les mémoires de l’académie des Sciences de 1734, est sujette à trop d’erreurs pour pouvoir rien donner de certain. Il est indubitable que les parallaxes doivent être différentes sur une sphere & sur un sphéroïde ; mais la différence est si petite, que quelques secondes d’erreur dans l’observation emportent toute la précision qu’on peut desirer ici. Il est bien plus sûr de déterminer la différence des parallaxes par la figure de la Terre supposée connue, que la figure de la Terre par la différence des parallaxes ; & je me suis attaché par cette raison au premier de ces deux objets, dans la

troisieme partie de mes recherches sur le système du monde déjà citées. Voyez Parallaxe.

Il ne nous reste plus qu’un mot à dire sur l’utilité de cette question de la figure de la Terre. On doit avoüer de bonne-foi, qu’eu égard à l’état présent de la navigation, & à l’imperfection des méthodes par lesquelles on peut mesurer en mer le chemin du vaisseau, & connoître en conséquence le point de la Terre où il se trouve, il nous est assez indifférent de savoir si la Terre est exactement sphérique ou non. Les erreurs des estimations nautiques sont beaucoup plus grandes, que celles qui peuvent résulter de la non-sphéricité de la Terre. Mais les méthodes de la navigation se perfectionneront peut-être un jour assez pour qu’il soit alors important au pilote de savoir sur quel sphéroïde il fait sa route. D’ailleurs n’est-ce pas une recherche bien digne de notre curiosité, que celle de la figure du globe que nous habitons ? & cette recherche, outre cela, n’est-elle pas fort importante pour la perfection des observations astronomiques ? Voyez Parallaxe, &c.

Quoi qu’il en soit, voilà l’histoire exacte des progrès qu’on a faits jusqu’ici sur la figure de la Terre. On voit combien la solution complete de cette grande question, demande encore de discussion, d’observations, & de recherches. Aidé du travail de mes prédécesseurs, j’ai tâché dans mon dernier ouvrage, de préparer les matériaux de ce qui reste à faire, & d’en faciliter les moyens. Quel parti prendre jusqu’à ce que le tems nous procure de nouvelles lumieres ? savoir attendre & douter.

Il est tems de finir cet article, dont je crains qu’on ne me reproche la longueur, quoique je l’aye abregé le plus qu’il m’a été possible : je crains encore plus qu’on ne fasse aux Savans une espece de reproche, quoique très-mal fondé, de l’incertitude où ils sont encore sur la figure de la Terre, après plus de 80 ans de travaux entrepris pour la déterminer. Ce qui doit néanmoins me rassûrer, c’est que j’ai principalement destine l’article qu’on vient de lire, à ceux qui s’intéressent vraiment au progrès des Sciences ; qui savent que le vrai moyen de le hâter est de bien démêler tout ce qui peut le suspendre ; qui connoissent enfin les bornes de notre esprit & de nos efforts, & les obstacles que la nature oppose à nos recherches : espece de lecteurs à laquelle seule les Savans doivent faire attention, & non à cette partie du public indifférente & curieuse, qui plus avide du nouveau que du vrai, use tout en se contentant de tout effleurer.

Ceux qui voudront s’instruire plus à fond, ou plus en détail, sur l’objet de cet article, doivent lire : la mesure du degré du méridien entre Paris & Amiens, par M. Picard, corrigée par MM. les académiciens du Nord, Paris, 1740 : le traité de la grandeur & de la figure de la Terre, par M. Cassini, Paris, 1718 : le discours de M. de Maupertuis sur la figure des astres, Paris, 1732 : la mesure du degré au cercle polaire, par les académiciens du Nord, 1738 : la théorie de la figure de la Terre, par M. Clairaut, 1742 : la méridienne de Paris vérifiée dans toute l’étendue de Franæ, par M. Cassini de Thury, 1744 : la figure de la Terre, par M. Bouguer, 1749 : la mesure des trois premiers degrés du méridien, par M. de la Condamine, 1751 : l’ouvrage des PP. Maire & Boscovich, qui a pour titre, de litterariâ expeditione per poutificiam ditionem, &c. Romæ, 1755 : mes réflexions sur la cause des vents, 1746 : la seconde & la troisieme partie de mes recherches sur le système du monde, 1754 & & 1756 ; & plusieurs savans mémoires de MM. Euler, Clairaut, Bouguer, de Maupertuis, &c. répandus dans les recueils des académies des Sciences de Paris, de Petersbourg, de Berlin, &c. (O)

Figure, en Astrologie, est une description ou représentation de l’état & de la disposition du ciel à une