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dans les exemples ci-dessus, l’ordre est hæc urbs, quam urbem statuo, est vestra. Ille ager, quem agrum vir habet, tollitur. Ille eunuchus, quem eunuchum dedisti nobis, quas turbas dedit. Il en est de même de l’exemple tiré du prologue de l’Andrienne de Térence, populo ut placerent quas fecisset fabulas, la construction est ut fabulæ, quas fabulas fecisset, placerent populo.

Ce qui fait bien voir la vérité & la fécondité du principe que nous avons établi au mot Construction, qu’il faut toûjours réduire à la forme de la proposition toutes les phrases particulieres & tous les membres d’une période.

L’autre figure dont les Grammairiens font mention avec aussi peu de raison, c’est l’énallage, ἐναλλαγὴ, permutatio. Le simple changement des cas est une antiptose ; mais s’il y a un mode pour un autre mode qui devoit y être selon l’analogie de la langue, s’il y a un tems pour un autre, ou un genre pour un autre genre, ou enfin s’il arrive à un mot quelque changement qui paroisse contraire aux regles communes, c’est un énallage ; par exemple, dans l’Eunuque de Térence, Thrason qui venoit de faire un présent à Thaïs, dit, magnas verò agere gratias Thaïs mihi, c’est-là une énallage, disent les Commentateurs, agere est pour agit ; mais en ces occasions on peut aisément faire la construction selon l’analogie ordinaire, en suppléant quelque verbe au mode fini, comme Thaïs tibi visa est agere, &c. ou cæpit, ou non cessat. Cette façon de parler par l’infinitif, met l’action devant les yeux dans toute son étendue, & en marque la continuité ; le mode fini est plus momentané : c’est aussi ce que la Fontaine, dans la fable des deux rats, dit :

Le bruit cesse, on se retire,
Rats en campagne aussi-tôt,
Et le citadin de dire,
Achevons tout notre rôt.


c’est comme s’il y avoit, & le citadin ne cessoit de dire, se mit à dire, &c. ou pour parler grammaticalement, le citadin fit l’action de dire. Et dans la premiere fable du liv. VIII. il dit :

Ainsi, dit le Renard, & flatteurs d’applaudir.


la construction est les flatteurs ne cesserent d’applaudir, les flatteurs firent l’action d’applaudir.

On doit regarder ces locutions comme autant d’idiotismes consacrés par l’usage ; ce sont des façons de parler de la construction usuèle & élégante, mais que l’on peut réduire par imitation & par analogie à la forme de la construction commune, au lieu de recourir à de prétendues figures contraires à tous les principes.

Au reste, l’inattention des copistes, & souvent la négligence des auteurs même, qui s’endorment quelquefois, comme on le dit d’Homere, apportent des difficultés que l’on feroit mieux de reconnoître comme autant de fautes, plûtôt que de vouloir y trouver une régularité qui n’y est pas. La prévention voit les choses comme elle voudroit qu’elles fussent ; mais la raison ne les voit que telles qu’elles sont.

Il y a des figures de mots qu’on appelle tropes, à cause du changement qui arrive alors à la signification propre du mot ; car trope vient du grec, τροπὴ, conversio, changement, transformation ; τρέπω, verto. In tropo est nativæ significationis commutatio, dit Martinius : ainsi toutes les fois qu’on donne à un mot un sens différent de celui pour lequel il a été premierement établi, c’est un trope. Ces écarts de la premiere signification du mot se font en bien des manieres différentes, auxquelles les Rhéteurs ont donné des noms particuliers. Il y a un grand nombre de ces noms dont il est inutile de charger la mémoire ; c’est ici une des occasions où l’on peut dire que le nom ne fait rien à la chose : mais il faut du moins connoître que l’expression est figurée, & en quoi elle est figurée :

par exemple, quand le duc d’Anjou, petit-fils de Louis XIV. fut appellé à la couronne d’Espagne, le roi dit, il n’y a plus de Pyrénées ; personne ne prit ce mot à la lettre & dans le sens propre : on ne crut point que le roi eût voulu dire que les Pyrénées avoient été abysmées on anéanties ; tout le monde entendit le sens figuré, il n’y a plus de Pyrénées, c’est-à-dire, plus de séparation, plus de divisions, plus de guerre entre la France & l’Espagne ; on se contenta de saisir le sens de ces paroles ; mais les personnes instruites y reconnurent une métaphore.

Les principaux tropes dont on entend souvent parler, sont la métaphore, l’allégorie, l’allusion, l’ironie, le sarcasme, qui est une raillerie piquante & amere, irrisio amarulenta, dit Robertson ; la catachrèse, abus, extension ou imitation, comme quand on dit ferré d’argent, aller à cheval sur un bâton ; l’hyperbole, la synecdoque, la métonymie, l’euphémisme qui est fort en usage parmi les honnêtes gens, & qui consiste à déguiser des idées desagréables, odieuses, tristes ou peu honnêtes, sous des termes plus convenables & plus décens. L’ironie est un trope ; car puisque l’ironie fait entendre le contraire de ce qu’on dit, il est évident que les mots dont on se sert dans l’ironie, ne sont pas pris dans le sens propre & primitif. Ainsi, quand Boileau, satyre IX. dit

Je le déclare donc, Quinault est un Virgile,


il vouloit faire entendre précisément le contraire. On trouvera en sa place dans ce Dictionnaire, le nom de chaque trope particulier, avec une explication suffisante. Nous renvoyons aussi au mot, pour parler de l’origine, de l’usage & de l’abus des tropes.

Il y a une derniere sorte de figures de mots, qu’il ne faut point confondre avec celles dont nous venons de parler ; les figures dont il s’agit ne sont point des tropes, puisque les mots y conservent leur signification propre. Ce ne sont point des figures de pensées, puisque ce n’est que des mots qu’elles tirent ce qu’elles sont ; par exemple, dans la répétition, le mot se prend dans sa signification ordinaire ; mais si vous ne répetez pas le mot, il n’y a plus de figure qu’on puisse appeller répétition.

Il y a plusieurs sortes de répétitions auxquelles les Rhéteurs ont pris la peine de donner assez inutilement des noms particuliers. Ils appellent climax, lorsque le mot est répété, pour passer comme par degrés d’une idée à une autre : cette figure est regardée comme une figure de mots, à cause de la répétition des mots, & on la regarde comme une figure de pensée, lorsqu’on s’éleve d’une pensée à une autre : par exemple, aux discours il ajoûtoit les prieres, aux prieres les soûmissions, aux soûmissions les promesses, &c.

La synonymie est un assemblage de mots qui ont une signification à-peu-près semblable, comme ces quatre mots de la seconde Catilinaire de Ciceron : abiit, excessit, evasit, erupit ; « il s’est en allé, il s’est retiré, il s’est évadé, il a disparu ». Voici quelques autres figures de mots.

L’onomatopée, ὀνοματοποιία, c’est la transformation d’un mot qui exprime le son de la chose ; ὄνομα, nomen, & ποιέω, facio ; c’est une imitation du son naturel de ce que le mot signifie, comme le glouglou de la bouteille, & en latin bilbire, bilbit amphora, la bouteille fait glouglou ; tinnitus æris, le tintement des métaux, le cliquetis des armes, des épées ; le trictrac, qu’on appelloit autrefois tictac, sorte de jeu ainsi nommé, du bruit que font les dames & les dès dont on se sert. Taratantara, le bruit de la trompette, ce mot se trouve dans un ancien vers d’Ennius, que Servius a rapporté :

At tuba terribili sonitu taratantara dixit.

Voyez Servius sur le 503. vers du IX. livre de l’E-