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fourrager au verd ou en verd, parce que tout le fourrage que l’on coupe est verd  ; mais lorsque les moissons sont recueillies & qu’il n’y a plus rien dans la campagne, on va prendre le fourrage dans les villages, & l’on dit alors qu’on fourrage en sec, ou au sec.

Dans les fourrages au sec, on prend le grain battu lorsque l’on en trouve, & on le met dans des sacs que l’on porte avec soi pour cet usage. On lie aussi avec des cordes le foin que l’on veut emporter, & l’on en fait des trousses que l’on charge sur le cheval ; le cavalier monte dessus, & il revient tout doucement au camp comme dans le fourrage au verd.

Lorsqu’une armée arrive dans un camp, elle se sert d’abord du fourrage renfermé dans l’enceinte des gardes du camp. Comme il est bien-tôt consommé, on s’arrange pour en aller chercher plus loin.

Pour le faire avec sûreté, le général donne une escorte aux fourrageurs, & il fixe le jour & lieu où doit se faire le fourrage.

L’escorte étant parvenue au lieu du fourrage, on lui fait former une espece d’enceinte qui renferme le terrein que les troupes doivent fourrager. Cette enceinte se nomme la chaîne du fourrage. Elle a beaucoup de ressemblance à celle des troupes qui composent la garde du camp ; c’est-à-dire qu’elle est formée de même de différens corps à portée de se soûtenir les uns & les autres, & d’empêcher que les fourrageurs ne puissent sortir de l’enceinte du fourrage. Comme ces corps n’ont pas la facilité d’être secourus du corps de l’armée comme les gardes du camp, à cause de leur éloignement, on les fait assez nombreux pour qu’ils soient en état de résister aux différens partis ou détachemens que l’ennemi pourroit envoyer pour troubler le fourrage & attaquer les fourrageurs.

Pour régler la force des escortes, il faut savoir quelle est la position de l’ennemi, la facilité qu’il a de se transporter au lieu du fourrage, & le tems dont il a besoin pour cela.

On doit comparer ce tems avec celui qui est nécessaire pour l’exécution du fourrage & pour la retraite des fourrageurs.

Si l’on juge qu’on n’ait rien à craindre que de quelques petits partis de troupes legeres, il suffit alors de former une chaîne de sentinelles & de védetes pour empêcher les fourrageurs de passer du côté de l’ennemi, & de placer seulement dans les lieux les plus exposés, des corps de quarante ou cinquante hommes.

Mais s’il y a un corps considérable de troupes ou un camp-volant de l’ennemi placé ou campé plus près du fourrage que ne l’est le camp de l’armée qui fait fourrager, il faut alors régler la force des escortes sur celle de l’ennemi, & prendre toutes les précautions nécessaires pour l’empêcher de troubler le fourrage, ou du-moins pour être en état de résister à ses attaques, en cas qu’il juge à-propos d’en faire.

Pour juger de l’étendue du terrein que le fourrage doit occuper, il faut, comme le remarque M. le Maréchal de Puységur, savoir le nombre des chevaux qu’il y a dans l’armée, afin de pouvoir évaluer à-peu-près la quantité de rations de fourrage dont on a besoin.

Suivant cet auteur, la nourriture d’un cheval par jour, dans le tems du verd, comme en Mai & en Juin, où l’on fauche les prés & les blés, doit peser de cinquante à soixante livres ; & comme le fourrage devient sec au bout de trois ou quatre jours qu’il est coupé, & qu’alors les chevaux n’en veulent plus, il s’ensuit qu’il faut nécessairement aller au fourrage tous les trois ou quatre jours.

Dans le mois de Juiilet, ou le grain commence à avoir plus de consistence dans l’épi, il n’est plus

besoin d’un poids si pesant pour la nourriture du cheval : c’est pourquoi un moindre nombre de chevaux peut alors suffire à porter le fourrage dont on a besoin.

Lorsqu’on est parvenu à connoître le nombre des rations de fourrage nécessaires pour l’armée, & qu’on sait quelle est la quantité qu’un cheval peut en porter, il est aisé de déterminer le nombre des chevaux qu’il faut envoyer au fourrage ; ou, ce qui est la même chose, le nombre des trousses qu’il faut en rapporter.

Si l’on sait après cela ce qu’il faut de terrein pour faire une trousse, suivant les différentes especes de terres ensemencées, on pourra évaluer à-peu-près l’espace que le fourrage doit embrasser.

Quoique ce calcul ne puisse pas se faire avec précision, il peut servir néanmoins à donner une idée de la grandeur du terrein qu’il faut fourrager.

L’illustre auteur que nous venons de citer prétend que si on trouve qu’une plaine peut fournir, par exemple, vingt mille trousses, il faut les réduire à dix mille, parce que les troupes françoises sont dans l’usage de fourrager sans ordre, & de perdre ou gaspiller la moitié du fourrage ; inconvénient très-grand, auquel il seroit très-important de remédier : car outre qu’il oblige l’armée, pour peu qu’elle séjourne dans un même camp, à aller chercher les fourrages au loin, ce qui fatigue & ruine la cavalerie, il contraint aussi fort souvent le général de changer de camp & de position dans des circonstances où il ne peut le faire sans donner quelqu’avantage sur lui à l’ennemi. Comme les autres nations, & particulierement les Allemands, fourragent avec plus d’ordre & d’œconomie, peut-être qu’il ne seroit pas impossible de parvenir à les imiter en cela, si l’on vouloit donner à l’exécution du fourrage toute l’attention qu’elle mérite.

Avant de donner le détail de l’opération du fourrage, il est à-propos d’observer qu’il y a de grands fourrages & de petits. Les premiers sont ceux qui se font au loin pour toute la cavalerie de l’armée, dont il marche environ les deux tiers ; les autres se font dans l’enceinte des grandes gardes du camp, ou un peu au-delà : lorsqu’ils se font plus loin, c’est seulement par une partie de la cavalerie, comme d’une aîle ou d’une ligne.

Les grands fourrages, ainsi que les petits, peuvent se faire en-avant ou en-arriere de l’armée : comme dans ce dernier cas ils n’exigent pas les mêmes précautions que dans l’autre, parce qu’ils sont couverts de l’armée, nous ne parlerons ici que des grands qui se font en-avant, & nous donnerons un précis des différentes considérations qui peuvent contribuer à leur sûreté : car comme le dit M. le chevalier de Folard, ces sortes de fourrages ne se font qu’avec de grandes précautions & un très-grand art, lorsque les armées sont proches l’une de l’autre.

Exécution du fourrage. Lorsque le lieu que l’on veut fourrager est ouvert, c’est-à-dire qu’il est en plaine ouverte de tous côtés, sans bois ni défilés, les escortes doivent être plus fortes en cavalerie qu’en infanterie. Si au contraire il est couvert en partie de bois, de ravins, ruisseaux, &c. l’infanterie de l’escorte doit être alors plus nombreuse que la cavalerie, parce que la défense de ces sortes de postes la regarde uniquement. Il suit de-là, que pour regler le nombre & la nature des troupes qui doivent servir d’escorte aux fourrageurs, il faut avoir visité avec beaucoup d’attention le terrein que l’on veut fourrager.

Supposant donc que l’officier qui doit commander le fourrage, a pris toutes les précautions nécessaires à cet égard pour se mettre à l’abri des entreprises de l’ennemi, & qu’il a reconnu pour cet effet les diffé-