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ment ensemble, selon les circonstances ; aussi est-il fort difficile de juger de ce qui en doit résulter. Il est cependant nécessaire de connoître fort exactement de quelle maniere ces effets se combinent, avant de faire aucun travail qui tende à produire quelque changement dans une riviere, sur-tout lorsqu’il s’agit d’en détourner le cours. Le Lamone qui se jette dans le Pô, ayant été détourné de son cours pour le faire décharger dans la mer Adriatique, a été si fort dérangé par ce changement, & sa force si diminuée, que ses eaux abandonnées à elles-mêmes, ont prodigieusement élevé leur lit par la déposition continuelle de leur limon ; de maniere que cette riviere est devenue beaucoup plus haute que n’est le Pô dans le tems de sa plus grande hauteur, & qu’il a fallu opposer au Lamone, des levées & des digues très-hautes pour en empêcher le débordement. Voyez Digue, Levée.

Un petit fleuve peut entrer dans un grand, sans en augmenter la largeur ni la profondeur. La raison de ce paradoxe est, que l’addition des eaux du petit fleuve peut ne produire d’autre effet, que de mettre en mouvement les parties qui étoient auparavant en repos proche des bords du grand, & rendre ainsi la vîtesse du courant plus grande, en même proportion que la quantité d’eau qui y passe. Ainsi le bras du Pô qui passe à Venise, quoiqu’augmenté du bras de Ferrare & de celui du Panaro, ne reçoit point d’accroissement sensible dans aucune de ses dimensions. La même chose peut se conclure, proportion gardée, de toutes les augmentations que l’eau d’un fleuve peut recevoir, soit par l’eau d’une riviere qui s’y jette, soit de quelqu’autre maniere.

Un fleuve qui se présente pour entrer dans un autre, soit perpendiculairement, soit même dans une direction opposée au courant de celui où il entre, est détourné peu-à-peu & par degrés de cette direction, & forcé de couler dans un lit nouveau & plus favorable pour l’union des deux rivieres.

L’union de deux rivieres en une doit les faire couler plus vîte, par la raison, qu’au lieu du frotement de quatre rivages, il n’y a plus que le frotement de deux à surmonter, & que le courant étant plus éloigné des bords coule avec plus de facilité ; outre que la quantité d’eau étant plus grande & coulant avec plus de vîtesse, doit creuser davantage le lit, & même le rendre si profond que les bords se rapprochent. De-là il arrive souvent que deux rivieres étant unies, occupent moins d’espace sur la surface de la terre, & produisent par-là un avantage dans les terreins bas, par la déposition continuelle que ces terreins y font des parties bourbeuses & superflues qu’ils renferment ; ils forment par ce moyen une espece de digue à ces rivieres, qui empêche les inondations. Sur quoi voyez l’article Confluent, où l’on fait voir que le physique dérange ici beaucoup le géométrique.

Ces avantages sont si considérables, que Guglielmini croit que la nature les a eus en vûe, en rendant la jonction & l’union des rivieres si fréquente.

Tel est l’abregé de la doctrine de Guglielmini, sur le mouvement des fleuves, dont M. de Fontenelle a fait l’extrait dans les mém. de l’acad. 1710.

Pour déterminer d’une maniere plus précise les lois générales du mouvement des fleuves, nous observerons d’abord qu’un fleuve est dit demeurer dans le même état, ou dans un état permanent, quand il coule uniformément, de maniere qu’il est toûjours à la même hauteur dans le même endroit. Imaginons ensuite un plan qui coupe le fleuve perpendiculairement à son fond, & que nous appellerons section du fleuve. Voyez Planche hydrostatiq. fig. 34.

Cela posé, quand un fleuve est terminé par des bords unis, paralleles l’un à l’autre & perpendiculaires à l’horison, & que le fond est au si une surface

plane, horisontale ou inclinée, la section fera des angles droits avec ces trois plans, & sera un parallelogramme.

Or, lorsqu’un fleuve est dans un état permanent, la même quantité d’eau coule en même tems dans chaque section. Car l’état du courant ne seroit pas permanent, s’il ne repassoit pas toûjours à chaque endroit autant d’eau qu’il vient de s’en écouler. Ce qui doit avoir lieu, quelle que soit l’irrégularité du lit, qui peut produire dans le mouvement du fleuve différens changemens à d’autres égards, par exemple, un plus grand frotement, à proportion de l’inégalité du lit.

Les irrégularités qui se rencontrent dans le mouvement d’une riviere, peuvent varier à l’infini ; & il n’est pas possible de donner là-dessus des regles. Pour pouvoir déterminer la vîtesse générale d’un fleuve, il faut mettre à part toutes les irrégularités, & n’avoir égard qu’au mouvement général du courant.

Supposons donc que l’eau coule dans un lit régulier, sans aucun frotement sensible, & que le lit soit terminé par des côtés plans, paralleles l’un à l’autre, & verticaux ; enfin que le fond soit aussi une surface plane & inclinée à l’horison. Soit AE le lit, dans lequel l’eau coule, venant d’un réservoir plus grand, & supposons que l’eau du réservoir soit toûjours à la même hauteur, ensorte que le courant de la riviere soit dans un état permanent ; l’eau descend de son lit comme sur un plan incliné, & s’y accélere continuellement ; & comme la quantité d’eau qui passe par chaque section dans le même tems, doit être la même par-tout, il s’ensuit que la hauteur de l’eau doit diminuer à mesure qu’elle s’éloigne du réservoir, & que sa surface doit prendre la figure iqs, terminée par une ligne courbe iqs, qui s’approche toujours de plus en plus de CE.

Pour déterminer la vîtesse de l’eau dans les différens endroits de son lit, supposons que l’origine du lit ABCD soit fermée par un plan : si on fait un trou dans ce plan, l’eau jaillira plus ou moins loin du trou, selon que le trou sera plus ou moins distant de la surface de l’eau du réservoir hi ; & la vîtesse avec laquelle l’eau jaillira, sera égale à celle qu’acquerroit un corps pesant en tombant de la surface de l’eau jusqu’au trou ; ce qui vient de la pression de l’eau qui est au-dessus du trou : la même pression, & par conséquent la même force motrice subsiste quand l’obstacle AC est ôté, & chaque particule de l’eau coule dans le lit avec une vîtesse égale à celle qu’elle auroit acquise en tombant de la surface de l’eau jusqu’à la profondeur où est cette particule. Chaque particule se meut donc comme sur un plan incliné, avec un mouvement accéleré, & de la même maniere que si, tombant verticalement, elle avoit continué son mouvement à la même profondeur au-dessous de la surface de l’eau, à compter du réservoir de la riviere.

Donc si on tire la ligne horisontale it, les particules de l’eau auront en r la même vîtesse qu’acquerroit un corps, qui tombant de la hauteur IC, parcourroit la ligne Cr ; vîtesse qui est égale à celle qu’acquerroit un corps en tombant le long de tr. Par conséquent on peut déterminer en quelqu’endroit que ce soit la vîtesse du courant, en tirant de cet endroit une perpendiculaire au plan horisontal, que l’on conçoit passer par la surface de l’eau du réservoir de la riviere ; la vîtesse qu’un corps acquerroit en tombant de la longueur de cette perpendiculaire, est égale à la vîtesse de l’eau qu’on cherche, & cette vîtesse est par conséquent d’autant plus grande, que la perpendiculaire est plus grande. D’un point quelconque, comme r, tirez rs perpendiculaire au fond du lit, cette ligne mesurera la hauteur ou la profondeur de la riviere. Puisque rs est inclinée à l’horison,