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viction intime, de la force de celles-là, & de la foiblesse de celles-ci. Il est certain que celui qui détournera son esprit de la considération des preuves pour l’attacher aux difficultés qui les combattent, quoique les difficultés soient foibles & les preuves fortes, opposera très-librement des obstacles à la persuasion ; & c’est ce que nous voyons arriver tous les jours.

La volonté, dit Pascal, est un des principaux organes de la créance, non qu’elle forme la créance, mais parce que les choses paroissent vraies ou fausses, selon la face par laquelle on les regarde. La volonté qui se plait à l’une plus qu’à l’autre, détourne l’esprit de considérer les qualités de celle qu’elle n’aime pas : & ainsi l’esprit marchant d’une piece avec la volonté, s’arrête à considérer la face qu’elle aime ; & en jugeant par ce qu’elle y voit, il regle insensiblement sa créance suivant l’inclination de la volonté.

3°. Toute cette difficulté suppose que l’évidence des preuves de la religion est telle, qu’on ne peut pas ne pas s’y rendre aussi-tôt qu’on les comprend : or c’est ce qui n’est point. Ecoutons encore Pascal sur ce sujet : Il y a, dit-il dans l’économie générale de la religion, assez de lumiere pour ceux qui ne desirent que de voir, & assez d’obscurité pour ceux qui ont une disposition contraire...... assez d’obscurité pour aveugler les reprouvés, & assez de clarté pour les condamner & les rendre inexcusables.

En général quoique les preuves du genre moral, lorsqu’elles sont portées à un certain degré d’évidence, entraînent le consentement avec beaucoup de force, il est cependant vrai qu’elles n’exercent pas sur l’esprit un empire aussi puissant que celles qui sont de l’ordre métaphysique. La possibilité absolue du contraire, que les preuves morales laissent toûjours subsister, suffit pour donner lieu à l’incrédulité. C’est ainsi qu’on a vû au commencement de ce siecle un savant, appuyé de conjectures legeres, révoquer en doute des faits établis sur les preuves morales les plus completes.

Voilà ce que nous avions à dire de la foi considérée comme vertu.

La foi est encore une grace. Ceci a besoin d’explication ; car on ne voit pas d’abord ce que peut avoir de commun avec la grace, une persuasion qu’un certain concours de preuves produit dans l’esprit. Voici donc comment cela peut s’entendre.

1°. La foi est une grace extérieure, c’est à-dire que Dieu fait une grande grace, une extrème faveur à ceux qu’il place dans des circonstances, où les vérités chrétiennes entrent plus facilement dans leur ame, & où les préjugés n’opposent point à la foi des obstacles trop grands.

2°. La foi est une grace intérieure. Si l’homme a besoin du concours de Dieu pour la moindre action, ce concours lui est nécessaire pour arriver à la persuasion des vérités de la foi. Or ce concours est surnaturel.

On n’a pas encore expliqué bien nettement ce qu’on doit entendre par ce mot. Holden dit que les actes de foi sont divins & surnaturels, tant à cause qu’ils sont appuyés sur la révélation divine, que parce qu’ils ont pour objet des mysteres & des choses divines fort au-dessus de l’ordre de la nature. Liv. I. chap. ij. Cela s’entend assez bien. Mais les Théologiens regardent cette explication comme insuffisante, & ils exigent qu’on dise encore que l’acte de foi est surnaturel entitativement. Voyez Grace & Surnaturel.

La foi n’est pas la premiere grace ; car Dieu donne des graces aux infideles pour arriver à la foi : c’est la doctrine catholique.

Dans les définitions & les divisions qu’on a données de la foi, on a assez ordinairement confondu la

foi comme persuasion, comme grace & comme vertu : c’est pourquoi nous allons faire quelques remarques sur ces définitions & ces divisions.

On définit la foi, une vertu divinement infuse, une lumiere surnaturelle, un secours, un don de Dieu qui nous fait acquiescer fermement aux vérités révélées par le motif même de l’autorité de Dieu.

Je crois qu’il faudroit dire que c’est une persuasion ferme des vérités révélées par Dieu, fondée sur l’autorité de Dieu même, sauf à faire entendre ensuite que cette persuasion est méritoire, & qu’elle est une vertu ; que nous avons besoin d’un secours surnaturel pour nous y élever, & qu’elle est une grace en ce sens. On voit au contraire dans la définition communément reçûe, la vertu de la foi, la grace de la foi & la persuasion que renferme la foi, entierement confondues.

Quelques théologiens ajoûtent dans cette définition, après ces mots révélées par Dieu, ceux-ci, & proposées par l’Eglise.

Mais Juenin remarque que cette addition n’est pas essentielle à la définition de la foi ; & que quoique l’Eglise propose communément les choses révélées comme telles, on peut cependant croire un dogme sans que l’Eglise le propose. Cette question dépend de l’examen de celle-ci, quand & comment l’Eglise propose-t-elle aux fideles un dogme comme révélé ? On doit en trouver la solution aux articles Eglise & Révélation.

On divise la foi 1°. en habituelle & actuelle, & cette division peut s’entendre de la foi considérée sous les trois rapports, de persuasion, de grace & de vertu. Mais qu’est-ce que la foi habituelle ? Est-ce une qualité habituelle dans le sens de la philosophie d’Aristote ? C’est sur quoi l’Eglise n’a point prononcé définitivement. Cependant depuis la fin du douzieme siecle les Théologiens se sont servi du terme d’habitude pour expliquer ce que l’Eglise enseigne sur la nature de la grace sanctifiante qui est répandue en l’ame par les sacremens, à savoir que c’est quelque chose d’interne ou d’inhérent & distingué des actes.

La foi est aussi acquise ou infuse. On appelle foi acquise, celle qui naît en nous par une multitude d’actes répétés ; & infuse, celle que Dieu fait naître sans aucun acte préalable : telle est la foi des enfans ou même des adultes, que Dieu justifie dans la réception des sacremens. C’est la doctrine du concile de Trente, sess. 6. Il n’est pas aisé d’expliquer la nature de cette foi infuse, & les principes de la philosophie moderne peuvent difficilement se concilier avec ce qu’en disent les Théologiens. Voyez Habitudes. Mais encore une fois ce qu’ils disent à ce sujet, n’appartient pas à la foi.

On a donné le nom de foi informe à celle qui se trouve dans un sujet destitué de la grace sanctifiante ; & on appelle foi formée, celle qui se trouve réunie avec la grace sanctifiante. Les scholastiques du xij. & du xiij. siecle ont imaginé cette division.

L’apôtre S. Paul appelle foi vive, celle qui opere par la charité qui est jointe à l’observation de la loi de Dieu ; & S. Jacques appelle foi morte, celle qui se trouve sans les œuvres. La doctrine catholique est que la foi sans les œuvres ne suffit pas pour la justification. Voyez le concile de Trente, sess. vj. de just. Mais comme S. Paul releve l’efficace de la foi pour la justification, & semble rabaisser celui des œuvres, & que S. Jacques au contraire releve le mérite des œuvres : de-là est née une grande dispute entre les Calvinistes & les Catholiques, sur la part qu’il faut donner aux œuvres & à la foi dans la justification. Nos théologiens ont accusé les Calvinistes d’en exclure absolument les œuvres. Il est vrai que Calvin s’est exprimé sur cette matiere avec beaucoup de