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nin dissyllabe ; nom, monosyllabe ; Antinoüs, quatre syllabes, &c.

V. La contraction ou réunion de deux syllabes en une se fait en deux manieres : 1°. lorsque deux syllabes se réunissent en une sans rien changer dans l’écriture : on appelle cette contraction synérèze ; comme lorsqu’au lieu d’aureïs en trois syllabes, Virgile a dit aureis en deux syllabes.

Dependent lychni laquearibus aureis.

Æn. l. I. v. 730.

2°. Mais lorsqu’il résulte un nouveau son de la contraction, la figure est appellée crase, κρᾶσις, c’est-à-dire mélange, comme en françois Oût pour Août, pan au lieu de paon ; & en latin min pour mihi-ne ?

Ces diverses altérations, dans le matériel des mots, s’appellent d’un nom général, métaplasme, μεταπλασμὸς, transformatio, de μεταπλάσσω, transformo.

II. La seconde sorte de figures qui regardent les mots, ce sont les figures de construction ; quoique nous en ayons parlé au mot Construction, ce que nous en dirons ici ne sera pas inutile.

D’abord il faut observer que lorsque les mots sont rangés selon l’ordre successif de leurs rapports dans le discours, & que le mot qui en détermine un autre est placé immédiatement & sans interruption après le mot qu’il détermine, alors il n’y a point de figure de construction ; mais lorsque l’on s’écarte de la simplicité de cet ordre, il y a figure : voici les principales.

1°. L’ellipse, ἔλλειψις, derelictio, prætermissio, defectus, de λείπω, linquo : ainsi quand l’empressement de l’imagination fait supprimer quelque mot qui seroit exprimé selon la construction pleine, on dit qu’il y a ellipse. Pour rendre raison des phrases elliptiques, il faut les réduire à la construction pleine, en exprimant ce qui est sous-entendu selon l’analogie commune : par exemple, accusare furti, c’est accusare de crimine furti ; & dans Virgile, quos ego. Æn. l. I. v. 139. la construction est, vos quos ego in ditione meâ teneo. « Quoi ! vous que je tiens sous mon empire ; vous, mes sujets, vous que je pourrois punir, vous osez exciter de pareilles tempêtes sans mon aveu » ? Ad Castoris, suppléez ad ædem ; maneo Romæ, suppléez in urbe comme Ciceron a dit : in oppido Antiochiæ ; & Virgile, Æn. l. III. v. 293. Celsam Buthroti ascendimus urbem, passage remarquable & bien contraire aux regles communes sur les questions de lieu. Est regis tueri subditos, suppléez officium, &c.

Il y a une sorte d’ellipse qu’on appelle zeugma, mot grec qui signifie connexion, assemblage : c’est lorsqu’un mot qui n’est exprimé qu’une fois, rassemble pour ainsi dire sous lui divers autres mots énoncés en d’autres membres ou incises de la période. Donat en rapporte cet exemple du III. liv. de l’Æneïde, v. 359.

Trojugena interpres divum, qui numina Phœbi,
Qui tripodas, Clarii lauros, qui sidera sentis
Et volucrum linguas, & præpetis omina pennæ.

Ce troyen, c’est Helenus, fils de Priam & d’Hecube. Dans cet exemple, sentis, qui n’est exprimé qu’une fois, rassemble sous lui cinq incises où il est sous-entendu : qui sentis, id est, qui cognoscis numina Phœbi, qui sentis tripodas, qui sentis lauros Clarii, qui sentis sidera, qui sentis linguas volucrum, qui sentis omina pennæ præpetis. Voyez ce que nous avons dit du zeugma, au mot Construction.

II. Le pléonasme, mot grec qui signifie surabondance, πλεονασμὸς, abundantia ; πλέος, plenus ; πλεονάζω, plus habeo, abundo. Cette figure est le contraire de l’ellipse ; il y a pléonasme lorsqu’il y a dans la phrase quelque mot superflu, ensorte que le sens n’en se-

roit pas moins entendu, quand ce mot ne seroit pas exprimé, comme quand on dit, je l’ai vû de mes yeux, je l’ai entendu de mes oreilles, j’irai moi-même ; mes yeux, mes oreilles, moi-même, sont autant de pléonasmes.

Lorsque ces mots superflus quant au sens, servent à donner au discours, ou plus de grace, ou plus de netteté, ou plus de force & d’énergie, ils font une figure approuvée comme dans les exemples ci-dessus ; mais quand le pléonasme ne produit aucun de ces avantages, c’est un défaut du style, ou du moins une négligence qu’on doit éviter.

III. La syllepse ou synthèse sert lorsqu’au lieu de construire les mots selon les regles ordinaires du nombre, des genres, des cas, on en fait la construction relativement à la pensée que l’on a dans l’esprit ; en un mot, il y a syllepse, lorsqu’on fait la construction selon le sens, & non pas selon les mots : c’est ainsi qu’Horace l. I. Od. 2. a dit : fatale monstrum quæ, parce que ce monstre fatal c’étoit Cléopatre ; ainsi il a dit quæ relativement à Cléopatre qu’il avoit dans l’esprit, & non pas relativement à monstrum. C’est ainsi que nous disons, la plûpart des hommes s’imaginent, parce que nous avons dans l’esprit une pluralité, & non le singulier, la plûpart. C’est par la même figure que le mot de personne, qui grammaticalement est du genre féminin, se trouve souvent suivi de il ou de ils, parce qu’on a dans l’esprit l’homme ou les hommes dont on parle.

IV. La quatrieme sorte de figure c’est l’hyperbate, c’est-à-dire confusion, mélange de mots ; c’est lorsque l’on s’écarte de l’ordre successif des rapports des mots, selon la construction simple : en voici un exemple où il n’y a pas un seul mot qui soit placé après son correlatif, & selon la construction simple.

Aret ager ; vitio, moriens, sitit, aeris, herba.

Virg. Eccl. VII. v. 52.

La construction simple est ager aret ; herba moriens præ vitio aëris sitit. L’ellipse & l’hyperbate sont fort en usage dans les langues où les mots changent de terminaisons, parce que ces terminaisons indiquent les rapports des mots, & par-là font appercevoir l’ordre ; mais dans les langues qui n’ont point de cas, ces figures ne peuvent être admises que lorsque les mots sous-entendus peuvent être aisément suppléés, & que l’on peut facilement appercevoir l’ordre des mots qui sont transposés : alors les ellipses & les transpositions donnent à l’esprit une occupation qui le flatte : il est facile d’en trouver des exemples dans les dialogues, dans le style soûtenu, & sur-tout dans les poëtes : par exemple, la vérité a besoin des ornemens que lui prête l’imagination, Discours sur Télémaque ; on voit aisément que l’imagination est le sujet, & que lui est pour à elle.

Le livre si connu de l’histoire de dom Quichote, commence par une transposition : dans une contrée d’Espagne, qu’on appelle la Manche, vivoit, il n’y a pas long-tems, un gentilhomme, &c. la construction est : un gentilhomme vivoit dans, &c.

V. L’imitation : les relations que les peuples ont les uns avec les autres, soit par le commerce, soit pour d’autres intérêts, introduisent réciproquement parmi eux, non-seulement des mots, mais encore des tours & des façons de parler qui ne sont pas analogues à la langue qui les adopte ; c’est ainsi que dans les auteurs latins on observe des phrases greques qu’on appelle des hellénismes, qu’on doit pourtant toûjours réduire à la construction pleine de toutes les langues. Voyez Construction.

VI. L’attraction : le méchanisme des organes de la parole apporte des changemens dans les lettres ou dans les mots qui en suivent ou qui en précedent d’autres : c’est ainsi qu’une lettre forte que l’on a à