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une nouvelle opération un objet de la plus grande utilité. En la cardant comme de la laine, il en résulte une nouvelle matiere fine, moëlleuse, & blanche, & dont jusqu’à-présent on ne connoissoit pas l’usage. On peut l’employer seule en cet état, pour en faire des oüates, qui, à beaucoup d’égards, l’emporteront sur les oüates ordinaires ; mais de plus on la peut filer & en tirer un très-beau fil. On peut aussi la mêler avec du coton, de la soie, de la laine même, & du poil ; & le fil qui résulte de ces mélanges fournit, par ses variétés infinies, matiere à de nouveaux essais très-intéressans pour les arts, & très-utiles à plusieurs manufactures.

On n’a pas encore, à beaucoup près, épuisé toutes les combinaisons qui peuvent multiplier les avantages du chanvre sous ses différentes formes. Les toiles qui seront fabriquées de chanvre ainsi préparé ne seront pas si long-tems au blanchissage, & le fil même n’aura plus besoin des lessives par lesquelles on étoit obligé de le faire passer.

Ces premieres découvertes ont conduit à penser que les déchets même du chanvre les plus grossiers, & les balayures des atteliers où on le travaille, renfermoient encore une matiere précieuse qu’on jettoit ordinairement au feu ou sur le fumier, parce qu’on n’en connoissoit pas l’usage. Elle n’a cependant besoin que d’être broyée, nettoyée, & purifiée dans l’eau, pour être d’un excellent emploi dans les papeteries : l’épreuve qui en a été faite ne laisse aucun doute sur cet objet ; & l’on sent aisément qu’il est d’une véritable importance.

Une pratique aveugle & les préjugés qu’elle a produits, ont fait méconnoître jusqu’à-présent les excellentes propriétés & la perfection naturelle du chanvre : on ne s’étoit pas encore apperçû que le fil existoit dans la plante, indépendamment des opérations de l’art, qui ne peut ni le former ni le perfectionner ; que le travail se borne uniquement à le nettoyer & le diviser, en séparant les soies dont le ruban ou l’écorce est composée ; que ce ruban est une espece d’écheveau naturel dont les fils sont assemblés dans leur longueur par une humeur sale & glutineuse qu’il faut absolument dissoudre & chasser, comme également contraire à l’ouvrier & à l’ouvrage.

La nature du chanvre & ses propriétés nous étant à-présent mieux connues, on ne doute pas que les gens de campagne ne mettent à profit tous les avantages qu’ils peuvent se procurer par la pratique de ces nouvelles méthodes. S’ils s’appliquent à la culture des chanvres de Berri, où ils sont les plus estimés ; & s’ils en perfectionnent les apprêts, ils s’assûreront le débit de tous leurs ouvrages, soit qu’ils se bornent simplement au filage, ou qu’ils veuillent en faire de belles toiles.

M. Dodart, Intendant de Bourges, n’a rien négligé pour encourager cette nouvelle culture du chanvre, & l’établissement successif d’une multitude de petites manufactures dispersées dans sa province, leur laquelle il a bien vû qu’elles seroient une source considérable d’opulence.

Il ne s’est pas contenté de promettre sa faveur & sa protection à ceux qui aimoient assez le bien public pour le seconder, & d’inviter les gentils-hommes qui demeurent dans leurs terres, les curés & les bourgeois, d’entrer dans ses vûes. Il a de plus proposé un prix de trente liv. qui sera distribué dans chacune des villes d’Issoudun, Châteauroux, la Châtre, S. Amand, & Bourges, à la femme qui apportera six livres de fil le plus parfait, pourvû qu’il ait été filé de filasse préparée selon la nouvelle méthode, & deux prix de dix liv. aux deux femmes qui auront le mieux travaillé après la premiere fileuse.

On offre de prendre le fil non-seulement de celles qui auront remporté le prix, mais encore celui des

bonnes fileuses qui auront concouru, & de le leur payer, si elles le veulent.

Ceux qui connoissent les vrais moyens d’étendre le Commerce, de favoriser la population, & de rendre les peuples heureux, ne trouveront pas les prix proposés par M. l’Intendant de Bourges, fort inférieurs à ceux qu’on a fondés dans les académies. Son goût pour les choses utiles s’est étendu jusqu’à la perfection de notre ouvrage ; & c’est du mémoire qu’il a fait répandre dans sa province, & qu’il a bien voulu nous communiquer, que nous avons tiré ce qui précede sur la culture du chanvre & sur la meilleure préparation de la filasse.

FILASSIER, s. m. ouvrier & marchand tout ensemble qui donne les dernieres façons à la filasse, après que la chenevotte a été grossierement concassée & brisée par un instrument qu’on nomme brie en Normandie, & brayoire en d’autres endroits.

Il y a à Paris une communauté ou corps de métier composé de femmes qui prennent la qualité de linieres, chanvrieres, & filassieres ; cette communauté est fort ancienne ; ses statuts de 1485 ne sont qu’une addition à ceux qu’elle avoit déjà depuis long-tems. Dans ces statuts qui sont les premiers de ceux qui lui restent, cette communauté étoit composée de maîtres & de maîtresses également admis à la jurande, deux de chaque sexe.

Ce fut encore au nom des maîtres & maîtresses, jurés & jurées, que furent demandées & accordées les lettres-patentes d’Henri II. en 1549, aussi-bien que celles de 1578 ; mais en 1666, la communauté ayant obtenu de nouveaux statuts & reglemens, & une nouvelle forme de gouvernement, il n’y est plus fait mention de maîtres, de jurés, ni d’apprentis : depuis ce tems-là, c’est une communauté de maîtresses, qui ne partagent la jurande avec personne.

Ces derniers statuts & les lettres-patentes furent non-seulement enregistrées au parlement & au châtelet à l’ordinaire, mais ils furent encore lûs & publiés à son de trompe, le 2 Janvier 1667, sur la permission du lieutenant civil du 30 Décembre 1666.

Les jurées de cette communauté sont au nombre de quatre, qui sont élûes deux chaque année.

Les maîtresses ne peuvent avoir d’apprentisses qu’elles ne tiennent boutique ouverte, magasin, ou étalage pour leur propre compte.

Elles ne peuvent avoir qu’une apprentisse à la fois, & doivent l’obliger pour six ans.

L’apprentisse aspirante à la maîtrise doit faire chef-d’œuvre, dont néanmoins la fille de maîtresse est exempte.

Aucune apprentisse ou fille de boutique de ces sortes de marchandes ne peut entrer au service d’une nouvelle maîtresse, à moins qu’il n’y ait douze ou treize boutiques entre celle où elle entre & celle d’où elle sort ; & cela parce que presque toutes les boutiques de ces sortes de marchandes étant dans une des halles de Paris, & toutes attenantes les unes des autres, il seroit difficile d’entretenir la paix entre la nouvelle & l’ancienne maîtresse de ces filles.

Enfin les chanvres, lins, & filasses qu’apportent les forains sont sujets à visite ; & les marchands sont tenus de les faire descendre & mettre en la halle pour y être visités.

C’est dans un canton de la halle au blé de Paris, que de toute ancienneté les marchandes chanvrieres sont établies. Aussi il est fait mention de cette place dans leurs plus anciens statuts, & toûjours depuis elles y ont été conservées & maintenues par leurs lettres-patentes jusqu’à-présent.

C’est-là aussi qu’il est ordonné par les statuts que les marchands doivent transporter leurs marchandises.

Il y a pourtant une exception à cet article, en faveur de la foire S. Germain ; les marchands forains